Lu Yu, « Le Classique du thé, “Chajing” »

éd. Payot & Rivages, coll. Rivages poche-Petite Bibliothèque, Paris

éd. Payot & Ri­vages, coll. Ri­vages poche-Pe­tite Bi­blio­thèque, Pa­ris

Il s’agit du « Cha Jing »1 (« Clas­sique du thé »2), le plus an­cien ou­vrage connu sur le thé (VIIIe siècle apr. J.-C.). En Chine, le thé est un pro­duit de consom­ma­tion constante : c’est le breu­vage du pauvre et du riche. Chaque rue compte un cer­tain nombre de mai­sons de thé où, pour quelques sous, le pas­sant trouve une tasse d’un ex­cellent thé pour re­po­ser ses forces et ré­veiller ses es­prits. Au Ja­pon, la pré­pa­ra­tion de cette bois­son est un pré­texte au culte de la pu­reté et du raf­fi­ne­ment, un cé­ré­mo­nial sa­cré où hôte et in­vité s’unissent pour réa­li­ser la plus haute com­mu­nion. Là, l’esprit de l’Extrême-Orient règne sans conteste. « Il ne faut donc ja­mais of­frir de thé à un Ja­po­nais, à moins de vou­loir an­crer dé­fi­ni­ti­ve­ment dans son es­prit l’idée que tout Oc­ci­den­tal est un bar­bare », ex­plique un gas­tro­nome3. C’est sous la dy­nas­tie des Tang4 que le thé de­vint la bois­son or­di­naire et de pre­mière né­ces­sité pour les Chi­nois. Pen­dant une tren­taine de jours par an, des ar­mées de cueilleuses, jeunes filles pour la plu­part, le cueillaient au pe­tit jour et le por­taient en chan­tant. La ca­pi­tale fas­tueuse des Tang, Chang’an5, abri­tait de grands bu­veurs, à la fois poètes et mu­si­ciens, peintres et cal­li­graphes. L’un d’eux, nommé Lu Yu6, se fit l’apôtre ex­clu­sif du thé, et dans son pe­tit ou­vrage, le « Cha Jing », pu­blié en 780 apr. J.-C., il for­mula l’art de cette bois­son qui fait en­core ré­fé­rence : en sou­ve­nir de quoi les mar­chands de thé l’honoreront comme leur dieu tu­té­laire. Le « Cha Jing » traite, en dix cha­pitres, des ori­gines du thé, des étapes de sa fa­bri­ca­tion, des us­ten­siles et des fa­çons de le boire pour ob­te­nir des ef­fets aussi sub­tils et aussi dé­li­cieux que ceux du vin. Mais l’amateur de belles-lettres ne prê­tera de l’intérêt qu’au sep­tième et plus long cha­pitre, qui est une suc­ces­sion d’anecdotes, de bribes de poèmes mê­lant cette bois­son à la vie de di­vers per­son­nages : vé­ri­table piège tendu à la cu­rio­sité.

Il n’existe pas moins de trois tra­duc­tions fran­çaises du « Cha Jing », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Ca­the­rine Des­peux.

「晉元帝時有老姥,每旦獨提一器茗,往市鬻之,市人競買.自旦至夕,其器不減.所得錢散路傍孤貧乞人,人或異之.州法曹縶之獄中.至夜,老姥執所鬻茗器,從獄牖中飛出.」

— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« À l’époque de l’Empereur Yuan des Jin, une vieille femme por­tait chaque ma­tin un ré­ci­pient em­pli de thé qu’elle al­lait vendre au mar­ché. Les gens se bat­taient pour lui en ache­ter, et pour­tant, de tout le jour, son pot ne désem­plis­sait pas. L’argent ga­gné, elle le dis­tri­buait en che­min aux men­diants et aux mi­sé­reux. Les gens trou­vèrent cela sus­pect, et le bu­reau des af­faires ju­di­ciaires de la pré­fec­ture la fit em­pri­son­ner. Dans la nuit, la vieille femme sai­sit son ré­ci­pient de thé et s’envola par la fe­nêtre de sa cel­lule. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Des­peux

« Quand ré­gnait Yuandi des Jin, vi­vait une vieille femme. Au point du jour, elle se pré­pa­rait tou­jours une théière pleine, puis elle ga­gnait la ville pour l’y vendre. Or, bien qu’il y eût des clients en nombre, dans le ré­ci­pient le ni­veau du li­quide res­tait le même, du ma­tin jusqu’au soir. L’argent qui pro­ve­nait de la vente, elle le dis­tri­buait aux or­phe­lins et aux men­diants qu’elle trou­vait sur le bord du che­min. Les gens fi­nirent par s’étonner, et le ma­gis­trat du lieu la fit mettre en pri­son. La nuit même, la vieille prit sa théière et s’envola par la fe­nêtre de sa cel­lule. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Vé­ro­nique Che­va­leyre (« Le “Cha jing”, ou Clas­sique du thé », éd. J.-C. Gaw­se­witch, Pa­ris)

« À l’époque de Yuan Ti de la dy­nas­tie des Chin, il y avait une vieille femme qui, chaque ma­tin, em­plis­sait un ré­ci­pient de thé et le por­tait au mar­ché. Les clients se bous­cu­laient et se dis­pu­taient dans leur pré­ci­pi­ta­tion pour l’acheter. Mais bien qu’elle en ven­dît tout au long de la jour­née, le ré­ci­pient res­tait plein. Cette femme se­mait tout l’argent qu’elle ga­gnait le long des routes pour les or­phe­lins, les pauvres gens et les men­diants. Des voi­sins com­men­cèrent à prendre peur à la vue d’une chose si ex­tra­or­di­naire, et la jus­tice du dis­trict la mit en pri­son. Cette nuit-là, la vieille femme s’envola par la fe­nêtre de sa pri­son sur le ré­ci­pient dans le­quel elle ven­dait son thé. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion in­di­recte de sœur Jean-Ma­rie Vian­ney (« Le Clas­sique du thé : la ma­nière tra­di­tion­nelle de faire le thé et de le boire », éd. Des­clez, West­mount)

Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En chi­nois « 茶經 ». Par­fois trans­crit « Tcha-Tching », « Ch’a Ching », « Cha­king », « Tch’a King » ou « Tch’a Tsing ». Haut
  2. Par­fois tra­duit « Livre du thé » ou « Le Ca­non du thé ». Haut
  3. M. Ma­rin Wagda. Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Haut
  2. Aujourd’hui Xi’an (西安). Au­tre­fois trans­crit Tch’ang-ngan. Haut
  3. En chi­nois 陸羽. Au­tre­fois trans­crit Lou-yu, Lu Jü ou Lu­wuh. À ne pas confondre avec Lu You, le poète de la dy­nas­tie des Song, qui vé­cut quatre siècles plus tard. Haut