Lu You, « Le Vieil Homme qui n’en fait qu’à sa guise : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de Lu You1, un des poètes chi­nois les plus fé­conds (XIIe siècle apr. J.-C.). La quan­tité in­nom­brable des com­po­si­tions poé­tiques de Lu You (dix mille de conser­vées, un nombre égal de per­dues) ne manque pas d’étonner, et le si­no­logue est comme sur­pris et ef­frayé quand il voit se dé­ployer de­vant lui le vaste champ de ces poé­sies, ne sa­chant trop quelles li­mites im­po­ser à son étude ; et sur­tout, hé­si­tant à faire un choix. Si, dans ce des­sein, il se fie au goût des au­toch­tones, c’est-à-dire s’il aborde seule­ment les poé­sies re­gar­dées comme su­blimes par les Chi­nois, il fera fausse route. Trop sou­vent, celles-ci ne sont ap­pré­ciées que pour leurs thèmes pa­trio­tiques et leur es­prit de ré­sis­tance, qui ser­vi­ront de mo­dèles aux « Poé­sies com­plètes » d’un Mao Tsé-toung. En vé­rité, Lu You fut un poète d’une ins­pi­ra­tion ex­trê­me­ment va­riée. Les fleurs qu’il cueillit furent des plus di­verses. Il prit son bien là où il le trouva ; et les pro­cla­ma­tions pa­trio­tiques de ses dé­buts ont ten­dance à s’éclipser, sur­tout vers la fin de sa vie, de­vant un éloge des pay­sages cam­pa­gnards ou le dé­ta­che­ment d’un sage ni­ché au fond des mon­tagnes et fo­rêts : « Son œuvre pro­li­fique tisse la chro­nique de son quo­ti­dien, avec… un pen­chant inné pour la na­ture et les joies de la vie cam­pa­gnarde qui le rap­proche de Tao Yuan ming. Sa phi­lo­so­phie de la vie, ins­pi­rée par le dé­ta­che­ment taoïste, trans­pa­raît dans “Adresse à mes vi­si­teurs” : “À l’ombre des mû­riers les sen­teurs de cent herbes / À midi le vent frais le bruit des dé­vi­doirs à soie / Vi­si­teurs, tai­sez-vous sur les af­faires du monde / Et par­ta­gez plu­tôt avec monts et fo­rêts la longue jour­née d’été” », ex­plique M. Guil­hem Fabre2. Lu You ap­pe­lait son ate­lier « le nid aux livres » (« shu chao »3). Il n’y re­ce­vait pas d’invités et n’y ac­cueillait pas son épouse ni ses en­fants. Per­chés sur les éta­gères, ali­gnés par de­vant, cou­chés pêle-mêle sur son lit, où qu’on por­tât le re­gard, on y voyait des livres. Qu’il man­geât, bût, se le­vât ou s’assît ; qu’il souf­frît ou gé­mît ; qu’il fût triste ou se mît en co­lère, ce n’était ja­mais sans un livre. Si d’aventure il son­geait à sor­tir, le désordre in­ex­tri­cable des livres l’enserrait comme des branches en­tre­mê­lées, et il ne pou­vait avan­cer. Alors, il di­sait en riant : « N’est-ce pas là ce que j’appelle mon “nid” ? »4

Il n’existe pas moins de quatre tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Cheng Wing fun et M. Hervé Col­let.

「衣上征塵雜酒痕,
遠遊無處不消魂.
此身舍是詩人未?
細雨騎驢入劍門.」

— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Sur mes vê­te­ments, la pous­sière du voyage se mêle aux taches de vin
Dans ce pé­riple loin­tain, nulle part où ne sombre mon âme
Ma vie se­rait-elle seule­ment celle d’un poète ?
Une pluie fine tombe quand, che­vau­chant un âne, je fran­chis la passe de l’Épée »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Cheng et M. Col­let

« Sur mon vê­te­ment, la pous­sière des ex­pé­di­tions se mêle aux taches de vin.
Quand on erre au loin, il n’y a pas de lieu qui ne dis­solve pas votre es­prit.
Ma per­sonne convient-elle pour être poète ?
Sous cette pluie fine, che­vau­chant mon âne, j’entre dans la passe de l’Épée. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Jacques Pim­pa­neau (dans « An­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture chi­noise clas­sique », éd. Ph. Pic­quier, Arles)

« Sur mes ha­bits, la pous­sière des che­mins mê­lée aux taches d’alcool,
En ce loin­tain voyage, nul lieu qui n’emporte mon âme.
Suis-je réel­le­ment fait pour être poète ou non ? ,
Sous la brume, à dos d’âne, j’entre par la porte de l’Épée. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Sté­phane Feuillas (dans « An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise », éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris)

« Sur mes vê­te­ments, la pous­sière du che­min se mêle aux taches de vin
En ce loin­tain voyage, nulle part où ne sombre mon âme
Ma vie ne se­rait-elle que celle d’un poète ?
Dans la pluie fine croi­sant à dos d’âne la passe de l’Épée »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Guil­hem Fabre (dans « Ins­tants éter­nels : cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine », éd. La Dif­fé­rence, Pa­ris)

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • « An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise clas­sique » (éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)
  • Max Kal­ten­mark, « Lit­té­ra­ture chi­noise » dans « His­toire des lit­té­ra­tures. Tome I » (éd. Gal­li­mard, coll. En­cy­clo­pé­die de la Pléiade, Pa­ris), p. 1167-1300
  • Georges Mar­gou­liès, « His­toire de la lit­té­ra­ture chi­noise. Poé­sie » (éd. Payot, coll. Bi­blio­thèque his­to­rique, Pa­ris).
  1. En chi­nois 陸游. Au­tre­fois trans­crit Lou Yeou, Lu Yiu ou Lu Yu. À ne pas confondre avec Lu Yu, l’auteur du « Clas­sique du thé », qui vé­cut quatre siècles plus tôt. Haut
  2. « Ins­tants éter­nels : cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine » (éd. La Dif­fé­rence, Pa­ris), p. 261. Haut
  1. En chi­nois 書巢. Haut
  2. « Vi­site chez Lu You, poète chi­nois du XIIe siècle », p. 11. Haut