
dans « Une Robe de papier pour Xue Tao : choix de textes inédits de littérature chinoise » (éd. Espaces & Signes, Paris), p. 9-13
Il s’agit de Lu You1, un des poètes chinois les plus féconds (XIIe siècle apr. J.-C.). La quantité innombrable des compositions poétiques de Lu You (dix mille de conservées, un nombre égal de perdues) ne manque pas d’étonner, et le sinologue est comme surpris et effrayé quand il voit se déployer devant lui le vaste champ de ces poésies, ne sachant trop quelles limites imposer à son étude ; et surtout, hésitant à faire un choix. Si, dans ce dessein, il se fie au goût des autochtones, c’est-à-dire s’il aborde seulement les poésies regardées comme sublimes par les Chinois, il fera fausse route. Trop souvent, celles-ci ne sont appréciées que pour leurs thèmes patriotiques et leur esprit de résistance, qui serviront de modèles aux « Poésies complètes » d’un Mao Tsé-toung. En vérité, Lu You fut un poète d’une inspiration extrêmement variée. Les fleurs qu’il cueillit furent des plus diverses. Il prit son bien là où il le trouva ; et les proclamations patriotiques de ses débuts ont tendance à s’éclipser, surtout vers la fin de sa vie, devant un éloge des paysages campagnards ou le détachement d’un sage niché au fond des montagnes et forêts : « Son œuvre prolifique tisse la chronique de son quotidien, avec… un penchant inné pour la nature et les joies de la vie campagnarde qui le rapproche de Tao Yuan ming. Sa philosophie de la vie, inspirée par le détachement taoïste, transparaît dans “Adresse à mes visiteurs” : “À l’ombre des mûriers les senteurs de cent herbes / À midi le vent frais le bruit des dévidoirs à soie / Visiteurs, taisez-vous sur les affaires du monde / Et partagez plutôt avec monts et forêts la longue journée d’été” », explique M. Guilhem Fabre2. Lu You appelait son atelier « le nid aux livres » (« shu chao »3). Il n’y recevait pas d’invités et n’y accueillait pas son épouse ni ses enfants. Perchés sur les étagères, alignés par devant, couchés pêle-mêle sur son lit, où qu’on portât le regard, on y voyait des livres. Qu’il mangeât, bût, se levât ou s’assît ; qu’il souffrît ou gémît ; qu’il fût triste ou se mît en colère, ce n’était jamais sans un livre. Si d’aventure il songeait à sortir, le désordre inextricable des livres l’enserrait comme des branches entremêlées, et il ne pouvait avancer. Alors, il disait en riant : « N’est-ce pas là ce que j’appelle mon “nid” ? »4
« Visiteurs, taisez-vous sur les affaires du monde »
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Lu You : « Qui a entendu parler des choses de ce monde ne les connaît pas avec autant de précision que celui qui les a vues ; et celui qui les a vues n’en a pas une compréhension aussi parfaite que celui qui demeure parmi elles. Peut-on donc faire comme nous autres qui nous [nous] tenons à l’extérieur de la clôture à discourir vainement, alors que nous n’avons pas encore édifié la chambre intérieure de la Voie ?
C’est pourquoi j’ai écrit ces mots pour me mettre moi-même en garde »5.
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- Traduction partielle de Sung-nien Hsu (éd. électronique) [Source : Chine ancienne].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « Anthologie de la poésie chinoise classique » (éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris)
- Max Kaltenmark, « Littérature chinoise » dans « Histoire des littératures. Tome I » (éd. Gallimard, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris), p. 1167-1300
- Georges Margouliès, « Histoire de la littérature chinoise. Poésie » (éd. Payot, coll. Bibliothèque historique, Paris).
- En chinois 陸游. Autrefois transcrit Lou Yeou, Lu Yiu ou Lu Yu. À ne pas confondre avec Lu Yu, l’auteur du « Classique du thé », qui vécut quatre siècles plus tôt.
- « Instants éternels : cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine » (éd. La Différence, Paris), p. 261.
- En chinois 書巢.