Il s’agit des « Commémorations » (« Ji »1) de Su Dongpo. Des œuvres complètes de Su Dongpo, qui occupent sept volumes, on ne retient le plus souvent que des extraits de ses poèmes insérés dans les anthologies ; on oublie qu’il a, sa vie durant, mis à contribution de toutes sortes de manières la forme de la « commémoration » ou de la « stèle » — pièce brève, destinée à être gravée sur pierre pour saluer l’érection d’un bâtiment officiel ou d’une demeure privée. Un fonctionnaire zélé construisait-il, par exemple, un cabinet d’étude, il ne manquait pas d’aller visiter Su Dongpo et de lui adresser cette prière : « Je travaillerai dans ce cabinet matin et soir, et tous mes actes y seront préalablement réfléchis et pesés. Messire, vos écrits sont célèbres dans le monde. Que vous coûte une petite signature murale qui en gardera mémoire ? Ne me ferez-vous pas connaître des hommes de ce siècle ? » Des soixante et une « Commémorations » que Su Dongpo a ainsi composées de l’an 1063 jusqu’à sa mort (en l’an 1101), deux caractéristiques se dégagent : 1o l’élargissement du genre, qu’il a ouvert à des sujets nouveaux et traité dans un style original : éloge d’administrateurs passés ou présents, récits de promenades, réflexions sur la politique, considérations philosophiques, souvenirs, etc. ; 2o le non-respect des demandes et exigences faites par les commanditaires privés au moment de la commande : « L’une des stratégies les plus remarquables consiste — surtout pour les œuvres commémorant la construction de salles — à déjouer les attentes du commanditaire, à mettre en scène leur insistance répétée à réclamer des textes, à dénoncer avec humour l’absurdité des noms donnés aux lieux — “Salle de la pensée”, “Pavillon du zéphyr”, “Salle des mille merveilles” —, à remettre en question leurs prétentions à faire œuvre durable, à renvoyer enfin à la vanité des œuvres humaines », explique M. Stéphane Feuillas2. Tour à tour précises ou fugaces, brillantes ou érudites, ces « Commémorations » brossent le portrait d’un esprit libre et franc, soucieux de mettre dans un texte qui peut sembler mineur en apparence, une leçon sur l’existence et les choses « afin que des centaines d’années plus tard, les promeneurs qui trouveront ce texte entre les murs écroulés et les puits taris, perplexes et confus, le méditent longtemps et profondément soupirent », comme il le dit très bien lui-même3.
mettre dans un texte qui peut sembler mineur en apparence, une leçon sur l’existence et les choses
Voici un passage qui donnera une idée du style des « Commémorations » : « Je pense, pour ma part, que connaître le destin, c’est déployer jusqu’[au] bout toutes les situations humaines, et qu’alors seulement, la logique des choses étant satisfaite, aucun regret n’existe plus. Toute chose qui s’accomplit sera détruite, comme mourra tout ce qui vit. De même, la grandeur d’un pays laissera place à sa disparition. Je sais bien cela. Mais un gentilhomme qui nourrit sa personne a recours à tout ce qui peut prolonger la vie et freiner la mort, et lorsqu’il administre un pays, tout ce qu’il peut garder intact et sauver de la disparition, il l’accomplit, s’arrêtant seulement quand plus rien n’est possible. Voilà ce qu’on appelle “connaître le destin” ! »4
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Su Dongpo, « Sur moi-même ; traduit du chinois et présenté par Jacques Pimpaneau » (éd. Ph. Picquier, coll. Picquier poche, Arles).