Kalâbâdhî, « Traité de soufisme : les maîtres et les étapes »

éd. Sindbad, coll. La Bibliothèque de l’islam, Arles

éd. Sind­bad, coll. La Bi­blio­thèque de l’islam, Arles

Il s’agit du « Ki­tâb al-ta‘arruf li-madh­hab ahl al-taṣaw­wuf »1 (« Livre de l’information sur la doc­trine des hommes du sou­fisme »2), l’un des deux plus an­ciens trai­tés de sou­fisme en arabe (Xe siècle apr. J.-C.). « Sans le “Ki­tâb al-ta‘arruf”, nous ne connaî­trions pas vé­ri­ta­ble­ment le sou­fisme », dit Soh­ra­verdi3. L’auteur de ce traité, Abû Bakr Mu­ham­mad, vé­cut, comme son sur­nom de Ka­lâ­bâdhî4 le té­moigne, à Ka­lâ­bâdh, un des quar­tiers de la ville de Bou­khara. En ces temps-là, la cruelle condam­na­tion dont Hal­lâj fut vic­time, fit craindre pour le mou­ve­ment mys­tique dans les cercles qui s’y adon­naient. Aussi Ka­lâ­bâdhî se pro­posa-t-il de mon­trer par écrit que les sou­fis étaient de bons mu­sul­mans, fer­me­ment res­pec­tueux des ar­ticles es­sen­tiels de l’orthodoxie is­la­mique. Pour cha­cun de ces ar­ticles, il ras­sem­bla une sé­rie de pa­roles mé­mo­rables des maîtres mys­tiques, en vers ou en prose, ac­com­pa­gnées de ses propres as­ser­tions et ar­gu­ments. Il se garda pru­dem­ment de nom­mer Hal­lâj ; mais il en re­pro­dui­sit de nom­breuses ci­ta­tions, en les prê­tant ano­ny­me­ment à « un maître im­mi­nent » ou à « un grand soufi ». « En qua­li­fiant le sou­fisme de “madh­hab”, c’est-à-dire [d’“école”] spi­ri­tuelle, in­tel­lec­tuelle et pra­tique avec ses mé­thodes et sa doc­trine spé­ci­fiques, Ka­lâ­bâdhî veut le faire ad­mettre dans le champ du sa­voir is­la­mique fon­da­men­tal, au même titre que la ju­ris­pru­dence et la théo­lo­gie », dit un pro­fes­seur5. Ainsi donc, ce traité apo­lo­gé­tique est l’argumentation un peu sèche que l’on tien­drait en pré­sence de théo­lo­giens et de ju­ristes. Il n’est pas tou­jours d’une lec­ture agréable ; mais il contient des don­nées fon­da­men­tales sur les pre­miers siècles du sou­fisme.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises du « Ki­tâb al-ta‘arruf », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Ro­ger De­la­drière.

« وقال رجل للنّوري : ”ما الدليل على الله ؟“ قال : ”الله“. قال : ”فما العقل ؟“ قال : ”العقل عاجز، والعاجز لا يدل إلا على عاجز مثله“. وقال ابن عطاء : ”العقل آلة للعبوديّة لا للإشراف على الرّبوبيّة“. وقال غيره : ”العقل يجول حول الكون فإذا نظر إلى المكوّن ذاب“. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Quelqu’un de­manda à Nûrî : “Quelle est la preuve qui montre Dieu ? — Dieu”, ré­pon­dit-il. “Qu’est donc alors la rai­son ? — La rai­son est im­puis­sante, et ce qui est im­puis­sant ne sau­rait me­ner qu’à ce qui est im­puis­sant comme lui.” Se­lon Ibn ‘Atâ’ : “La rai­son est un ins­tru­ment des­tiné à la condi­tion du ser­vi­teur (‘ubû­diyya), et il n’est pas fait pour ob­ser­ver la condi­tion du Sei­gneur (ru­bû­biyya)”. Quelqu’un d’autre a dit : “La rai­son par­court le monde ; si elle re­garde vers Ce­lui qui en­gendre le monde, elle se dis­sout”. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. De­la­drière

« Quelqu’un di­sait à al-Nūrī : “Quel est le guide qui mène à Dieu ?” Il ré­pon­dit : “Dieu”. Son in­ter­lo­cu­teur : “Qu’est donc alors la rai­son ?” Al-Nūrī : “La rai­son est im­puis­sante, et ce­lui qui est im­puis­sant ne peut conduire qu’à quelque chose d’impuissant comme lui”. Ibn ‘Aṭā’ a dit : “La rai­son n’est qu’un ins­tru­ment du culte de la ser­vi­tude à l’égard de Dieu ; on n’en sau­rait user pour s’approcher de Sa Sei­gneu­rie”. Et un autre : “La rai­son fait le tour du monde créé ; si par ha­sard elle porte ses re­gards vers le Créa­teur, elle se li­qué­fie”. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de MM. Georges-Che­hata Ana­wati et Louis Gar­det (dans « Mys­tique mu­sul­mane », éd. J. Vrin, coll. Études mu­sul­manes, Pa­ris)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Ar­thur John Ar­berry, « Le Sou­fisme : in­tro­duc­tion à la mys­tique de l’islam » (éd. Ca­hiers du Sud, coll. Do­cu­ments spi­ri­tuels, Pa­ris)
  • De­nis Gril, « [Pré­face fran­çaise] » dans Ka­lâ­bâdhî, « Il Su­fismo nelle pa­role de­gli an­tici » (éd. Of­fi­cina di studi me­die­vali, coll. Ma­china phi­lo­so­pho­rum, Pa­lerme), p. XIII-XV
  • Paul Nwyia, « (al-)Kalābādhī » dans « En­cy­clo­pé­die de l’islam » (éd. E. J. Brill, Leyde).
  1. En arabe « كتاب التعرّف لمذهب أهل التصوّف ». Haut
  2. Par­fois tra­duit « Doc­trine propre à l’école des te­nants du sou­fisme ». Haut
  3. Dans p. 11. Haut
  1. En arabe كلاباذي. Par­fois trans­crit Kalābāḏī. Haut
  2. M. De­nis Gril. Haut