Il s’agit du recueil poétique que les Hindous appellent « La Centurie d’Amaru » (« Amaruśataka » 1). On attribue au roi Amaru 2, un roi mystérieux et difficilement identifiable du Cachemire (VIIe siècle apr. J.-C.), cette centaine de stances sensuelles et tendres qui semblent autant d’étincelles jaillies du flambeau même de l’Amour. Les plaisirs amoureux, avec aussi leurs querelles et bouderies, suivies de réconciliations rapides, voilà les thèmes habituels de cette anthologie qui soutiendrait, sans trop de désavantage, le parallèle avec le plus sincère et le plus parfait des lyriques latins : Catulle. Les critiques hindous en général et Ânandavardhana 3 en particulier exaltent l’habileté exceptionnelle avec laquelle Amaru a concentré, dans chaque strophe, des beautés dignes de poèmes bien plus longs, ainsi que l’émotion sympathique et vibrante avec laquelle il a représenté des tableaux, des attitudes, des moments piquants ou attendrissants dans les relations entre l’homme et la femme. Il existe à ce sujet une légende : l’âme d’Amaru, par une action magique (« par le pouvoir du yoga »), se serait logée dans le corps de cent femmes, et ce serait dans ces transmigrations qu’il aurait été initié à tous les mystères de l’Amour. Cette légende agréable prouve, du moins, le grand cas que ses compatriotes font de ses poésies, et la vérité avec laquelle il a su rendre toutes les nuances d’une passion qui, à ce qu’il paraît, est aussi vivement sentie sur les bords du Gange, que sur ceux de la Seine : « Celui qui n’a pas lu “La Centurie” d’Amaru », dit Louis Énault 4, « ne connaît pas toute la littérature sanscrite ; un côté curieux, une face profondément originale de la pensée hindoue lui aura toujours échappé. Je ne prétends point que “La Centurie” ait l’importance poétique du “Râmâyaṇa”, la portée religieuse des Védas, ou le grand intérêt historique du “Mahâbhârata”. Ce serait beaucoup trop dire. Mais Amaru nous fait pénétrer dans une Inde nouvelle, dont nous n’avions pas même le soupçon : l’Inde charmante, vive, spirituelle, voluptueuse et passionnée. Amaru, ce n’est plus le brahmane absorbé dans la contemplation de Dieu… c’est un homme !… Aussi, parce qu’il parle le langage que comprennent tous ceux que la passion a ravagés, ou seulement effleurés… il est lu avec un égal plaisir sur les rives de la Seine ou sur les bords du Gange, à l’ombre des pagodes de Delhi ou dans un boudoir parisien ».
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« L’Épopée de Gilgameš : le grand homme qui ne voulait pas mourir »
Il s’agit de l’« Épopée de Gilgameš », connue dans l’Antiquité par ses mots liminaires « Celui qui a tout vu… », épopée qui, par son ampleur, par sa force, par l’éminent et l’universel de ses thèmes, par la vogue persistante dont elle a joui pendant plus d’un millénaire, mérite assurément d’être considérée comme l’œuvre la plus représentative de la Mésopotamie ancienne 1. Littérairement, elle contient la relation d’un Déluge, d’un Noé, d’un serpent pernicieux, pareils à ceux qui sont racontés dans notre « Genèse » ; elle annonce et prépare les épopées d’idéale perfection, telles que « L’Iliade » et « Râmâyaṇa ». Mais contrairement à ces œuvres, qu’elle précède de nombreux siècles, l’« Épopée de Gilgameš » n’est pas le produit d’une seule époque, ni même d’un seul peuple. Existant sous forme de poèmes séparés dans la littérature sumérienne la plus reculée (IIIe millénaire av. J.-C.), elle prit corps dans une rédaction akkadienne (IIe millénaire av. J.-C.) et déborda largement les frontières de la Babylonie et l’Assyrie, puisque, par de mystérieuses influences, elle fut copiée et adaptée depuis la Palestine jusqu’au cœur de l’Anatolie, à la Cour des rois hittites. Sous sa forme définitive et la plus complète, celle sous laquelle on l’a retrouvée à Ninive, dans les vestiges de la bibliothèque d’Assurbanipal 2 (VIIe siècle av. J.-C.), elle comptait douze tablettes, de quelque trois cents vers chacune. À notre grand regret, « il ne nous en est parvenu, à ce jour, qu’un peu moins des deux tiers », explique M. Jean Bottéro 3. « Mais ces fragments, par pure chance, ont été si raisonnablement distribués tout au long de sa trame que nous en discernons encore assez bien la séquence et la trajectoire ; et même ainsi entrecoupé, ce cheminement nous fascine. »
- Ce pays que les Anciens nommaient Mésopotamie (« entre-fleuves ») correspond à peu près à l’Irak actuel.
- Parfois transcrit Assourbanipal, Ashurbanipal, Aschurbanipal, Achour-bani-pal ou Asurbanipal.