Il s’agit d’une traduction partielle des poèmes de Su Shi 1, plus connu sous le sobriquet de Su Dongpo 2 (« Su de la Pente de l’Est »), du nom de la parcelle sur laquelle il construit en 1082 apr. J.-C. la Salle des Neiges qui lui tient lieu de cabinet : « Sur un flanc de la Pente de l’Est, Maître Su acquit un potager abandonné. Il l’aménagea, l’entoura de murs et y construisit une pièce d’audience qu’il nomma sur un panneau horizontal la Salle des Neiges 3. Il avait peint sur les quatre parois… un paysage d’hiver ininterrompu. Qu’il se levât, s’assît, montât et descendît, regardât tout l’espace ou furtivement, tout n’était que neiges. Maître Su y résidait et il avait vraiment trouvé là sa place dans le monde » 4. Poète, prosateur, peintre à ses heures, Su Dongpo a porté à la perfection l’impression d’aisance et de naturel que dégage la poésie chinoise sous le règne des Song 5. Cette impression est due à la spontanéité des pensées exprimées, à la concision des images — simples suggestions donnant uniquement les traits les plus essentiels pour provoquer l’effet voulu :
« La vie de l’homme :
L’empreinte d’une oie sauvage sur la neige.
Envolé, l’oiseau est déjà loin » 6.
peindre l’âme des choses et des hommes
Cette manière artistique, bien qu’elle fasse l’effet d’extrême simplicité, est en réalité plus complexe qu’elle ne paraît au premier coup d’œil. Elle porte la marque de l’évolution plus que millénaire accomplie par la poésie chinoise, désormais débarrassée de tout ce qui n’est pas indispensable à ses buts. Su Dongpo, en particulier, veut peindre l’âme des choses et des hommes, au lieu de s’attacher aux détails extérieurs qui ne feraient que disperser l’attention et affaiblir l’impression produite : « Montagnes, rochers, bambous, arbres, mouvements de l’eau, fumées, nuages n’ont pas de forme constante, mais ont un esprit intérieur. Le peintre doit pénétrer leur loi interne et non se borner aux détails, comme peuvent le faire les artistes médiocres. Lorsque Wen Yuke 7 peint des bambous, des rochers, des arbres vifs ou morts, il comprend leur croissance et leur déclin, leur liberté et leurs obstacles », dit Su Dongpo 8 ; ce qu’il exprime d’une autre façon dans un poème dédié précisément à Wen Yuke :
« Quand Wen Yuke peint des bambous,
Il voit des bambous et non des hommes.
Non seulement il ne songe pas aux hommes,
Mais il oublie totalement son corps
Qui est devenu, quand il peint,
Un bambou qui pousse et croît
Et qui redeviendra Wen Yuke » 9.
Il n’existe pas moins de sept traductions françaises des poèmes, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. Claude Roy.
「水光瀲灧晴方好,
山色空濛雨亦奇.
若把西湖比西子,
淡粧濃抹總相宜.」— Poème dans la langue originale
« Miroir de l’eau. Temps de printemps.
Brume légère, douce est la pluie.
Le lac de l’Ouest, une jeune fille,
Belle au réveil, belle au coucher. »
— Poème dans la traduction de M. Roy
« La lumière dans l’eau gonfle les vagues qui se succèdent, opportune éclaircie
La couleur de la montagne devient floue sous la pluie fine, magique
Si l’on compare le lac de l’Ouest à la belle Hsih Shih 10,
Simple atour ou parure solennelle, les deux leur siéent à merveille »
— Poème dans la traduction de Mme Cheng Wing fun et M. Hervé Collet (« Fumée du Lu Shan, marée du Che Kiang : poèmes », éd. Moundarren, Millemont)
« Chatoyantes, les vaguelettes sous la lumière, beauté de l’éclaircie ;
Inattendues, les teintes d’une montagne floue, quand survient la pluie.
Comme je voudrais comparer le lac de l’Ouest à une grande beauté,
Car l’image lui convient, qu’elle soit fardée ou légèrement maquillée. »
— Poème dans la traduction de M. Tang Jialong (dans Zheng Ping, « Géographie de Chine », éd. 五洲传播出版社, coll. Que sais-je sur la Chine ?, Pékin)
« Pur éclat liquide, radieuse beauté sans la moindre ride…
Un effet de pluie s’en vient animer la montagne vide.
Le Xihu me fait penser à Xi Shi : un fard accentué
Lui sied aussi bien que la simplicité. »
— Poème dans la traduction de Mme Claire Lebeaupin (dans Aina, « Propos oisifs sous la tonnelle aux haricots », éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris)
« Par la lumière des eaux, la mouvance des vagues, le ciel s’étend dans toute sa beauté
Quand les monts se teintent de brumes, la pluie tombe tout aussi merveilleuse
Le lac de l’Ouest est comme la fille de l’Ouest
À peine maquillée ou lourdement fardée, elle reste une beauté »
— Poème dans la traduction de M. Guilhem Fabre (dans « Instants éternels : cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine », éd. La Différence, Paris)
« Plénitude lumineuse de l’onde — c’est le beau temps…
Sombre estompe des monts — la pluie a aussi ses charmes…
Lac de l’Ouest et Dame de l’Ouest se peuvent comparer :
Léger fard ou épais apprêt également leur siéent. »
— Poème dans la traduction de Mme Pénélope Bourgeois, revue par M. Max Kaltenmark (dans « Anthologie de la poésie chinoise classique », éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris)
« Quand il fait beau, le lac ondoyant plaît aux yeux ; les monts voilés nous émerveillent quand il pleut. Le lac ressemble à la Belle d’Ouest qui enchante par sa beauté naturelle ou éblouissante. »
— Poème dans la traduction de M. Xu Yuan chong (dans « Choix de poèmes et de tableaux des Song », éd. 五洲传播出版社, coll. de classiques chinois, Pékin)
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- Traduction partielle de Tchou Kia-kien et Armand Gandon (1927) [Source : Yoto Yotov].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Su Dongpo, « Sur moi-même ; traduit du chinois et présenté par Jacques Pimpaneau » (éd. Ph. Picquier, coll. Picquier poche, Arles)
- Georges Margouliès, « Histoire de la littérature chinoise. Poésie » (éd. Payot, coll. Bibliothèque historique, Paris).
- En chinois 蘇軾. Autrefois transcrit Su Shih, Su She ou Sou Che.
- En chinois 蘇東坡. Autrefois transcrit Su Dongbo, Su Tung po, Sou Toung-po, Sou Tong-p’o ou Sou Tong-p’ouo.
- En chinois 雪堂.
- « Commémorations », p. 276.
- De l’an 960 à l’an 1279.
- p. 18.
- Wen Yuke (文與可) ou Wen Tong (文同), cousin et ami de Su Dongpo, entrait, pour ainsi dire, dans les bambous qu’il peignait en s’identifiant à eux.
- p. 58.
- id.
- Xi Shi (西施), c’est-à-dire « Shi de l’Ouest », ou Xizi (西子), c’est-à-dire « la fille de l’Ouest », était une belle qui séduisit le roi de Wu et causa la perte de son royaume.