![dans « [Nouvelles japonaises]. Tome I. Les Noix, la Mouche, le Citron (1910-1926) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 117-123](https://www.notesdumontroyal.com/image/139-246x400.webp)
dans « [Nouvelles japonaises]. Tome I. Les Noix, la Mouche, le Citron (1910-1926) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 117-123
Il s’agit de « La Foi de Wei Cheng » (« Bisei no shin » 1) d’Akutagawa Ryûnosuke 2. L’œuvre de cet écrivain, discrètement intellectuelle, teintée d’une ironie insouciante, cache assez mal, sous une apparence légère et élégante, quelque chose de nerveux, d’obsédant, un sourd malaise, une « vague inquiétude » (« bonyari-shita fuan » 3), selon les mots mêmes par lesquels Akutagawa tiendra à définir le motif de son suicide. Pourtant, de tous les écrivains japonais, nul n’était mieux disposé qu’Akutagawa à trouver refuge dans l’art. Il se décrivait comme avide de lecture, juché sur l’échelle d’une librairie, toisant de là-haut les passants qui lui paraissaient étrangement petits et aussi tellement misérables : « La vie humaine ne vaut pas même une ligne de Baudelaire ! », disait-il 4. Très tôt, il avait compris que rien de séduisant ne se fait sans qu’y collabore une douleur. L’œuvre d’art, plutôt qu’à la pierre précieuse, se compare à la flamme qui a besoin d’un aliment vivant. Et Akutagawa mit son honneur à s’en faire la victime volontaire. Comme il écrira dans la « Lettre adressée à un vieil ami » (« Aru kyûyû e okuru shuki » 5) immédiatement avant sa mort : « Dans cet état extrême où je suis, la nature me semble plus émouvante que jamais. Peut-être riras-tu de la contradiction dans laquelle je me trouve, moi qui, tout en aimant la beauté de la nature, décide de me supprimer. Mais la nature est belle parce qu’elle se reflète dans mon ultime regard… » Et Yasunari Kawabata de commenter : « Le plus souvent maladif et affaibli, [l’artiste] s’enflamme au dernier moment avant de s’éteindre tout à fait. C’est quelque chose de tragique en soi » 6. Le moins qu’on puisse en dire, c’est que c’est justement ce « quelque chose de tragique » qui exerce sa puissante fascination sur l’âme et sur l’imaginaire des lecteurs d’Akutagawa. « Ces derniers sentent que leurs préoccupations profondes — ou plutôt… “existentielles” — se trouvent saisies et partagées par l’auteur qui, en les précisant et en les amplifiant jusqu’à une sorte de hantise, les projette sur un fond imprégné d’un “spleen” qui lui est particulier », dit M. Arimasa Mori 7.
quelque chose de nerveux, d’obsédant, un sourd malaise, une « vague inquiétude »
Voici un passage qui donnera une idée du style de « La Foi de Wei Cheng » : « Fronçant les sourcils d’un air sombre, Wei Cheng se mit à arpenter d’un pas de plus en plus rapide le banc de sable où rampait l’ombre de la nuit. Pendant ce temps, les eaux de la rivière gagnaient peu à peu, pouce à pouce, pied à pied, le banc de sable, tandis que l’odeur d’algue et d’eau qui montait de la rivière commençait, glaciale, à coller à sa peau. Il leva les yeux : là-bas, au-dessus du pont, la lumineuse clarté du soleil couchant s’était déjà éteinte, et seuls les balustres du parapet de pierre, tout noirs, hachuraient en lignes nettes le ciel bleui de [la] nuit. Mais la femme ne vient toujours pas » 8.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Georges Bonneau, « Histoire de la littérature japonaise contemporaine (1868-1938) ; avec une préface de Kikuchi Kan » (éd. Payot, Paris)
- Maurice Pinguet, « La Mort volontaire au Japon » (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, Paris)
- René Sieffert, « Akutagawa Ryūnosuke (1892-1927) » dans « Encyclopædia universalis » (éd. électronique).
- En japonais « 尾生の信 ».
- En japonais 芥川龍之介. Autrefois transcrit Riunoské Akutagawa, Akoutagawa Ryunosouké, Akoutagaoua Ryounosouké ou Akoutagava Ryounosouke.
- En japonais « ぼんやりした不安 ».
- En japonais « 人生は一行のボオドレエルにも若かない ».
- En japonais « 或旧友へ送る手記 ».
- « Romans et Nouvelles », p. 26.
- « Préface à “Rashômon et Autres Contes” », p. 9.
- p. 122.