Sénèque le philosophe, « Lettres à Lucilius. Tome I. Livres I-IV »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Lettres (mo­rales) à Lu­ci­lius »1 (« Ad Lu­ci­lium epis­tulæ (mo­rales) ») de Sé­nèque le phi­lo­sophe2, mo­ra­liste la­tin dou­blé d’un psy­cho­logue, dont les œuvres as­sez dé­cou­sues, mais riches en re­marques in­es­ti­mables, sont « un tré­sor de mo­rale et de bonne phi­lo­so­phie »3. Il na­quit à Cor­doue vers 4 av. J.-C. Il en­tra, par le conseil de son père, dans la car­rière du bar­reau, et ses dé­buts eurent tant d’éclat que le prince Ca­li­gula, qui avait des pré­ten­tions à l’éloquence, ja­loux du bruit de sa re­nom­mée, parla de le faire mou­rir. Sé­nèque ne dut son sa­lut qu’à sa santé chan­ce­lante, mi­née par les veilles stu­dieuses à la lueur de la lampe. On rap­porta à Ca­li­gula que ce jeune phti­sique avait à peine le souffle, que ce se­rait tuer un mou­rant. Et Ca­li­gula se ren­dit à ces rai­sons et se contenta d’adresser à son ri­val des cri­tiques quel­que­fois fon­dées, mais tou­jours mal­veillantes, ap­pe­lant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses dis­cours ora­toires — « de pures ti­rades théâ­trales ». Dès lors, Sé­nèque ne pensa qu’à se faire ou­blier ; il s’adonna tout en­tier à la phi­lo­so­phie et n’eut d’autres fré­quen­ta­tions que des stoï­ciens. Ce­pen­dant, son père, crai­gnant qu’il ne se fer­mât l’accès aux hon­neurs, l’exhorta de re­ve­nir à la car­rière pu­blique. Celle-ci mena Sé­nèque de com­pro­mis en com­pro­mis et d’épreuve en épreuve, dont la plus fa­tale sur­vint lorsqu’il se vit confier par Agrip­pine l’éducation de Né­ron. On sait ce que fut Né­ron. Ja­mais Sé­nèque ne put faire un homme re­com­man­dable de ce sale gar­ne­ment, de ce triste élève « mal élevé, va­ni­teux, in­so­lent, sen­suel, hy­po­crite, pa­res­seux »4. Né­ron en re­vanche fit de notre au­teur un « ami » forcé, un col­la­bo­ra­teur in­vo­lon­taire, un conseiller mal­gré lui, le char­geant de ré­di­ger ses al­lo­cu­tions au sé­nat, dont celle où il re­pré­sen­tait le meurtre de sa mère Agrip­pine comme un bon­heur in­es­péré pour Rome. En l’an 62 apr. J.-C., Sé­nèque cher­cha à échap­per à ses hautes, mais désho­no­rantes fonc­tions. Il de­manda de par­tir à la cam­pagne en re­non­çant à tous ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie gé­né­rale. Mal­gré les re­fus ré­ité­rés de Né­ron, qui se ren­dait compte que la re­traite du pré­cep­teur se­rait in­ter­pré­tée comme un désa­veu de la po­li­tique im­pé­riale, Sé­nèque ne re­cula pas. « En réa­lité, sa vertu lui fai­sait ha­bi­ter une autre ré­gion de l’univers ; il n’avait [plus] rien de com­mun avec vous » (« At illum in aliis mundi fi­ni­bus sua vir­tus col­lo­ca­vit, ni­hil vo­bis­cum com­mune ha­ben­tem »)5. Il se re­tira du monde et des af­faires du monde avec sa femme, Pau­line, et il pré­texta quelque ma­la­die pour ne point sor­tir de chez lui.

« des conseils d’hygiène mo­rale, des for­mules », comme il dit, « de mé­di­ca­tion pra­tique »

Sé­nèque tra­vailla dé­sor­mais pour le compte de la pos­té­rité. Il son­gea à elle en com­po­sant des œuvres qu’il es­pé­rait pro­fi­tables. Il y consi­gna des pré­ceptes de sa­gesse hu­maine à l’usage des hon­nêtes gens, « des conseils d’hygiène mo­rale, des for­mules », comme il dit6, « de mé­di­ca­tion pra­tique, non sans avoir éprouvé leur vertu sur ses propres plaies ». Ja­mais dans l’histoire ro­maine, le be­soin de per­fec­tion­ne­ment mo­ral et per­son­nel ne s’était fait plus vi­ve­ment sen­tir qu’au temps de Sé­nèque. La Ré­pu­blique étant morte, il n’y avait plus de voie ou­verte aux nobles am­bi­tions et aux dé­voue­ments à la pa­trie ; il fal­lait flat­ter sans cesse, se prê­ter aux moindres ca­prices de maîtres dé­bau­chés et cruels. Où trou­ver, au mi­lieu de cette cor­rup­tion am­biante, une paix, une sé­ré­nité et un mi­ni­mum d’idéal sans les­quels, pour l’âme bien née, la vie ne va­lait rien ? Sé­nèque lui-même, ren­fermé dans son re­fuge et éloi­gné des af­faires pu­bliques, put à peine trou­ver ces conso­la­tions, puisque, dès le mo­ment où il ma­ni­festa à Né­ron son dé­sir de s’en éloi­gner, il fut voué à la per­sé­cu­tion et à la mort. Son sui­cide fut digne d’un phi­lo­sophe, ou plu­tôt d’un di­rec­teur de conscience. Car exa­mi­ner ce sage comme un phi­lo­sophe qui au­rait un sys­tème bien dé­ter­miné et suivi, ce se­rait se trom­per. Les païens ont déjà re­mar­qué son peu de goût pour la pure spé­cu­la­tion. Et si les chré­tiens, frap­pés par ses écrits, ont voulu faire de lui un en­fant de l’Église, c’est qu’il as­pi­rait à don­ner aux âmes une dis­ci­pline in­té­rieure, et non des dogmes. « Lorsque le phi­lo­sophe déses­père de faire le bien », ex­plique Di­de­rot dans son ma­gni­fique « Es­sai sur les règnes de Claude et de Né­ron », « il re­nonce à la fonc­tion in­utile et pé­rilleuse… pour s’occuper dans le si­lence et l’obscurité de la re­traite… Il s’exhorte à la vertu et ap­prend à se rai­dir contre le tor­rent des mau­vaises mœurs qui en­traîne au­tour de lui la masse gé­né­rale de la na­tion. [Ainsi] des hommes ver­tueux, re­con­nais­sant la dé­pra­va­tion de notre âge, fuient le com­merce de la mul­ti­tude et le tour­billon des so­cié­tés, avec au­tant de soin qu’ils en ap­por­te­raient à se mettre à cou­vert d’une tem­pête ; et la so­li­tude est un port où ils se re­tirent. Ces sages au­ront beau se ca­cher loin de la foule des per­vers, ils se­ront connus des dieux et des hommes qui aiment la vertu. De cet ho­no­rable exil où ils vivent… ils ver­ront sans en­vie l’admiration du vul­gaire pro­di­guée à des fourbes qui le sé­duisent, et les ré­com­penses des grands ver­sées sur des bouf­fons qui les flattent ou… amusent ».

Il n’existe pas moins de dix-huit tra­duc­tions fran­çaises des « Lettres à Lu­ci­lius », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle d’Henri No­blot.

« Quid tibi vi­tan­dum præ­ci­pue exis­ti­mem, quæ­ris ? Tur­bam ! Non­dum illi tuto com­mit­te­ris. Ego certe confi­te­bor im­be­cil­li­ta­tem meam : nun­quam mores, quos ex­tuli, re­fero. Ali­quid ex eo, quod com­po­sui, tur­ba­tur ; ali­quid ex iis, quæ fu­gavi, re­dit. Quod ægris eve­nit, quos longa im­be­cil­li­tas usque eo af­fe­cit, ut nus­quam sine of­fensa pro­fe­ran­tur, hoc ac­ci­dit no­bis, quo­rum animi ex longo morbo re­fi­ciun­tur. In­imica est mul­to­rum conver­sa­tio. Nemo non ali­quod no­bis vi­tium aut com­men­dat aut im­pri­mit aut nes­cien­ti­bus al­li­nit. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Tu de­mandes ce qu’à mon avis il faut tout d’abord évi­ter ? La foule ! Tu n’es pas en­core en me­sure de t’y ris­quer sans pé­ril. Pour moi, du moins, j’avouerai ma fai­blesse : ja­mais je ne re­gagne mon lo­gis avec le même ca­rac­tère qu’au dé­part. Quelque chose est dé­rangé de mon équi­libre in­té­rieur ; quelque ten­ta­tion ban­nie re­pa­raît. Songe à ces ma­lades qu’un long état de fai­blesse a tel­le­ment éprou­vés, qu’ils ne peuvent être trans­por­tés au-de­hors sans ac­ci­dent : c’est l’histoire de notre âme, long­temps souf­frante, conva­les­cente en­core. La fré­quen­ta­tion du monde ne vaut rien. Il se trouve tou­jours quelqu’un pour nous faire ai­mer le vice, pour l’imprimer en nous, pour nous en com­mu­ni­quer la souillure à notre insu. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de No­blot

« Tu me de­mandes ce qu’il faut sur­tout évi­ter ? C’est la foule. Tu cours en­core des risques en te mê­lant à elle. Moi, du moins, je te fais l’aveu de ma fai­blesse : ja­mais je ne quitte la foule avec le ca­rac­tère que j’avais en al­lant à elle. L’harmonie de mon âme est trou­blée ; les dé­fauts que j’avais chas­sés re­pa­raissent. Ceux qui ont été long­temps ma­lades sont tel­le­ment af­fai­blis, qu’on ne peut sans dom­mage les me­ner quelque part : même chose nous ar­rive à nous dont l’âme se re­met d’une longue ma­la­die. La vie com­mune avec la foule nous est fu­neste. Nous y trou­vons tou­jours quelqu’un pour nous don­ner, à notre insu, l’amour, l’empreinte, les cou­leurs d’un vice. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fran­çois Ri­chard et Pierre Ri­chard (éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

« Que dois-tu dé­ci­der d’éviter avant tout, me de­mandes-tu. La foule ! Tu ne te mê­le­ras pas à elle avec sû­reté. Pour ma part, je t’avouerai ma fai­blesse : ja­mais je n’en rap­porte les mœurs que j’y ai ap­por­tées. Ce que j’avais mis en ordre en moi se trouble ; ce que j’ai fui re­vient. Ce qui ar­rive aux ma­lades qu’une longue pé­riode de fai­blesse a [af­fai­blis], à ce point qu’ils ne peuvent se pré­sen­ter nulle part sans of­fense, se pro­duit en nous dont les âmes se re­mettent d’une longue ma­la­die. C’est notre en­nemi que la fré­quen­ta­tion de la mul­ti­tude. Il n’y a per­sonne qui ne re­com­mande pas quelque dé­faut, l’imprime en nous, l’imprègne en nous à notre insu. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Jé­rôme La­goua­nère (éd. du Ro­cher, coll. Les Grandes Tra­duc­tions, Mo­naco)

« Tu de­mandes ce que tu de­vrais dé­ci­der avant tout d’éviter ? La foule ! Tu ne t’y confie­ras pas en­core avec sû­reté. Quant à moi, du moins, j’avouerai ma fai­blesse : je n’en rap­porte ja­mais les mœurs que j’y ai por­tées. Quelque chose de ce que j’ai or­donné est trou­blé ; quelque chose des maux que j’ai mis en fuite re­vient. Ce qui ar­rive aux ma­lades qu’un long état de fai­blesse a tant éprou­vés, qu’ils ne peuvent être sor­tis nulle part sans dom­mage, se pro­duit pour nous dont les âmes re­lèvent d’une longue ma­la­die. La fré­quen­ta­tion du grand nombre est notre en­ne­mie. Il y a tou­jours quelqu’un pour nous faire va­loir quelque vice, ou l’imprimer en nous, ou, à notre insu, nous en im­pré­gner. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Ma­rie-Ange Jour­dan-Gueyer (éd. Flam­ma­rion, coll. GF, Pa­ris)

« Tu me de­mandes ce que tu dois prin­ci­pa­le­ment évi­ter ? La foule ! Tu ne peux en­core t’y li­vrer im­pu­né­ment. Moi, pour mon compte, j’avouerai ma fai­blesse : ja­mais je ne rentre chez moi tel que j’en suis sorti. Tou­jours quelque trouble que j’avais as­soupi en moi se ré­veille ; quelque ten­ta­tion chas­sée re­pa­raît. Ce qu’éprouvent ces ma­lades ré­duits par un long état de fai­blesse à ne pou­voir sans ac­ci­dent quit­ter le lo­gis, nous ar­rive à nous de qui l’âme est conva­les­cente d’une longue ma­la­die. Il n’est pas bon de se ré­pandre dans une nom­breuse so­ciété. Là tout nous prêche le vice, ou nous l’imprime, ou à notre insu nous en­tache. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jo­seph Baillard, 2e ver­sion (XIXe siècle)

« “Que dois-je le plus évi­ter ?”, me dites-vous. C’est la foule. En ef­fet, il y au­rait en­core du dan­ger à vous y ex­po­ser. Pour moi, du moins, j’avoue ma fai­blesse : je n’en rap­porte ja­mais les mœurs que j’y ai por­tées. Tou­jours quelque ar­ran­ge­ment dé­truit, quelque vice de re­tour. Cer­tains conva­les­cents, épui­sés par de longues souf­frances, ne peuvent sor­tir sans éprou­ver de ma­laise : tel est notre état, à nous dont l’âme re­lève d’une longue ma­la­die. Le grand monde nous est contraire. On nous y fait goû­ter le vice, on nous l’empreint, nous en pre­nons le ver­nis à notre insu… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jean-Pierre Char­pen­tier (XIXe siècle)

« “Que dois-je le plus évi­ter ?”, me dites-vous. La foule ! En ef­fet, il y au­rait en­core du dan­ger à vous y ex­po­ser. Pour moi, du moins, j’avoue ma fai­blesse : je n’en rap­porte ja­mais les mœurs que j’y ai por­tées. J’avais éta­bli un ordre, il est ren­versé ; chassé un vice, il re­vient. Cer­tains conva­les­cents, épui­sés par de longues souf­frances, ne peuvent sor­tir sans éprou­ver de ma­laise : tel est notre état, à nous dont l’âme re­lève d’une longue ma­la­die. Le grand monde nous est contraire. À notre insu, nous en rap­por­tons le goût, l’empreinte, le ver­nis de quelque vice… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jean-Pierre Char­pen­tier, re­vue par Jean-Pierre Char­pen­tier et Fé­lix Le­maistre (XIXe siècle)

« Vous me de­man­dez ce que vous de­vez le plus évi­ter. Le monde ! Vous ne pou­vez en­core vous y ex­po­ser. Moi, du moins, j’avoue ma fai­blesse : je n’en rap­porte ja­mais les mœurs que j’y ai por­tées. J’avais éta­bli un ordre, il est changé ; chassé un vice, il est de re­tour. Il y a des conva­les­cents tel­le­ment af­fai­blis par le mal, qu’ils ne peuvent prendre l’air sans ac­ci­dent : nous sommes de même, nous dont les âmes se re­mettent à peine d’une longue ma­la­die. Le grand monde est nui­sible à notre état. Sans le sa­voir, on en rap­porte le goût, l’empreinte, le ver­nis de quelque vice… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de … La­grange (XVIIIe siècle)

« Vous me de­man­dez ce que vous de­vez le plus évi­ter. La foule ! Vous ne pou­vez en­core vous y ex­po­ser. Moi, du moins, j’avoue ma fai­blesse : je n’en rap­porte ja­mais les mœurs que j’y ai por­tées. J’avais éta­bli un ordre, il est changé ; chassé un vice, il est de re­tour. Il y a des conva­les­cents tel­le­ment af­fai­blis par le mal, qu’ils ne peuvent prendre l’air sans ac­ci­dent : nous sommes de même, nous dont les âmes se re­mettent à peine d’une longue ma­la­die. Une so­ciété nom­breuse est nui­sible à notre état. Sans le sa­voir, on en rap­porte le goût, l’empreinte, le ver­nis de quelque vice… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de … La­grange, re­vue par Fé­lix Ca­det (XVIIIe siècle)

« Vous me de­man­dez ce que vous de­vez évi­ter avec le plus d’attention ? Je vous ré­pon­drai : le grand monde, ou pour dire quelque chose de plus, la co­hue. Je vous avoue­rai ma fai­blesse : je n’en sors ja­mais avec les mœurs que j’y avais ap­por­tées. Les bons des­seins que j’avais for­més se trouvent ou trou­blés ou presque éva­nouis ; les dé­fauts que j’avais chas­sés re­viennent m’attaquer en­core. (la­cune) La conver­sa­tion de tant de monde est un poi­son pour moi. Il y a tou­jours quelque vice qui y do­mine, qui se glisse dans mon âme. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Charles Sa­blier (XVIIIe siècle)

« Vous me de­man­dez ce que vous de­vez prin­ci­pa­le­ment évi­ter. Ce sont les grandes com­pa­gnies. Je n’y trouve point en­core de sû­reté pour vous. J’avoue mon faible : ja­mais je n’en re­viens tel que j’y étais en­tré. Il y a tou­jours quelque mou­ve­ment que j’avais as­soupi qui se ré­veille ; ou quelque pen­sée que j’avais ban­nie qui re­vient. Ce qui ar­rive aux ma­lades af­fai­blis de longue main, que l’on ne sau­rait por­ter de­hors sans leur faire tort, nous ar­rive aussi à nous autres, de qui les es­prits se ré­ta­blissent d’une longue ma­la­die. La conver­sa­tion d’un grand nombre de per­sonnes nous est contraire. On ren­contre tou­jours quelqu’un qui fa­vo­rise le vice, qui nous l’imprime ou qui nous l’insinue… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Pierre Pin­trel, re­vue par Jean de La Fon­taine (XVIIe siècle)

« Vous me de­man­dez ce qu’il me semble que vous de­vez prin­ci­pa­le­ment évi­ter ? La mul­ti­tude ! Vous n’y se­rez pas en­core bien sû­re­ment. Pour moi, je confesse ma fai­blesse : quand je vais en com­pa­gnie, je n’en re­viens ja­mais comme j’y suis allé. Mon équi­page n’est plus en l’ordre où je l’avais mis ; il ne rentre chez moi que quelque chose de ce que j’avais fait sor­tir. Il ar­rive aux es­prits qui se re­mettent de quelque vieille in­dis­po­si­tion comme aux corps qu’une longue ma­la­die a mis si bas, qu’ils ne peuvent prendre si peu d’air qu’ils ne s’en trouvent mal. La conver­sa­tion de beau­coup de gens nous est contraire. Il n’y en a pas un qui ne nous loue de quelque vice, ou ne nous l’imprime, ou ne nous en laisse quelque tache sans que nous nous en aper­ce­vions. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fran­çois de Mal­herbe (XVIIe siècle)

« Vous me de­man­dez ce qu’il me semble que vous de­vez prin­ci­pa­le­ment évi­ter ? La mul­ti­tude ! Car vous n’y se­rez pas en­core sû­re­ment. Pour moi, je confesse ma fai­blesse : quand je vais en com­pa­gnie, je n’en re­viens ja­mais comme j’y suis allé. Mon équi­page n’est plus en l’ordre où je l’avais mis ; il ne rentre chez moi que quelque chose de ce que j’avais fait sor­tir. Il ar­rive aux es­prits qui se re­mettent de quelque vieille in­dis­po­si­tion comme aux corps qu’une longue ma­la­die a mis si bas, qu’ils ne peuvent prendre si peu d’air qu’ils ne s’en trouvent mal. La conver­sa­tion de beau­coup de gens nous est contraire. Il n’y en a pas un qui ne nous loue de quelque vice, ou qui ne nous l’imprime, ou qui ne nous en laisse quelque tache sans que nous nous en aper­ce­vions. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fran­çois de Mal­herbe, re­vue par Pierre Du Ryer (XVIIe siècle)

« De­mandes-tu ce qu’il me semble que tu doives prin­ci­pa­le­ment fuir ? Les as­sem­blées des hommes ! Tu ne t’y pour­rais en­core sû­re­ment fier. Quant à moi, je confesse li­bre­ment ma fai­blesse : je n’en rap­porte ja­mais les mœurs que j’y avais [ap­por­tées] en y al­lant. Quelque chose de ce que j’avais chassé de­hors, re­vient en­core. Et comme ceux qu’une longue ma­la­die a tel­le­ment af­fai­blis, qu’ils ne peuvent sor­tir de­hors sans re­choir7 en quelque mal, il en ad­vient aussi de même en nous, de qui les âmes com­mencent à re­ve­nir d’une longue ma­la­die. La conver­sa­tion et la han­tise de plu­sieurs nous est fort contraire. Il n’y a pas un qui ne nous ap­porte quelque vice ; ou qui ne l’imprime dans nous ; ou, sans que nous y pre­nions garde, qui ne nous en souille. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ma­thieu de Chal­vet (XVIIe siècle)

« Tu de­mandes ce que j’estime que tu dois prin­ci­pa­le­ment fuir ? La mul­ti­tude ! Tu ne t’y sau­rais fier, que tu ne te mettes en ha­sard. De moi, je re­con­nais ma fai­blesse : je n’en rap­porte ja­mais les mœurs que j’y ai por­tées. Une par­tie de ce qui était bien ré­glé en moi se dé­règle ; ce que j’avais chassé au loin re­vient en quelque sorte. Il en prend aux hommes dont les es­prits sont in­fec­tés par longue han­tise avec les autres, comme aux ma­lades qu’une longue ma­la­die a tel­le­ment af­fai­blis, qu’on ne les sau­rait ja­mais re­muer ni tou­cher qu’ils ne crient. Bref, c’est chose dan­ge­reuse de conver­ser avec plu­sieurs. Cet­tui-ci im­prime en nous quelque vice, cet autre-là nous en prête des siens, ou nous en plâtre et souille sans que nous y pen­sions. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Si­mon Gou­lart (XVIe siècle)

« Veux-tu sa­voir ce que j’estime qu’il te faille prin­ci­pa­le­ment fuir ? La tourbe ! Tu ne t’y pour­rais en­core je­ter sans ha­sard. Et pour mon re­gard, je confesse mon im­puis­sance : je n’en rap­porte ja­mais les mœurs que j’y ai ap­por­tées. Il se trouble tou­jours quelque chose de ce que j’avais éta­bli ; et ce que j’avais une fois chassé, re­vient de­re­chef sans que j’y pense. Que cuides-tu que je dis ? Je te dis que je de­viens non seule­ment plus avare, plus am­bi­tieux, plus luxu­rieux, mais plus cruel et plus in­hu­main pour avoir été entre les hommes. Ce qui ad­vient aux ma­lades, qui sont tel­le­ment at­teints d’une longue fai­blesse qu’on ne les re­mue ja­mais sans qu’ils s’en trouvent pis, nous ad­vient aussi à nous, des­quels les es­prits com­mencent à re­ve­nir d’une longue ma­la­die. La fré­quen­ta­tion du peuple nous est contraire. Cha­cun nous prête quelque tache, ou nous l’imprime, ou bien nous la trace et nous la co­lore sans que nous la sen­tions. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Geof­froi de La Chas­sagne, sieur de Pres­sac (XVIe siècle)

« Tu me de­mandes quelle chose prin­ci­pa­le­ment tu penses que dois fuir ? Je te ré­ponds que tourbe et mul­ti­tude de peuple est la chose que prin­ci­pa­le­ment tu dois fuir si tu veux vivre se­lon bonnes mœurs et ver­tus. Je sais certes, Lu­cile, que tu n’es pas si fort ha­bi­tué en ver­tus que tu te puisses en­core sû­re­ment aban­don­ner à mul­ti­tude de peuple. Et je moi-même certes te confes­se­rai ma fai­blesse que, quand je fré­quente grandes com­pa­gnies d’hommes, je ne rap­porte ja­mais mes mœurs ni mes cou­tumes telles comme je les mis hors de mon hô­tel, ains en sont em­pi­rées ou autres qu’elles n’étaient. Des choses que j’avais agen­cées et or­don­nées en moi, au­cune en est trou­blée et émue ; au­cun des vices que j’avais [dé­chas­sés]8 loin de moi, re­tourne de­vers moi. Et la chose qui ad­vient à ceux qui par longue ma­la­die ont été si tour­men­tés et bat­tus que, sans leur faire gre­vance9, on ne les peut trans­por­ter hors de leurs mai­sons en autres, icelle même chose ad­vient à nous hommes qui avons les cou­rages em­poi­son­nés et mé­faits de longue ma­la­die, c’est-à-dire de longue ac­cou­tu­mance de pé­cher et mal faire. La conver­sa­tion de plu­sieurs et di­vers hommes est en­ne­mie à bonnes mœurs et ver­tus. Cha­cun homme avec qui nous conver­sons, nous re­com­mande et loue au­cun vice, c’est à sa­voir le vice à quoi il est en­clin ou à quoi il nous sent in­cli­ner ; au­cun homme nous donne l’empreinte et la forme d’aucun vice par ce que nous lui voyons faire ; au­cun homme nous en­glue d’aucun vice, et si10 n’en sa­vons rien. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Laurent de Pre­mier­fait (XVe siècle)

« “Que dois-je, à ton avis, le plus évi­ter ?”, me de­mandes-tu. La foule ! En ef­fet, tu ne sau­rais en­core t’y ex­po­ser sans dan­ger. Pour moi, du moins, je t’avouerai ma fai­blesse : je n’en rap­porte ja­mais les sen­ti­ments que j’y ai por­tés. Tou­jours quelque pas­sion que j’avais pa­ci­fiée se ré­veille, quelque vice que j’avais chassé re­pa­raît. Ce qui ar­rive à cer­tains ma­lades ré­duits par un long état de fai­blesse à ne pou­voir sans ma­laise être por­tés de­hors, nous ar­rive éga­le­ment, à nous dont les âmes re­lèvent d’une longue ma­la­die. Fu­neste nous est le com­merce avec le grand nombre. Là, per­sonne qui ne prêche le vice, qui ne l’autorise par son exemple, qui ne nous l’imprime ou ne nous en tache, pour ainsi dire, à notre insu. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Paul-Do­mi­nique Ber­nier (XIXe siècle)

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  1. Au­tre­fois tra­duit « Cent Vingt-quatre Épîtres, ou Di­vers Dis­cours phi­lo­so­phiques à Lu­ci­lius » ou « Épîtres ». Haut
  2. En la­tin Lu­cius Annæus Se­neca. Haut
  3. le comte Jo­seph de Maistre, « Œuvres com­plètes. Tome V. Les Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg (suite et fin) ». Haut
  4. René Waltz, « Vie de Sé­nèque » (éd. Per­rin, Pa­ris), p. 160. Haut
  5. « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2. Haut
  1. « Lettres à Lu­ci­lius », lettre VIII, sect. 2. Haut
  2. « Re­choir » s’est dit pour « re­tom­ber ». Haut
  3. « Dé­chas­ser » s’est dit pour « chas­ser au loin, éloi­gner, re­pous­ser ». Haut
  4. « Gre­vance » s’est dit pour « tort, pré­ju­dice, souf­france ». Haut
  5. « Si » s’est dit pour « ce­pen­dant, pour­tant, néan­moins ». Haut