Galland, « Les “Mille et une Nuits” : contes arabes. Tome I »

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Mille et une Nuits» («Alf layla wa-layla» 1), . Ra­re­ment, la de la et les de l’ ont été dé­pen­sés dans une œuvre avec plus de pro­di­ga­lité; et ra­re­ment, une œuvre a eu une réus­site plus écla­tante que celle des «Mille et une Nuits» de­puis qu’elle a été trans­por­tée en par l’orientaliste An­toine Gal­land au com­men­ce­ment du XVIIIe siècle. De là, elle a im­mé­dia­te­ment rem­pli le de sa re­nom­mée, et de­puis, son n’a fait que croître de jour en jour, sans souf­frir ni des ca­prices de la ni du chan­ge­ment des goûts. Quelle ex­tra­or­di­naire fé­con­dité dans ces ! Quelle va­riété! Avec quel in­épui­sable in­té­rêt on suit les en­chan­te­resses de Sind­bad le Ma­rin ou les mer­veilles opé­rées par la lampe d’Aladdin : «C’est dans l’ même que l’enfance du genre hu­main se montre avec toute sa grâce et toute sa naï­veté», dit Édouard Gaut­tier d’Arc 2. «On y cher­che­rait en vain ou ces teintes mé­lan­co­liques du Nord, ou ces al­lu­sions sé­rieuses et pro­fondes [des] Grecs. [Ici], on voit que l’imagination ne s’est mise en œuvre que pour se créer à elle-même des plai­sirs… Ces gé­nies qu’elle a pro­duits, vont ré­pan­dant par­tout les perles, l’, les dia­mants; ils élèvent en un ins­tant des su­perbes; ils livrent à ce­lui qu’ils fa­vo­risent, des hou­ris 3 en­chan­te­resses; ils l’accablent, en un mot, de toutes les jouis­sances, sans qu’il se donne au­cune peine pour les ac­qué­rir. Il faut aux Orien­taux un fa­cile et com­plet; ils le veulent sans nuages, comme le qui les éclaire.»

Et pour­tant, aux yeux des Arabes d’autrefois, ce genre de pro­duc­tion lit­té­raire n’était que de se­cond ordre, et les contes des «Mille et une Nuits» ne leur pa­rais­saient des­ti­nés qu’à oc­cu­per les veillées des bonnes et à rem­plir de chi­mères l’esprit cré­dule des . Contrai­re­ment, en ef­fet, aux re­cueils de séances qui étaient ré­di­gés par des let­trés et ap­pré­ciés d’eux, ces contes n’avaient pas l’origine noble et fière d’autres œuvres arabes, en gé­né­ral plus an­ciennes. Nés à une époque tar­dive à par­tir des «Mille Contes» indo-per­sans dont ils étaient, pour ainsi dire, les bâ­tards 4; in­ca­pables, par la sim­pli­fiée dans la­quelle ils s’exprimaient, de prendre rang entre les mo­dèles de l’ mu­sul­mane; dis­sé­mi­nés par les ca­ra­va­niers qui les col­por­taient au ha­sard des haltes dans les dé­serts de l’ ou les ma­gni­fiques de la , ils ne fai­saient point un tout. Te­nus en piètre es­time en Orient, ils n’ont conquis la sym­pa­thie et la fa­veur uni­ver­selle qu’après leur imi­ta­tion par si bien que «ce se­rait à peine une exa­gé­ra­tion que de consi­dé­rer les “Mille et une Nuits” comme un chef-d’œuvre de la , créé par Gal­land à par­tir des tra­di­tions arabes», comme le dit M. René Po­meau 5.

«C’est dans l’Orient même que l’enfance du genre hu­main se montre avec toute sa grâce et toute sa naï­veté»

Ja­mais peut-être imi­ta­teur ne s’est plus in­ti­me­ment fondu avec son mo­dèle que Gal­land. Il a trans­posé avec tant d’érudition, tant de fi­nesse de flair, tant de lé­gè­reté et de force de en même , que ce qu’il a tiré de l’ est en­tiè­re­ment ; et il semble rendre à la France ce qu’il lui donne pour la pre­mière fois. Je plains ceux qui, de nos jours, ne voient pas le de son tra­vail; qui n’en sont pas tou­chés; qui font l’inventaire de toutes les phrases re­ma­niées, de tous les mots chan­gés de place. Ils comptent les pas du , sans me­su­rer son en­vol.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style des «Mille et une Nuits» : «Sché­hé­ra­zade, en cet en­droit, s’apercevant qu’il était jour, et sa­chant que le sul­tan se le­vait de grand ma­tin pour faire sa prière et te­nir son conseil, cessa de par­ler. “Bon ! ma sœur”, dit alors Di­nar­zade, “que votre conte est ! — La suite est en­core plus sur­pre­nante”, ré­pon­dit Sché­hé­ra­zade, “et vous en tom­be­riez d’accord, si le sul­tan vou­lait me lais­ser vivre en­core aujourd’hui et me don­ner la per­mis­sion de vous la ra­con­ter la pro­chaine”. Schah­riar, qui avait écouté Sché­hé­ra­zade avec plai­sir, dit en lui-même : “J’attendrai jusqu’à de­main; je la fe­rai tou­jours bien mou­rir quand j’aurai en­tendu la fin de son conte”. Ayant donc pris la ré­so­lu­tion de ne pas faire ôter la à Sché­hé­ra­zade ce jour-là, il se leva pour faire sa prière et al­ler au conseil» 6.

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  1. En arabe «ألف ليلة وليلة». Au­tre­fois trans­crit «Alef léï­lét oué-léï­lét», «Alef lei­let we lei­let», «Alef leila wa leila» ou «Alf laila wa-laila». Icône Haut
  2. Pré­face à l’édition de 1822-1823. Icône Haut
  3. Beau­tés cé­lestes qui, se­lon le , se­ront les épouses des fi­dèles. Icône Haut
  1. «Il est… des ou­vrages qui nous sont après avoir été tra­duits des textes de la ou de l’Inde… Tel est le livre in­ti­tulé “Hezâr-af­sân” (“هزار افسان”) ou les “Mille Contes”, car c’est là le sens du mot “af­sân” en . Ce livre est connu dans le pu­blic sous le nom de “Mille et une Nuits”; c’est l’ d’un roi, de son vi­zir, de sa fille et de son es­clave, Shî­râzâd et Dî­nâzâd», dit l’historien Mas­soudi (Xe siècle apr. J.-C.). Icône Haut
  2. «Lit­té­ra­ture fran­çaise : l’âge clas­sique. Tome III». Icône Haut
  3. p. 23. Icône Haut