Akutagawa, « La Magicienne : nouvelles »

éd. Ph. Picquier, coll. Picquier poche, Arles

éd. Ph. Pic­quier, coll. Pic­quier poche, Arles

Il s’agit des « Pou­pées » (« Hina »1) et autres nou­velles d’Akutagawa Ryû­no­suke2. L’œuvre de cet écri­vain, dis­crè­te­ment in­tel­lec­tuelle, tein­tée d’une iro­nie in­sou­ciante, cache as­sez mal, sous une ap­pa­rence lé­gère et élé­gante, quelque chose de ner­veux, d’obsédant, un sourd ma­laise, une « vague in­quié­tude » (« bo­nyari-shita fuan »3), se­lon les mots mêmes par les­quels Aku­ta­gawa tien­dra à dé­fi­nir le mo­tif de son sui­cide. Pour­tant, de tous les écri­vains ja­po­nais, nul n’était mieux dis­posé qu’Akutagawa à trou­ver re­fuge dans l’art. Il se dé­cri­vait comme avide de lec­ture, ju­ché sur l’échelle d’une li­brai­rie, toi­sant de là-haut les pas­sants qui lui pa­rais­saient étran­ge­ment pe­tits et aussi tel­le­ment mi­sé­rables : « La vie hu­maine ne vaut pas même une ligne de Bau­de­laire ! », di­sait-il4. Très tôt, il avait com­pris que rien de sé­dui­sant ne se fait sans qu’y col­la­bore une dou­leur. L’œuvre d’art, plu­tôt qu’à la pierre pré­cieuse, se com­pare à la flamme qui a be­soin d’un ali­ment vi­vant. Et Aku­ta­gawa mit son hon­neur à s’en faire la vic­time vo­lon­taire. Comme il écrira dans la « Lettre adres­sée à un vieil ami » (« Aru kyûyû e okuru shuki »5) im­mé­dia­te­ment avant sa mort : « Dans cet état ex­trême où je suis, la na­ture me semble plus émou­vante que ja­mais. Peut-être ri­ras-tu de la contra­dic­tion dans la­quelle je me trouve, moi qui, tout en ai­mant la beauté de la na­ture, dé­cide de me sup­pri­mer. Mais la na­ture est belle parce qu’elle se re­flète dans mon ul­time re­gard… » Et Ya­su­nari Ka­wa­bata de com­men­ter : « Le plus sou­vent ma­la­dif et af­fai­bli, [l’artiste] s’enflamme au der­nier mo­ment avant de s’éteindre tout à fait. C’est quelque chose de tra­gique en soi »6. Le moins qu’on puisse en dire, c’est que c’est jus­te­ment ce « quelque chose de tra­gique » qui exerce sa puis­sante fas­ci­na­tion sur l’âme et sur l’imaginaire des lec­teurs d’Akutagawa. « Ces der­niers sentent que leurs pré­oc­cu­pa­tions pro­fondes — ou plu­tôt… “exis­ten­tielles” — se trouvent sai­sies et par­ta­gées par l’auteur qui, en les pré­ci­sant et en les am­pli­fiant jusqu’à une sorte de han­tise, les pro­jette sur un fond im­pré­gné d’un “spleen” qui lui est par­ti­cu­lier », dit M. Ari­masa Mori7.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises des « Pou­pées », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Éli­sa­beth Suet­sugu.

「紀の国屋と申したわたしの家は親代々諸大名のお金御用を勤めて居りましたし,殊に紫竹とか申した祖父は大通の一人にもなつて居りましたから,雛もわたしのではございますが,中々見事に出来て居りました.」

— Dé­but dans la langue ori­gi­nale

« Ma fa­mille, qui porte le nom de Ki­no­ku­niya, avait as­suré de gé­né­ra­tion en gé­né­ra­tion le rôle de créan­cier au­près des dai­myôs, et mon grand-père qui, je crois, s’appelait Shi­chiku, était un homme versé dans les di­ver­tis­se­ments. Au mé­pris de la mo­des­tie qui de­vrait nuan­cer mes pa­roles, force m’est de dire que ces pou­pées, mes pou­pées donc, étaient d’une très belle fa­çon. »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de Mme Suet­sugu

« De­puis des gé­né­ra­tions, notre mai­son, dont la rai­son so­ciale était Ki­no­kuni-ya, prê­tait de l’argent aux sei­gneurs féo­daux. C’est mon grand-père nommé Shi­chiku, homme plein d’expérience et dé­ta­ché des biens de ce monde, qui m’avait donné les pou­pées ; elles étaient néan­moins, je puis le dire, d’une fac­ture ex­cel­lente. »
— Dé­but dans la tra­duc­tion de Serge Elis­seeff8 (dans « Neuf Nou­velles ja­po­naises », éd. Ph. Pic­quier, Arles)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Georges Bon­neau, « His­toire de la lit­té­ra­ture ja­po­naise contem­po­raine (1868-1938) ; avec une pré­face de Ki­ku­chi Kan » (éd. Payot, Pa­ris)
  • Mau­rice Pin­guet, « La Mort vo­lon­taire au Ja­pon » (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque des his­toires, Pa­ris)
  • René Sief­fert, « Aku­ta­gawa Ryū­no­suke (1892-1927) » dans « En­cy­clopæ­dia uni­ver­sa­lis » (éd. élec­tro­nique).
  1. En ja­po­nais «  ». Haut
  2. En ja­po­nais 芥川龍之介. Au­tre­fois trans­crit Riu­noské Aku­ta­gawa, Akou­ta­gawa Ryu­no­souké, Akou­ta­gaoua Ryou­no­souké ou Akou­ta­gava Ryou­no­souke. Haut
  3. En ja­po­nais « ぼんやりした不安 ». Haut
  4. En ja­po­nais « 人生は一行のボオドレエルにも若かない ». Haut
  1. En ja­po­nais « 或旧友へ送る手記 ». Haut
  2. « Ro­mans et Nou­velles », p. 26. Haut
  3. « Pré­face à “Ra­shô­mon et Autres Contes” », p. 9. Haut
  4. On ren­contre aussi les gra­phies Elis­séev et Eli­séev. Haut