Il s’agit du Divan (Recueil de poésies) de ‘Omar ibn al Fâridh 1, poète et mystique arabe. Le soufisme, auquel on applique par abus le nom de « mysticisme arabe », a eu peu de racines dans la péninsule arabique et en Afrique. Son apparition a été même décrite comme une réaction du génie asiatique contre le génie arabe. Il arrive que ce mysticisme s’exprime en arabe : voilà tout. Il est persan de tendance et d’esprit. Parmi les rares exceptions à cette règle, il faut compter le poète Ibn al Fâridh, né au Caire l’an 1181 et mort dans la même ville l’an 1235 apr. J.-C. Dans une préface placée à la tête de ses poésies, ‘Ali, petit-fils de ce poète, rapporte sur lui des choses étonnantes, auxquelles on est peu disposé à croire. Il dit qu’Ibn al Fâridh tombait quelquefois en de si violentes convulsions, que la sueur sortait abondamment de tout son corps en coulant jusqu’à ses pieds, et qu’ensuite, frappé de stupeur, le regard fixe, il n’entendait ni ne voyait ceux qui lui parlaient : l’usage de ses sens était complètement suspendu. Il gisait renversé sur le dos, enveloppé comme un mort dans son drap. Il restait plusieurs jours dans cette position, et pendant ce temps, il ne prenait aucune nourriture, ne proférait aucune parole et ne faisait aucun mouvement. Lorsque, sorti de cet étrange état, il pouvait de nouveau converser avec ses amis, il leur expliquait que, tandis qu’ils le voyaient hors de lui-même et comme privé de la raison, il s’entretenait avec Dieu et en recevait les plus grandes inspirations poétiques.
sous l’image la plus séduisante des voluptés terrestres, sont désignées des choses purement spirituelles
Deux causes principales rendent Ibn al Fâridh d’un accès difficile. La première, c’est qu’il arrive souvent à ce poète de pousser à l’excès l’artifice dans ses compositions, de détourner ses pensées de leur sens, et de les envelopper dans des expressions si subtiles et — pour ainsi dire — si impalpables, qu’elles se présentent comme un jeu d’énigmes au lecteur, dont elles sollicitent toutes les facultés de l’esprit. La seconde cause qui contribue à répandre de l’obscurité sur plusieurs de ses poésies, c’est qu’il se plaît aux allégories mystiques et aux paraboles où, sous l’image la plus séduisante des voluptés terrestres, sont désignées des choses purement spirituelles. « Son obscurité n’est pas toujours rachetée par des beautés inattendues ou des traits de génie », dit Silvestre de Sacy 2. « Il ne tombe pas subitement comme Moténabbi, pour se relever ensuite ; mais c’est qu’il s’élève peu. D’ailleurs, il n’offre pas la même variété de sujets, et ceux qu’il traite gagneraient quelquefois à être présentés sous des formes plus simples et moins recherchées. » Mais quel que soit le jugement qu’on porte sur Ibn al Fâridh, on doit ajouter qu’il y a une composition de ce poète qui le préserve de l’oubli, et qui est gravée dans la mémoire de tous les connaisseurs de la poésie arabe. Cette composition a pour titre « La Khamriade » (« Al Khamriya » 3), c’est-à-dire « L’Éloge du vin ». « Les idées en sont ingénieuses, délicates, quelquefois profondes, et toutes sont rendues avec force et précision ; l’auteur a voulu, sous l’emblème du vin et sous des expressions qui frappent les sens…, peindre cette vie contemplative où l’âme des saints s’absorbe toute entière dans la divinité », dit Jean-Baptiste-André Grangeret de Lagrange 4.
Il n’existe pas moins de six traductions françaises du Divan, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Grangeret de Lagrange.
« شربنا على ذكر الحبيب مدامة
سكرنا بها من قبل أن يخلق الكرم
لها البدر كأس وهي شمس يديرها
هلال وكم يبدو إذا مزجت نجم…
ولو طرحوا في فيء حائط كرمها
عليلا وقد أشفى لفارقه السّقم »
— Khamriade dans la langue originale
« Nous avons bu au souvenir de notre bien-aimée un vin délicieux, dont nous fûmes enivrés avant la création de la vigne.
Une coupe brillante comme l’astre de la nuit contient ce vin qui, soleil étincelant, est porté à la ronde par un jeune échanson beau comme un croissant. Oh ! combien d’étoiles resplendissantes s’offrent à nos regards, quand il est mélangé avec de l’eau !…
Si l’on portait un homme que la mort est près de saisir, à l’ombre du mur servant d’enceinte à la plante qui produit cette liqueur, nul doute que son mal ne l’abandonnât au même instant. »
— Khamriade dans la traduction de Grangeret de Lagrange
« Nous avons bu à la mémoire de l’Aimé un Vin
Dont nous nous sommes enivrés avant que la vigne fût créée.
La lune en son disque est sa coupe, il est un soleil que fait passer à la ronde
Un croissant ; mille étoiles scintillent quand on le mélange…
Dépose-t-on au couvert du clos de ses treilles
Un malade à l’agonie, voici que son mal le quitte. »
— Khamriade dans la traduction de M. Jean-Yves L’Hôpital (« Poèmes mystiques », éd. Institut français de Damas, Damas)
« Nous avons bu à la mémoire du bien-aimé un vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne.
Notre verre était la pleine lune. Lui, il est un soleil ; un croissant le fait circuler. Que d’étoiles resplendissent quand il est mélangé !…
Étendu à l’ombre du mur de sa vigne, le malade déjà agonisant retrouverait aussitôt sa force. »
— Khamriade dans la traduction d’Émile Dermenghem (« L’Éloge du vin : poème mystique », éd. Véga, coll. L’Anneau d’or, Paris)
« Nous avons bu,
Au souvenir du Bien-Aimé,
Un Vin
Dont nous nous sommes enivrés
Avant que la Vigne ne fût créée.
La coupe qui le renferme
[Est] disque brillant de la lune,
Le Vin est soleil.
Un croissant lumineux,
Un échanson
Le présente à la ronde.
Avec quel éclat il resplendit,
Lorsqu’au Vin
Se mélangent les étoiles !…
On abandonne un malade
À l’ombre de l’enclos
Où croît sa vigne,
Aussitôt le mal s’enfuit
Loin du moribond. »
— Khamriade dans la traduction de M. René Rizqallah Khawam (dans « La Poésie arabe : des origines à nos jours », éd. Gérard et Cie, coll. Marabout université, Verviers)
« Ce très vieux vin, ô bien-aimé, bu à ton signe,
Nous fit ivres avant la naissance des vignes !
Sa coupe est pleine lune, et lui, soleil que cerne
Un croissant ; tout mélange y verse des étoiles !…
Sous l’enclos de sa vigne, à son ombre étendu,
Un malade, un mourant, de ses maux se répare. »
— Khamriade dans la traduction de M. André Miquel (dans « Du désert d’Arabie aux jardins d’Espagne : chefs-d’œuvre de la poésie arabe classique », éd. Sindbad, coll. La Bibliothèque arabe-Les Classiques, Paris)
« Nous avons bu en mémoire de l’aimé tel vin qui nous fit ivres avant que fût créée la vigne
C’est la pleine lune sa coupe, lui est soleil, un croissant le fait circuler ; mélangé : que d’étoiles !…
Si, à l’ombre du mur de sa vigne, ils étendaient l’extrême malade, celui-ci guérirait »
— Khamriade dans la traduction de M. Salah Stétié (dans « En un lieu de brûlure : œuvres », éd. R. Laffont, coll. Bouquins, Paris, p. 525-527)
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- Joseph Agoub, « Compte rendu sur “Anthologie arabe” » dans « Bulletin des sciences historiques », vol. 9, p. 293-299 [Source : Google Livres]
- Antoine-Isaac Silvestre de Sacy, « Compte rendu sur “Anthologie arabe” » dans « Journal des savants », 1828, p. 464-476 [Source : Google Livres].