« L’Épopée de Gilgameš : le grand homme qui ne voulait pas mourir »

éd. Gallimard, coll. L’Aube des peuples, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. L’Aube des peuples, Pa­ris

Il s’agit de l’«Épo­pée de Gil­ga­meš», connue dans l’ par ses mots li­mi­naires «Ce­lui qui a tout vu…», qui, par son am­pleur, par sa force, par l’éminent et l’universel de ses thèmes, par la vogue per­sis­tante dont elle a joui pen­dant plus d’un mil­lé­naire, mé­rite as­su­ré­ment d’être consi­dé­rée comme l’œuvre la plus re­pré­sen­ta­tive de la an­cienne 1. Lit­té­rai­re­ment, elle contient la re­la­tion d’un , d’un Noé, d’un ser­pent per­ni­cieux, pa­reils à ceux qui sont ra­con­tés dans notre «»; elle an­nonce et pré­pare les épo­pées d’idéale , telles que «L’Iliade» et «Râmâyaṇa». Mais contrai­re­ment à ces œuvres, qu’elle pré­cède de nom­breux siècles, l’«Épo­pée de Gil­ga­meš» n’est pas le pro­duit d’une seule époque, ni même d’un seul . Exis­tant sous forme de poèmes sé­pa­rés dans la la plus re­cu­lée (IIIe mil­lé­naire av. J.-C.), elle prit dans une ré­dac­tion ak­ka­dienne (IIe mil­lé­naire av. J.-C.) et dé­borda lar­ge­ment les de la et l’, puisque, par de mys­té­rieuses in­fluences, elle fut co­piée et adap­tée de­puis la jusqu’au cœur de l’Anatolie, à la Cour des rois hit­tites. Sous sa forme dé­fi­ni­tive et la plus com­plète, celle sous la­quelle on l’a re­trou­vée à Ni­nive, dans les ves­tiges de la bi­blio­thèque d’Assurbanipal 2 (VIIe siècle av. J.-C.), elle comp­tait douze , de quelque trois cents vers cha­cune. À notre grand re­gret, «il ne nous en est par­venu, à ce jour, qu’un peu moins des deux tiers», ex­plique M. Jean Bot­téro 3. «Mais ces frag­ments, par pure , ont été si rai­son­na­ble­ment dis­tri­bués tout au long de sa trame que nous en dis­cer­nons en­core as­sez bien la sé­quence et la tra­jec­toire; et même ainsi en­tre­coupé, ce che­mi­ne­ment nous fas­cine.»

L’«Épo­pée de Gil­ga­meš» est d’abord l’ d’une qui, née de la ri­va­lité entre Gil­ga­meš 4 et En­kidu 5, se conso­lide dans les pé­rils, s’exalte dans de com­muns ex­ploits et se dé­noue dou­lou­reu­se­ment dans la . Dans le cœur du sur­vi­vant, la de mou­rir de­vien­dra l’intolérable de l’ qui prend su­bi­te­ment de la pré­ca­rité de la . En vain cher­chera-t-il le se­cret de l’ au prix d’efforts vio­lents et sur­hu­mains : cha­cune de ses ten­ta­tives le plon­gera plus loin dans le déses­poir, jusqu’au jour où, re­venu de sa longue , il trou­vera en­fin le calme de la ré­si­gna­tion. Il peut pa­raître sur­pre­nant que Gil­ga­meš, le plus loin­tain hé­ros tra­gique que nous connais­sions, soit, pour ainsi dire, le plus proche de nous; c’est pour­tant le cas. «Gil­ga­meš ac­cepte sa condi­tion de mor­tel. Il n’est plus le demi-, le sur­homme qu’il était : il est un homme!… On com­prend pour­quoi, avec toutes ses la­cunes, la dis­tance chro­no­lo­gique et cultu­relle in­croyable qui nous sé­pare de cette œuvre, elle est ca­pable de nous par­ler, en­core aujourd’hui, une in­tel­li­gible», dit M. An­toine Ca­vi­gneaux 6.

l’œuvre la plus re­pré­sen­ta­tive de la Mé­so­po­ta­mie an­cienne

Drame de la mort, l’«Épo­pée de Gil­ga­meš» est aussi une évo­ca­tion du pas­sage de l’ no­made à la vie ci­vi­li­sée. De ce pas­sage dif­fi­cile, En­kidu, le bon sau­vage de­venu homme, ne se re­met­tra ja­mais en­tiè­re­ment. On re­marque chez lui ce signe d’inquiétude et de contra­dic­tion, cette pe­tite ci­ca­trice se­crète qui tra­hit l’arrachement de l’individu au de la et qui est, se­lon , le thème le plus cu­rieux et émou­vant de cette épo­pée. «À ce su­jet», dit M. Ray­mond Kuntz­mann 7, «il faut men­tion­ner une sup­po­si­tion de Mor­ris Jas­trow : l’“Épopée de Gil­ga­meš” se­rait au confluent de trois tra­di­tions prin­ci­pales, à sa­voir tout d’abord la tra­di­tion des d’un cer­tain En­kidu, [homme de la steppe]; la deuxième tra­di­tion char­rie­rait les ex­ploits d’un cer­tain Gil­ga­meš, en­va­his­seur de la Ba­by­lo­nie; en­fin, la troi­sième tra­di­tion, plus tar­dive, [ne se­rait] autre que le pro­duit de la ren­contre des deux fi­gures pré­cé­dentes avec les mythes de la na­ture et les di­dac­tiques des . Du de ces dif­fé­rents élé­ments [se­rait] née une trame qui place Gil­ga­meš au rang de hé­ros prin­ci­pal et lui dé­signe En­kidu comme com­pa­gnon.»

Il n’existe pas moins de onze tra­duc­tions fran­çaises de l’«Épo­pée de Gil­ga­meš», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Bot­téro.

«Šá nag-ba i-mu-ru iš-di ma-a-ti
(la­cune) -ti i-du-ú ka-la-mu ḫa-as-su
GIŠ-gím-maš šá nag-ba i-mu-ru iš-di ma-a-ti
(la­cune) -ti i-du-ú ka-la-mu ḫa-as-su
(la­cune) -ma mit-ḫa-riš pa- (la­cune)
Nap-ḫar né-me-qí ša ka-la-a-mi i- (la­cune)
Ni-ṣir-ta i-mur-ma ka-tim-ti ip-tu
Ub-la ṭè-e-ma šá la-am a-bu-bi
Ur-ḫa ru-uq-ta il-li-kam-ma a-ni-iḫ u šup-šu-uḫ
Šá-kin i-na NA.RÚ.A ka-lu ma-na-aḫ-ti
Ú-pi-šú BÀD šá UNUG su-pu-ri
Šá é.an.na qud-du-ši šu-tum-mi el-lim»
— Dé­but dans la langue ori­gi­nale

«Je vais pré­sen­ter au monde ce­lui qui a tout vu,
Connu la en­tière, pé­né­tré toutes choses
Et par­tout ex­ploré tout ce qui est ca­ché!
Sur­doué de , il a tout em­brassé du  :
Il a contem­plé les se­crets, dé­cou­vert les mys­tères;
Il nous en a même ap­pris sur avant le Dé­luge!
[De] re­tour de son loin­tain voyage, ex­té­nué, mais apaisé,
Il a gravé sur une stèle tous ses la­beurs!
C’est lui qui fit édi­fier les murs d’Uruk-les-Clos 8
Et du saint É-anna, tré­sor sa­cré!»
— Dé­but dans la tra­duc­tion de M. Bot­téro

«Ce­lui qui a vu le fond de toutes choses et tous les pays,
Ce­lui qui a su tout pour l’enseigner à tous,
Il fera part de son , et cha­cun en pro­fi­tera!
Il a pos­sédé la sa­gesse et la science uni­ver­selle;
Il a dé­cou­vert le se­cret de ce qui était ca­ché!
Ce­lui qui porta en lui la connais­sance de ce qui fut an­té­rieur au Dé­luge,
Il a fait de longs , il a pâti,
Et l’on a consi­gné sur une stèle ses épreuves.
Il a fait bâ­tir l’enceinte d’Uruk aux en­clos,
Du saint Éanna, du pur sanc­tuaire…»
— Dé­but dans la tra­duc­tion de Georges Conte­nau (éd. L’Artisan du livre, Pa­ris)

«Ce­lui qui a tout vu, cé­lèbre-le, ô mon pays!
Ce­lui qui connut toute chose et ras­sem­bla tout,
Qui ex­plora les pays l’un après l’autre,
Doué de sa­gesse, ce­lui-là — dis-je —, il sait tout :
Il vit les mys­tères et dé­cou­vrit les se­crets,
Il rap­porta des nou­velles d’avant le Dé­luge;
Il ren­tra d’un long voyage, épuisé, à bout de forces,
Il grava sur une tous ses ex­ploits.
Il fit construire le rem­part d’Uruk-l’Enclos,
Du saint Éanna, le tré­sor sa­cré»
— Dé­but dans la tra­duc­tion de MM. Ray­mond Jacques Tour­nay et Aa­ron Shaf­fer (éd. du Cerf, coll. Lit­té­ra­tures an­ciennes du Proche-, Pa­ris)

«J’ai des­sein de faire connaître au pays ce­lui qui a vu le fond de toutes choses, ce­lui qui a tout ap­pris pour l’enseigner à tous, qui a scruté tous les mys­tères à la fois, Gil­ga­mesh, le uni­ver­sel qui a connu toutes choses. Il a dé­cou­vert le se­cret de ce qui était ca­ché et nous a rap­porté le ré­cit de tout ce qui fut avant le Dé­luge. Ren­tré d’un très loin­tain voyage, ac­ca­blé et se­rein à la fois, il fit gra­ver dans la pierre le ré­cit de ses épreuves. C’est lui qui fit bâ­tir l’enceinte d’Ourouk-l’Enclose ainsi que le tré­sor sa­cré du temple de l’Éanna.»
— Dé­but dans la tra­duc­tion in­di­recte de M. Jean Mar­cel 9 (éd. Lanc­tôt, coll. Pe­tite col­lec­tion Lanc­tôt, Ou­tre­mont)

Icône Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

«Je veux, au pays, faire connaître ce­lui qui a tout vu,
Ce­lui qui a connu les mers, qui a su toutes choses,
Qui a scruté, en­semble, tous les mys­tères,
Gil­ga­mesh, le sage uni­ver­sel qui a connu toutes choses :
Il a vu les choses se­crètes et rap­porté ce qui était ca­ché,
Il nous a trans­mis un sa­voir plus vieux que le Dé­luge.
Re­venu d’une loin­taine route, fa­ti­gué et se­rein,
Il grava sur une stèle (le ré­cit de) tous ses durs tra­vaux.
Il fit bâ­tir l’enceinte d’Ourouk-l’Enclos
Et de l’Éanna sa­cré le tré­sor.»
— Dé­but dans la tra­duc­tion de M. René La­bat (dans «Les Re­li­gions du asia­tique», éd. Fayard et De­noël, coll. Le Tré­sor spi­ri­tuel de l’, Pa­ris, p. 145-226)

«Je veux faire connaître ce­lui qui a tout vu sur la vaste terre,
Qui a tout connu et tout com­pris,
Ce­lui qui a percé l’ensemble de tous les mys­tères,
Gil­ga­mesh, le maître de toute sa­gesse à l’universel sa­voir :
Il a contem­plé le se­cret et dé­cou­vert le ca­ché;
Il nous a trans­mis des connais­sances d’avant le Dé­luge.
Re­venu d’un loin­tain che­min, épuisé mais ras­sé­réné,
Il a fait gra­ver sur une stèle toutes ses .
Il a fait édi­fier le rem­part d’Ourouk-l’Enclos,
Du très saint Éanna, le tré­sor sa­cré.»
— Dé­but dans la tra­duc­tion de Mme Flo­rence Mal­bran-La­bat 10 (éd. du Cerf, coll. Do­cu­ments au­tour de la , Pa­ris)

«Je veux chan­ter ce­lui qui a tout vu, qui a tout connu, qui pos­sède la sa­gesse uni­ver­selle : Gil­ga­mesh, roi et sei­gneur d’Ourouk. Il a voyagé dans le et dans l’. Il sait même ce qui s’est passé avant le Dé­luge. De re­tour dans son royaume, il a fait bâ­tir les puis­sants rem­parts d’Ourouk, qu’aucune en­ceinte d’aucune ville d’aucun pays n’égale! Et ses ex­ploits, il les a fait gra­ver dans la pierre. Et cette pierre, il l’a dé­po­sée dans le saint temple du dieu Anou, construit sur son ordre.»
— Dé­but dans la tra­duc­tion in­di­recte de M. Alain Migé (éd. La­rousse, coll. Pe­tits Clas­siques La­rousse, Pa­ris)

Icône Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

«Ce­lui qui a tout vu, (la­cune) du pays,
Qui a tout connu, tout (la­cune)
(la­cune) et en­semble (la­cune) (la­cune)
Le se­cret de la sa­gesse de toute chose (la­cune)
Le mys­tère, il l’a vu, et la chose ca­chée (la­cune)
Il a ap­porté la connais­sance de ce qui était avant le Dé­luge.
Une route loin­taine il a par­couru et il a peiné et (la­cune)
(la­cune) sur une stèle toute la fa­tigue.
Il a fait faire le mur d’Érech aux en­clos!
D’É-anna la sainte, le ma­ga­sin pur»
— Dé­but dans la tra­duc­tion du père Paul Dhorme 11 (éd. J. Ga­balda et Cie, Pa­ris)

«Ce­lui qui a vu l’abîme. His­toire de Gil­ga­mès.
(la­cune) il a tout su (la­cune)
(la­cune) et en pré­sence (la­cune)
(la­cune) la connais­sance de toutes choses, (la­cune)
Ce qui est tenu se­cret, il l’a vu, et ce qui est ca­ché, (la­cune)
Il ap­porta la de ce qui eut lieu avant le Dé­luge;
Il ar­riva d’un loin­tain voyage, ex­té­nué et (la­cune)
(la­cune) sur une ta­blette, tout lieu de re­pos,
(la­cune) le mur d’Uruk-supuri,
(la­cune) pur, temple brillant»
— Dé­but dans la tra­duc­tion de l’abbé Jules-Jus­tin Sau­ve­plane (dans «Re­vue des re­li­gions», 1892, p. 306-328 & 424-454 & 521-548; 1893, p. 50-79 & 123-144 & 226-253 & 315-335 & 439-446)

«Ce­lui qui a tout vu
Ce­lui qui a vu les confins du pays
Le sage, l’omniscient
Qui a connu toutes choses
Ce­lui qui a connu les se­crets
Et dé­voilé ce qui était ca­ché
Nous a trans­mis un sa­voir
D’avant le Dé­luge.
Il a fait un long che­min.
De re­tour, fa­ti­gué mais se­rein,
Il grava sur la pierre
Le ré­cit de son voyage.
Il bâ­tit les rem­parts d’Ourouk
Et l’Éanna sa­cré, pur sanc­tuaire»
— Dé­but dans la tra­duc­tion in­di­recte de M. Abed Az­rié (éd. Berg in­ter­na­tio­nal, Pa­ris)

Icône Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

«Il est ce­lui qui a ex­ploré les confins des pays,
Ce­lui qui a connu et ex­pé­ri­menté toutes choses;
Il est l’érudit et l’omniscient qui a éclairci les mys­tères du monde,
Ce­lui qui a percé les se­crets de la vie,
Levé le voile sur ce qui était ca­ché
Et nous a trans­mis les connais­sances d’avant le Dé­luge.
Il a bâti Uruk,
La cité pri­mor­diale aux rem­parts in­fran­chis­sables,
A érigé en son sein l’Éanna sa­cré,
De­meure d’Anu, le dieu sou­ve­rain,
Et d’Ishtar, la déesse de l’ et de la .»
— Dé­but dans la tra­duc­tion in­di­recte de M. Jean Kar­dec (éd. J. Kar­dec, Fu­may)

Icône Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • «Gil­ga­meš et sa Lé­gende : études re­cueillies par Paul Ga­relli à l’occasion de la VIIe Ren­contre as­sy­rio­lo­gique in­ter­na­tio­nale» (éd. C. Klinck­sieck, coll. Ca­hiers du Groupe Fran­çois-Thu­reau-Dan­gin, Pa­ris)
  • Ray­mond Kuntz­mann, «Le des ju­meaux au Proche-Orient an­cien : nais­sance, fonc­tion et d’un sym­bole» (éd. Beau­chesne, coll. Re­li­gions, Pa­ris).
  1. Ce pays que les An­ciens nom­maient Mé­so­po­ta­mie («entre-fleuves») cor­res­pond à peu près à l’ ac­tuel. Icône Haut
  2. Par­fois trans­crit As­sour­ba­ni­pal, Ashur­ba­ni­pal, Aschur­ba­ni­pal, Achour-bani-pal ou Asur­ba­ni­pal. Icône Haut
  3. p. 17. Icône Haut
  4. Par­fois trans­crit Gil­ga­mesh, Ghil­ga­meš, Guil­ga­mech, Ghil­ga­mech, Guil­ga­mesch, Ghil­ga­mesch, Gil­ga­mesch, Gil­ga­misch ou Gil­ga­mish. Par suite d’une faute, trans­crit Iz­du­bar, Iz­dub­har, Iz-ṭu-bar, Giš-ṭu-bar, Is­du­bar, Isd­hu­bar ou Is-ṭu-bar. Icône Haut
  5. Par­fois trans­crit En­ki­dou. Par suite d’une faute, trans­crit Éa-bani ou Hea­bani. Icône Haut
  6. Dans sa confé­rence à l’Université de Ge­nève. Icône Haut
  1. «Le Sym­bo­lisme des ju­meaux», p. 55. Icône Haut
  2. Une des dé­no­mi­na­tions poé­tiques de la ville d’Uruk; aujourd’hui Warka (وركاء), en Irak. Icône Haut
  3. Pseu­do­nyme de M. Jean-Mar­cel Pa­quette. Icône Haut
  4. Fille du pré­cé­dent. Icône Haut
  5. Nom re­li­gieux d’Édouard Dhorme. Icône Haut