Akutagawa, «La Vie d’un idiot et Autres Nouvelles»

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de «La Vie d’un idiot» («Aru ahô no is­shô» 1) et autres nou­velles d’Akutagawa Ryû­no­suke 2. L’œuvre de cet écri­vain, dis­crè­te­ment in­tel­lec­tuelle, tein­tée d’une iro­nie in­sou­ciante, cache as­sez mal, sous une ap­pa­rence lé­gère et élé­gante, quelque chose de ner­veux, d’obsédant, un sourd ma­laise, une «vague in­quié­tude» («bo­nyari-shita fuan» 3), se­lon les mots mêmes par les­quels Aku­ta­gawa tien­dra à dé­fi­nir le mo­tif de son sui­cide. Pour­tant, de tous les écri­vains ja­po­nais, nul n’était mieux dis­posé qu’Akutagawa à trou­ver re­fuge dans l’art. Il se dé­cri­vait comme avide de lec­ture, ju­ché sur l’échelle d’une li­brai­rie, toi­sant de là-haut les pas­sants qui lui pa­rais­saient étran­ge­ment pe­tits et aussi tel­le­ment mi­sé­rables : «La vie hu­maine ne vaut pas même une ligne de Bau­de­laire!», di­sait-il 4. Très tôt, il avait com­pris que rien de sé­dui­sant ne se fait sans qu’y col­la­bore une dou­leur. L’œuvre d’art, plu­tôt qu’à la pierre pré­cieuse, se com­pare à la flamme qui a be­soin d’un ali­ment vi­vant. Et Aku­ta­gawa mit son hon­neur à s’en faire la vic­time vo­lon­taire. Comme il écrira dans la «Lettre adres­sée à un vieil ami» («Aru kyûyû e okuru shuki» 5) im­mé­dia­te­ment avant sa mort : «Dans cet état ex­trême où je suis, la na­ture me semble plus émou­vante que ja­mais. Peut-être ri­ras-tu de la contra­dic­tion dans la­quelle je me trouve, moi qui, tout en ai­mant la beauté de la na­ture, dé­cide de me sup­pri­mer. Mais la na­ture est belle parce qu’elle se re­flète dans mon ul­time re­gard…» Et Ya­su­nari Ka­wa­bata de com­men­ter : «Le plus sou­vent ma­la­dif et af­fai­bli, [l’artiste] s’enflamme au der­nier mo­ment avant de s’éteindre tout à fait. C’est quelque chose de tra­gique en soi» 6. Le moins qu’on puisse en dire, c’est que c’est jus­te­ment ce «quelque chose de tra­gique» qui exerce sa puis­sante fas­ci­na­tion sur l’âme et sur l’imaginaire des lec­teurs d’Akutagawa. «Ces der­niers sentent que leurs pré­oc­cu­pa­tions pro­fondes — ou plu­tôt… “exis­ten­tielles” — se trouvent sai­sies et par­ta­gées par l’auteur qui, en les pré­ci­sant et en les am­pli­fiant jusqu’à une sorte de han­tise, les pro­jette sur un fond im­pré­gné d’un “spleen” qui lui est par­ti­cu­lier», dit M. Ari­masa Mori 7.

quelque chose de ner­veux, d’obsédant, un sourd ma­laise, une «vague in­quié­tude»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de «La Vie d’un idiot» : «Il se trou­vait au pre­mier étage d’une li­brai­rie. Il avait vingt ans. Per­ché sur une échelle de style eu­ro­péen ap­puyée contre les rayons, il cher­chait de nou­veaux livres. Mau­pas­sant, Bau­de­laire, Strind­berg, Ib­sen, Shaw, Tol­stoï…

Il s’apprêtait à re­des­cendre l’échelle quand, brus­que­ment, une am­poule nue s’alluma juste au-des­sus de sa tête. Im­mo­bile sur son échelle, il re­gar­dait les ven­deurs et les clients qui re­muaient entre les livres. Ils pa­rais­saient étran­ge­ment pe­tits; et aussi tel­le­ment mi­sé­rables! “La vie hu­maine ne vaut pas même une ligne de Bau­de­laire.” Il resta ainsi un ins­tant à les contem­pler du haut de son échelle» 8.

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Georges Bon­neau, «His­toire de la lit­té­ra­ture ja­po­naise contem­po­raine (1868-1938); avec une pré­face de Ki­ku­chi Kan» (éd. Payot, Pa­ris)
  • Mau­rice Pin­guet, «La Mort vo­lon­taire au Ja­pon» (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque des his­toires, Pa­ris)
  • René Sief­fert, «Aku­ta­gawa Ryū­no­suke (1892-1927)» dans «En­cy­clopæ­dia uni­ver­sa­lis» (éd. élec­tro­nique).
  1. En ja­po­nais «或阿呆の一生». Haut
  2. En ja­po­nais 芥川龍之介. Au­tre­fois trans­crit Riu­noské Aku­ta­gawa, Akou­ta­gawa Ryu­no­souké, Akou­ta­gaoua Ryou­no­souké ou Akou­ta­gava Ryou­no­souke. Haut
  3. En ja­po­nais «ぼんやりした不安». Haut
  4. En ja­po­nais «人生は一行のボオドレエルにも若かない». Haut
  1. En ja­po­nais «或旧友へ送る手記». Haut
  2. «Ro­mans et Nou­velles», p. 26. Haut
  3. «Pré­face à “Ra­shô­mon et Autres Contes”», p. 9. Haut
  4. p. 157-158. Haut