Il s’agit de l’« Enquête » (« Historiê » 1) d’Hérodote d’Halicarnasse 2, le premier des historiens grecs dont on possède les ouvrages. Car bien qu’on sache qu’Hécatée de Milet, Charon de Lampsaque, etc. avaient écrit des historiographies avant lui, la sienne néanmoins est la plus ancienne qui restait au temps de Cicéron, lequel a reconnu Hérodote pour le « père de l’histoire » 3, tout comme il l’a nommé ailleurs, à cause de sa préséance, le « prince » 4 des historiens.
Le sujet direct d’Hérodote est, comme il le dit dans sa préface, « les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les [Perses], et la raison du conflit qui mit ces deux peuples aux prises » ; mais des chapitres entiers sont consacrés aux diverses nations qui, de près ou de loin, avaient été en contact avec ces deux peuples : les Lydiens, les Mèdes, les Babyloniens soumis par Cyrus ; puis les Égyptiens conquis par Cambyse ; puis les Scythes attaqués par Darius ; puis les Indiens. Leurs histoires accessoires, leurs récits latéraux viennent se fondre dans le foisonnement de la narration principale, comme des cours d’eau qui viendraient grossir un torrent. Et ainsi, l’« Enquête » s’élargit, de proche en proche, et nous ouvre, pour la première fois, les annales de l’ensemble du monde habité, en cherchant à nous donner des leçons indirectes, quoique sensibles, sur notre condition humaine. C’est dans ces leçons ; c’est dans l’habile progression des épisodes destinée à tenir notre attention constamment en éveil ; c’est dans la moralité qui se fait sentir de toute part — et ce que j’entends par « moralité », ce n’est pas seulement ce qui concerne la morale, mais ce qui est capable de consacrer la mémoire des morts et d’exciter l’émulation des vivants — c’est là, dis-je, qu’on voit la grandeur d’Hérodote, marchant sur les traces d’Homère :
« Cet historien », dit Guilhem de Clermont-Lodève, baron de Sainte-Croix, « est le premier des narrateurs et ne l’est devenu qu’en imitant Homère, par lequel il faut toujours commencer lorsqu’on parle de génie et de talent, en tous les genres de littérature, la poésie en étant la base. Quel écrivain a su mieux que ce poète animer ses récits et mettre en scène ses héros ! C’est en cela que consiste… le grand art d’écrire l’histoire, et Hérodote le possède supérieurement. Soit qu’il raconte la chute de Crésus et son entretien avec Solon, l’avènement de Darius au trône, son entrevue avec Polycrate ; soit qu’il représente… le conseil de Sparte, Xerxès s’entretenant du sort de son armée avec [Artabane], la mort de Biton et de Cléobis ou d’autres événements, tout est chez lui dramatique. Il combat avec les Grecs et fuit avec les Perses… Décrit-il une contrée ? On y voyage avec lui, on vit avec ses habitants… on apprend d’eux leurs usages. Parle-t-il d’une religion ? On entre dans ses temples, on assiste à ses cérémonies et on confère avec ses ministres. En un mot, rien ne languit ; l’attention est sans cesse réveillée. »
Telle est la puissance, tel est le privilège du génie d’Hérodote, d’être sorti de l’étroite enceinte de la cité hellénique de son temps ; d’avoir ressenti ce que ressentent les autres nations, d’avoir pensé de concert avec elles ; et d’avoir évoqué ce spectacle immense, non comme l’Ecclésiaste, pour proclamer l’absurdité de toute chose, mais pour porter sur toute chose un regard bienveillant et doux :
pour la première fois, les annales de l’ensemble du monde habité
« Hérodote », dit l’abbé Jean-Jacques Barthélemy 5, « offrit sous un même point de vue tout ce qui s’était passé de mémorable dans l’espace d’environ deux cent quarante ans. On vit alors… une suite de tableaux qui, placés les uns auprès des autres, n’en devenaient que plus effrayants : les nations toujours inquiètes et en mouvement… désunies par l’intérêt et rapprochées par la guerre ; soupirant pour la liberté et gémissant sous la tyrannie ; partout, le crime triomphant, la vertu poursuivie, la terre abreuvée de sang… Mais la main qui peignit ces tableaux sut tellement en adoucir l’horreur par les charmes du coloris et par des images agréables ; aux beautés de l’ordonnance, elle joignit tant de grâces, d’harmonie et de variété ; elle excita si souvent cette douce sensibilité qui se réjouit du bien et s’afflige du mal, que son ouvrage fut regardé comme une des plus belles productions de l’esprit… »
Il n’existe pas moins de dix traductions françaises de l’« Enquête », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Mme Andrée Barguet.
« Μετὰ δέ, ἡμέρῃ τρίτῃ ἢ τετάρτῃ, κελεύσαντος Κροίσου τὸν Σόλωνα θεράποντες περιῆγον κατὰ τοὺς θησαυροὺς καὶ ἐπεδείκνυσαν πάντα ἐόντα μεγάλα τε καὶ ὄλϐια. Θεησάμενον δέ μιν τὰ πάντα καὶ σκεψάμενον, ὥς οἱ κατὰ καιρὸν ἦν, εἴρετο ὁ Κροῖσος τάδε· “Ξεῖνε Ἀθηναῖε, παρ’ ἡμέας γὰρ περὶ σέο λόγος ἀπῖκται πολλὸς καὶ σοφίης εἵνεκεν τῆς σῆς καὶ πλάνης, ὡς φιλοσοφέων γῆν πολλὴν θεωρίης εἵνεκεν ἐπελήλυθας· νῦν ὦν ἐπειρέσθαι σε ἵμερος ἐπῆλθέ μοι εἴ τινα ἤδη πάντων εἶδες ὀλϐιώτατον”. Ὁ μὲν ἐλπίζων εἶναι ἀνθρώπων ὀλϐιώτατος ταῦτα ἐπειρώτα, Σόλων δὲ οὐδὲν ὑποθωπεύσας, ἀλλὰ τῷ ἐόντι χρησάμενος, λέγει· “Ὦ βασιλεῦ, Τέλλον Ἀθηναῖον”. Ἀποθωμάσας δὲ Κροῖσος τὸ λεχθὲν εἴρετο ἐπιστρεφέως· “Κοίῃ δὴ κρίνεις Τέλλον εἶναι ὀλϐιώτατον ;” Ὁ δὲ εἶπε· “…Τελευτὴ τοῦ βίου λαμπροτάτη ἐπεγένετο· γενομένης γὰρ Ἀθηναίοισι μάχης πρὸς τοὺς ἀστυγείτονας ἐν Ἐλευσῖνι βοηθήσας καὶ τροπὴν ποιήσας τῶν πολεμίων ἀπέθανε κάλλιστα, καί μιν Ἀθηναῖοι δημοσίῃ τε ἔθαψαν αὐτοῦ τῇ περ ἔπεσε καὶ ἐτίμησαν μεγάλως”. »
— Passage dans la langue originale
« Deux ou trois jours plus tard, sur l’ordre de Crésus, des serviteurs firent visiter à Solon les trésors du roi et lui en montrèrent toute la grandeur et l’opulence. Quand il eut tout vu, tout examiné à loisir, Crésus lui posa cette question : “Athénien, mon hôte, ta grande renommée est venue jusqu’à nous : on parle de ta sagesse, de tes voyages, et l’on dit que, désireux de t’instruire, tu as parcouru bien des pays pour satisfaire ta curiosité. Le désir m’est donc venu, aujourd’hui, de te demander si tu as déjà vu quelqu’un qui fût le plus heureux des hommes”. Il se croyait lui-même le plus heureux des hommes, c’est pourquoi il lui posait cette question. Mais Solon, loin de le flatter, lui répondit en toute sincérité : “Oui, seigneur, c’est Tellos d’Athènes”. Étonné, Crésus lui demanda vivement : “À quoi juges-tu que Tellos est le plus heureux des hommes ? — Tellos”, répondit Solon, “…a terminé sa vie de la façon la plus glorieuse : dans une bataille qu’Athènes livrait à ses voisins d’Éleusis, il combattit pour sa patrie, mit l’ennemi en déroute et périt héroïquement ; les Athéniens l’ont enseveli aux frais du peuple à l’endroit même où il est tombé, et ils lui ont rendu de grands honneurs”. »
— Passage dans la traduction de Mme Barguet
« Puis, le troisième ou le quatrième jour après son arrivée, des serviteurs eurent ordre de le promener alentour des trésors du roi et de lui montrer toute sa richesse et sa félicité. Quand Solon eut tout contemplé et considéré à loisir, Crésus lui fit cette question : “Hôte athénien, grand bruit est venu jusqu’à nous au sujet de ta sagesse et des voyages que tu as faits en diverses contrées, comme philosophe et par curiosité ; maintenant donc, il m’a pris fantaisie de te demander si tu as vu jusqu’ici un homme parfaitement heureux”. En faisant cette question, Crésus croyait à coup sûr être le plus heureux des hommes ; mais Solon, sans le flatter, et disant ce qui était, répondit : “Tellus l’Athénien”. Étonné de cette réponse, Crésus reprit brusquement : “Et en quoi estimes-tu que ce Tellus fut le plus heureux ? — Tellus”, répondit Solon, “…eut le bonheur de terminer avec gloire sa carrière : dans un combat des Athéniens contre leurs voisins d’Éleusis, il vint en la mêlée, fit tourner le dos à l’ennemi, et mourut de la mort la plus belle. Les Athéniens l’inhumèrent aux dépens du public sur le lieu même où il tomba, et lui rendirent de grands honneurs”. »
— Passage dans la traduction d’Élie-Ami Betant (XIXe siècle)
« Trois ou quatre jours après son arrivée, il fut conduit d’après les ordres et par les serviteurs de Crésus dans les chambres qui renfermaient les trésors du roi, et on lui montra tout ce qui s’y trouvait de précieux et d’opulent. Quand Solon eut tout vu et tout examiné à loisir : “Mon hôte d’Athènes, lui dit Crésus, ta renommée est venue jusqu’à moi ; j’ai entendu parler de ta sagesse et des longs voyages que tu as entrepris pour observer et t’instruire. Eh bien, contente mon envie : de tous les hommes que tu as vus, dis-moi quel est le plus heureux ?” Or, il faisait cette question parce qu’il se croyait lui-même le plus heureux de tous les hommes. Mais Solon, sans flatter Crésus ni déguiser la vérité, répondit : “Roi, c’est Tellus d’Athènes”. Étonné de cette réponse, Crésus reprit avec vivacité : “À quoi juges-tu que Tellus est le plus heureux des hommes ? — Tellus”, dit Solon, “…eut une fin très brillante. Dans un combat que les Athéniens soutenaient contre leurs voisins à Éleusis, après avoir payé de sa personne et repoussé l’ennemi, il mourut glorieusement. Les Athéniens lui élevèrent, aux frais du public, un tombeau à la place même où il avait succombé, et lui rendirent les plus grands honneurs”. »
— Passage dans la traduction de Charles Lebaigue (XIXe siècle)
« Deux ou trois jours après son arrivée, des serviteurs, sur l’ordre de Crésus, le promenèrent à travers les trésors et lui montrèrent que tout était magnifique et opulent. Quand il eut tout regardé et examiné à son aise, Crésus lui demanda : “Mon hôte athénien, le bruit de ta sagesse, de tes voyages, est arrivé jusqu’à nous ; on nous a dit que le goût du savoir et la curiosité t’ont fait visiter maint pays ; aussi le désir m’est-il venu maintenant de te poser une question : as-tu déjà vu un homme qui soit le plus heureux du monde ?” Il posait cette question dans l’idée qu’il était le plus heureux des hommes. Mais Solon, sans flatterie et en toute sincérité, répondit : “Oui, roi : Tellos d’Athènes”. Surpris de cette réponse, Crésus demanda avec vivacité : “Pour quelle raison estimes-tu donc que Tellos soit le plus heureux ?” Et Solon : “Tellos… eut une fin de vie très brillante ; dans un combat livré à Éleusis par les Athéniens à leurs voisins, il marcha à l’ennemi, le mit en déroute, et périt glorieusement ; les Athéniens l’ensevelirent aux frais du public là même où il était tombé, et lui rendirent de grands honneurs”. »
— Passage dans la traduction de Philippe-Ernest Legrand (éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris)
« Le troisième ou le quatrième jour, par son ordre, des serviteurs promenèrent Solon parmi les trésors et lui firent remarquer tout ce qu’il y avait de grand et de magnifique. Lorsqu’il eut vu et examiné toutes choses à loisir, Crésus le questionna en ces termes : “Ô mon hôte athénien, ta grande renommée est parvenue jusqu’à nous ; on parle ici de ta sagesse et de tes voyages ; nous savons que tu as parcouru, en philosophe, une vaste part de la terre, dans le dessein de t’instruire ; maintenant, le désir m’est venu de te demander quel est, de tous les hommes que tu as vus, le plus heureux”. Or, il faisait cette question parce qu’il se croyait le plus heureux de tous les hommes. Mais Solon, loin de le flatter, répondant la vérité, dit : “Ô roi, c’est Tellus l’Athénien”. Crésus saisi de surprise, lui demanda doucement : “À quoi juges-tu que Tellus est le plus heureux des hommes ?” L’autre reprit : “…Il a eu la fin la plus brillante. En effet, comme les Athéniens livraient bataille à nos voisins d’Éleusis, il combattit dans leurs rangs, décida la victoire et trouva une glorieuse mort. Les Athéniens l’ensevelirent aux frais du peuple, au lieu même où il était tombé, et le comblèrent d’honneurs”. »
— Passage dans la traduction de Pierre Giguet (XIXe siècle)
« Et trois ou quatre jours après son arrivée, Crésus commanda à ses gens qu’ils le menassent visiter ses trésors, lesquels ils lui montrèrent grands et pleins de félicité mondaine. Solon les ayant vus et considérés selon l’opportunité qu’il en avait, Crésus s’adressa à lui et lui dit : “Venez çà, mon hôte athénien, j’ai tout plein ouï parler de vous, tant à cause de votre sagesse qu’à cause des voyages que vous entreprenez, comme philosophe qui désire beaucoup voir. Et par ce, il me prend envie vous demander si, de tous les hommes que vous vîtes onques, en avez connu quelqu’un qui soit plus heureux que moi”. Crésus lui faisait cette demande, pensant être le plus heureux du monde. Solon, qui ne sut flatter, mais bien user de vérité, lui dit : “J’ai opinion, Sire, d’avoir vu Tellus, citoyen d’Athènes, plus heureux que vous”. Crésus s’étonna de cette réponse, et avec grande instance répliqua : “Je vous prie, dites-moi, quelle occasion vous avez de juger Tellus le plus heureux que vous ayez vu ?” Solon lui dit : “Entendez, Sire, qu’il… a eu une très belle et glorieuse fin. Car comme les Athéniens [donnaient] la bataille à aucuns leurs voisins près la ville Éleusine, il leur porta fort bon secours et mourut au lit d’honneur, après avoir fait tourner dos aux ennemis. Pour quel respect 6, les Athéniens le firent ensevelir aux dépens du public au lieu même où il tomba, et l’honorèrent grandement”. »
— Passage dans la traduction de Pierre Saliat (XVIe siècle)
« Le troisième ou le quatrième jour après qu’il fut arrivé, ce prince commanda qu’on montrât à Solon tous ses trésors et ses richesses. De sorte qu’on lui fit voir tous les trésors du roi, et tout ce qu’il y avait de plus rare, et qui pouvait mieux représenter la grandeur et la prospérité d’un prince. Lorsqu’il eut vu toutes ces choses, et qu’il les eut considérées à loisir, Crésus lui parla en ces termes : “Mon hôte”, lui dit-il, “comme nous connaissons par réputation votre sagesse, et que nous savons que vous avez beaucoup voyagé en philosophe qui veut voir, et qui veut apprendre, il faut que je vous demande si vous avez vu des hommes dont la félicité soit comparable à la mienne”. Il lui faisait cette question, parce qu’il croyait être le plus heureux de tous les hommes ; mais Solon qui ne le flatta point, et qui voulait dire la vérité : “Oui”, dit-il, “j’ai vu Tellus Athénien qui est plus heureux que vous”. Crésus, étonné de cette réponse, lui demanda pourquoi il estimait Tellus heureux. “Parce”, dit-il, “que Tellus… est mort glorieusement. Car après qu’il fut venu au secours des Athéniens, dans la bataille qui fut donnée auprès de la ville d’Éleusine contre les peuples voisins, et qu’il eut mis l’ennemi en fuite, il mourut entre les bras de la victoire d’une mort souhaitable et glorieuse. Et enfin les Athéniens lui dressèrent un tombeau aux dépens du public à l’endroit où il était mort, et lui rendirent de grands honneurs”. »
— Passage dans la traduction de Pierre Du Ryer (XVIIe siècle)
« Trois ou quatre jours après son arrivée, il fut conduit par ordre du prince dans les trésors, dont on lui montra toutes les richesses. Quand Solon les eut vues et considérées à loisir, le roi lui parla en ces termes : “Le bruit de ta sagesse et de tes voyages est venu jusqu’à nous ; et je n’ignore point qu’en parcourant tant de pays tu n’as eu d’autre but que de t’instruire de leurs lois et de leurs usages, et de perfectionner tes connaissances. Je désire savoir quel est l’homme le plus heureux que tu aies vu”. Or, il lui faisait cette question, parce qu’il se croyait lui-même le plus heureux do tous les hommes. “C’est Tellus d’Athènes”, lui dit Solon sans le flatter, et sans lui déguiser la vérité. Crésus étonné de cette réponse : “Sur quoi donc”, lui demanda-t-il avec vivacité, “estimes-tu Tellus si heureux ? — Parce qu’il… a terminé ses jours d’une manière éclatante”, reprit Solon, “car, dans un combat des Athéniens contre leurs voisins d’Éleusis, il secourut les premiers, mit en fuite les ennemis, et périt glorieusement. Les Athéniens lui érigèrent un monument aux frais du public dans l’endroit même où il était tombé mort, et lui rendirent de grands honneurs”. »
— Passage dans la traduction de Pierre-Henri Larcher (XVIIIe siècle)
« Le troisième ou le quatrième jour après son arrivée, les domestiques de Crésus, suivant ses ordres, conduisirent Solon dans les chambres qui contenaient les trésors du roi, et lui montrèrent les immenses richesses qu’elles renfermaient et le bonheur de Crésus. Après qu’il eut vu tout en détail et tout examiné à loisir, Crésus lui adressa ces paroles : “Mon hôte d’Athènes, comme la réputation que vous vous êtes acquise par votre sagesse et par les voyages que vous avez entrepris pour observer en philosophe tant de pays divers, est venue jusqu’à nous, j’ai le plus grand désir d’apprendre de vous quel est l’homme que vous avez connu jusqu’ici pour le plus heureux”. En faisant cette question, Crésus était persuadé que Solon allait le nommer ; mais Solon, incapable de flatter, et qui ne savait dire que la vérité, répondit : “C’est Tellus l’Athénien”. Crésus, surpris, demanda vivement par quelle raison il estimait ce Tellus le plus heureux des hommes. “Tellus”, reprit Solon, “…termina sa vie par la mort la plus brillante. Dans un combat qui eut lieu entre les Athéniens et leurs voisins d’Éleusis, après avoir déployé une rare valeur et mis en fuite un grand nombre d’ennemis, il périt glorieusement. Athènes lui fit élever, aux frais du trésor public, un tombeau dans la place même où il avait succombé, et rendit à sa mémoire les plus grands honneurs”. »
— Passage dans la traduction d’André-François Miot (XIXe siècle)
« Ensuite, deux ou trois jours après, des officiers royaux, sur l’ordre de Crésus, le conduisirent aux trésors du roi et lui en montrèrent toute la grandeur et la munificence. Une fois qu’il eut tout regardé et examiné comme il le voulait, Crésus lui demanda : “Athénien, mon hôte, les belles paroles qu’on tient sur toi, sur ta sagesse, sur tes voyages sont parvenues jusqu’à nous. On dit que c’est par goût du savoir et pour satisfaire ta curiosité que tu as parcouru tant de pays, aussi l’envie m’est venue aujourd’hui de te poser cette question : as-tu déjà vu quelqu’un qui fût le plus heureux des hommes ?” Crésus posait cette question parce qu’il croyait être lui-même le plus heureux des hommes. Mais Solon, loin de le flatter, lui répondit franchement : “Oui, Majesté, c’est Tellos l’Athénien”. Étonné de cette réponse, Crésus lui demanda vivement : “Pour quelle raison juges-tu que Tellos est le plus heureux ?” Et lui, [il] répondit : “…C’est que Tellos… a connu une mort des plus glorieuses : au cours de la bataille livrée à Éleusis par les Athéniens à ses voisins, il combattit pour sa patrie, il mit en déroute l’ennemi et périt glorieusement. Les Athéniens l’ont enseveli, aux frais du peuple, au lieu même où il était tombé, et ils lui ont rendu les plus grands honneurs”. »
— Passage dans la traduction de Mme Emmanuèle Blanc (dans « Anthologie de la littérature grecque : de Troie à Byzance (VIIIe siècle av. J.-C.-XVe siècle apr. J.-C.) », éd. Gallimard, coll. Folio-Classique, Paris)
« Tum tertio aut quarto post die, jussu Crœsi, ministri regis circumduxerunt Solonem, thesauros omnes et quidquid inibi magni et opulenti inerat, ostentantes. Quæ cum ille spectasset, et cuncta, ut ei commodum fuerat, esset contemplatus, tali modo eum percunctatus est Crœsus : “Hospes Atheniensis”, inquit, “multa ad nos de te fama manavit, cum 7 sapientiæ tuæ caussa, tum peregrinationis, ut qui sapientiæ studio incumbens multas terras spectandi caussa obieris. Nunc igitur incessit me cupido ex te sciscitandi, ecquem tu adhuc videris omnium hominum beatissimum”. Nempe, quod se ipsum hominum beatissimum esse putaret, idcirco hanc illi quæstionem proposuit. At Solon, nulla usus adsentatione, sed ut res erat respondens : “Ego vero”, inquit, “beatissimum vidi Tellum Atheniensem”. Quod dictum miratus Crœsus, concitate quærit : “Qua tandem ratione Tellum beatissimum judicas ?” Cui ille : “Tellus”, inquit, “…vitæ finem habuit splendidissimum ; nam in prœlio, quod Athenienses cum finitimis ad Eleusinem commiserunt, postquam fortiter pugnavit, hostemque in fugam vertit, honestissima morte defunctus est ; et eodem loco, quo cecidit, publice ab Atheniensibus sepultus est et magnifice honoratus”. »
— Passage dans la traduction latine de Jean Schweighæuser (XIXe siècle)
« Tertioque aut quarto post die, jussu Crœsi, ministri circumduxerunt Solonem circa thesauros : omniaque quæ illic erant magna ac beata, ostentarunt. Eum porro contemplatum cuncta, et ut sibi opportunum fuerat intuitum, talibus percontatus est Crœsus : “Hospes Atheniensis, quia multus ad nos rumor de te emanavit ob tuam sapientiam et ob peregrinationem, quemadmodum studio sapientiæ deditus multam mundi partem videndi studio adieris : ideo mihi nunc cupido incessit sciscitandi ex te, ecquem vidisti omnium beatissimum”. Sperans videlicet se inter homines beatissimum esse, ita sciscitabatur. Solon autem nihil admodum assentatus, sed ut res erat respondens : “Ego vero”, inquit, “o rex, vidi beatissimum Tellum Atheniensem”. Quod dictum admiratus Crœsus instat interrogare : “Qua re Tellum judicas esse beatissimum ? — Quia”, inquit, “…obitus splendidissimus insuper obtigit. Siquidem prœlio quod Athenienses cum finitimis gessere apud Eleusinem, cum auxilio venisset, hostesque in fugam vertisset, pulcherrimam oppetiit mortem. Quem Athenienses, quo loco occubuerat, eo ipso publice humarunt, magnificeque honorarunt”. »
— Passage dans la traduction latine de Laurent Valla, revue par Jacobus Gronovius (XVIIIe siècle)
« Tertioque aut quarto quam venerat die, jussu Crœsi, ministri circumduxerunt hominem circa thesauros : omniaque quæ illic inerant magna ac beata, ostentarunt. Eum porro contemplatum cuncta, et ut sibi opportunum fuerat intuitum, talibus percontatus est Crœsus : “Hospes Atheniensis, quia multus ad nos rumor de te emanavit ob tuam sapientiam tuamque discursationem, qui philosophando per multa videndi gratia es peregrinatus : ideo mihi nunc cupido incessit sciscitandi ex te, ecquem vidisti omnium beatissimum”. Sperans videlicet se inter homines beatissimum esse, ita sciscitabatur. Solon autem nihil admodum assentatus, sed ut res erat respondens : “Ego vero”, inquit, “o rex, vidi beatissimum Tellum Atheniensem”. Quod dictum admiratus Crœsus instat interrogare : “Qua de re Tellum judicas esse beatissimum ? — Quia”, inquit, “…obitus splendidissimus ei obtigit. Siquidem prœlio quod Athenienses cum finitimis gessere apud Eleusinem, cum auxilio venisset, hostemque in fugam vertisset, pulcherrimam oppetiit mortem. Quem Athenienses, quo loco occubuerat, eo ipso publice humarunt, magnificeque honorarunt”. »
— Passage dans la traduction latine de Laurent Valla, revue par Henri Estienne (XVIe siècle)
« Tertioque aut quarto quam venerat die, jussu Crœsi, ministri circumduxerunt hominem circa thesauros : omniaque quæ illic inerant magna atque beata, ostentarunt. Contemplatum eum cuncta, et ut sibi opportunum erat intuitum, talibus percontatus est Crœsus : “Hospes Atheniensis, quia multus ad nos rumor de te emanavit ob tuam sapientiam tuamque discursationem, qui philosophando per multa videndi gratia es peregrinatus : mihi nunc cupido incessit sciscitandi te, ecquem vidisti omnium beatissimum”. Sperans videlicet se inter homines beatissimum esse, ita sciscitabatur. Solon autem nihil admodum assentatus, sed ut res erat respondens : “Ego vero”, inquit, “rex, vidi beatissimum Tellum Atheniensem”. Quod dictum admiratus Crœsus instat interrogare : “Qua de re Tellum judicas esse beatissimum ? — Quod”, inquit, “…obitus splendidissimus obtigit. Siquidem prœlio quod Athenienses cum finitimis gessere apud Eleusinam, hic cum auxilio venisset, hostemque in fugam vertisset, pulcherrimam oppetiit mortem. Quem Athenienses, quo loco occubuerat, in eo loco publice humaverunt, magnificeque honorarunt”. »
— Passage dans la traduction latine de Laurent Valla (XVe siècle)
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- Premier livre de l’« Enquête » dans la traduction de Pierre-Henri Larcher, lu par ~Saperlipopette [Source : Littérature audio].
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- François de La Mothe Le Vayer, « Jugement sur les anciens et principaux historiens grecs et latins, dont il nous reste quelques ouvrages » (XVIIe siècle) [Source : Google Livres]
- Guillaume de Rochefort, « Premier Mémoire sur la morale d’Hérodote • Second Mémoire sur Hérodote comparé à Homère » dans « Mémoires de littérature, tirés des registres de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres. Tome LXXII » (XVIIIe siècle), p. 1-87 [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Guilhem de Clermont-Lodève, baron de Sainte-Croix, « Examen critique des anciens historiens d’Alexandre le Grand » (XVIIIe siècle) [Source : Google Livres].
- En grec « Ἱστορίη ». On rencontre aussi la graphie « Ἱστορία » (« Historia »). Avant de devenir le nom d’un genre, l’« histoire » dans son sens primitif était une enquête sérieuse et approfondie, une recherche intelligente de la vérité.
- En grec Ἡρόδοτος ὁ Ἁλικαρνασσεύς.
- « Traité des lois » (« De legibus »), liv. I, sect. 5.
- « Dialogues de l’orateur » (« De oratore »), liv. II, sect. 55.
- « Voyage du jeune Anacharsis en Grèce. Tome III ».
- « Pour quel respect » s’est dit pour « en récompense de quoi, en retour de quoi ».
- « Cum… tum… » signifie « d’une part… d’autre part… ».