
éd. P. Geuthner, coll. Publications de l’École nationale des langues orientales vivantes, Paris
Il s’agit du « Livre de Gerchâsp » (« Gerchâsp-nâmè » 1), épopée iranienne (XIe siècle apr. J.-C.). Firdousi n’avait pas épuisé toute la masse de souvenirs qui s’étaient conservés sur la chronologie des rois de l’Iran, sur leurs généalogies, sur leurs expéditions et sur leurs biographies ; son « Livre des rois », parce qu’il touchait vivement et directement un sentiment national, trouva une foule d’imitateurs. Presque tous les héros dont Firdousi avait parlé, ainsi que quelques autres qu’il avait négligés, devinrent les sujets d’épopées secondaires, écrites par on ne sait trop qui et on ne sait trop quand. « La longueur excessive de quelques-uns de ces ouvrages prouve non seulement l’abondance des matériaux qui existaient encore, mais aussi l’intérêt que le peuple y mettait : car ces interminables aventures, racontées sans art et sans grâce, n’auraient trouvé ni lecteurs ni auditeurs, si l’intérêt du fond n’eût pas fait supporter la médiocrité de la forme », dit Jules Mohl 2. « Le Livre de Gerchâsp » d’Asadî de Ṭoûs 3 fut la seule épopée de ce cycle secondaire à se rendre illustre et à faire conserver le nom de son auteur. La supériorité de son art est du côté de la description du tumulte des guerres, de la dévastation, du carnage, des feux de l’incendie. Asadî de Ṭoûs fournit quelques détails sur les motifs qui lui firent entreprendre son poème. Il raconte qu’il cherchait un moyen pour que son nom fût connu, lorsque deux personnages vinrent l’exhorter en lui disant : « Firdousi de Ṭoûs, ce cerveau pur, a rendu justice aux discours élégants. Il a orné le monde en écrivant le “Livre des Rois” ; il a cherché la gloire en composant ce poème. Tu es son compatriote, et de même profession : tu as, dans ton discours, des pensées alertes. Au moyen de ce vieux livre qui est notre compagnon, mets en vers une histoire… ! Par la science, tu créeras ainsi un gai jardin qui ne sera jamais vide de fruits. Le monde ne dure éternellement pour personne ; la meilleure chose à en conserver, c’est la bonne renommée, et c’est assez » 4. Il conçut dès lors l’ambition d’égaler ou de surpasser Firdousi.
l’ambition d’égaler ou de surpasser Firdousi
Voici un passage qui donnera une idée de la manière d’Asadî de Ṭoûs : « Quand le faucon de l’aube ouvrit ses ailes, quand le corbeau de la nuit devant lui prit la fuite [c’est-à-dire quand l’aube chassa la nuit], le prince de Kaboul conduisit au combat ses soldats ; les deux rangs se mirent face à face. La lutte s’engagea… ; partout, têtes tombaient, casques étaient à bas. Le monde fut saisi par l’élan des fiers preux ; dans la mer, l’eau prit feu sous les coups de leurs sabres ; toute la plaine… était comme un parterre de tulipes, tant le sang des blessés coulait ; de ces blessés, s’élevait un concert de lamentations ; le corps de l’éléphant était ensanglanté, couvert de javelots, de flèches : on eût dit des plantes qui poussaient sur un mont, dans l’eau rouge » 5.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Henri Massé, « Les Épopées persanes : Firdousi et l’épopée nationale » (éd. Perrin, Paris)
- Jules Mohl, « Préface au “Livre des rois. Tome I” de Firdousi » (XIXe siècle)
- Marijan Molé, « L’Épopée iranienne après Firdōsī » dans « La Nouvelle Clio », vol. 5, p. 377-393.