« Textes mathématiques babyloniens »

éd. E. J. Brill, Leyde

éd. E. J. Brill, Leyde

Il s’agit de textes mé­so­po­ta­miens. La masse im­po­sante de ma­thé­ma­tiques cu­néi­formes, dé­chif­frée, tra­duite et com­men­tée dans les dé­cen­nies 1920-1940 en par Fran­çois Thu­reau-Dan­gin et en par Otto Eduard Neu­ge­bauer, reste as­sez mé­con­nue en de­hors du cercle res­treint des spé­cia­listes. Pour­tant, ces ta­blettes ma­thé­ma­tiques sont un fait cultu­rel unique et pro­di­gieux eu égard à leur , qui re­monte le plus sou­vent à l’ère pa­léo­ba­by­lo­nienne (2004-1595 av. J.-C.) et par­fois avant. Elles té­moignent, dans le ma­nie­ment des , d’un im­mense sa­voir et al­gé­brique, qui ne sera re­dé­cou­vert qu’au IIIe siècle apr. J.-C. par Dio­phante, le «Ba­by­lo­nien hel­lé­nisé», qui lui im­po­sera le moule de la grecque pour en créer l’algèbre; celle-ci sera à son tour re­prise et por­tée à sa par les Arabes au VIIIe-IXe siècle. Ainsi, la mai­son de la de suc­cé­dera, par-delà les siècles, à des mai­sons de la sa­gesse mé­so­po­ta­miennes, dis­pa­rues sous les sables ira­kiens. «Ce n’est pas dans les mi­lieux py­tha­go­ri­ciens de la an­tique, au VIe siècle av. J.-C., que sont nées la théo­rie des nombres et l’arithmétique théo­rique. C’est à Ba­by­lone, au cœur de l’ ac­tuel…» 1 Com­ment ex­pli­quer que la tra­di­tion grecque soit muette à ce su­jet? Au­tant elle se plaît à faire aux Égyp­tiens et à leur -scribe Thoth, aux­quels elle at­tri­bue à tort l’invention «des nombres, du cal­cul, de la et de l’, des [de dames] et de l’» 2; au­tant elle ne dit rien des Mé­so­po­ta­miens, qui en sont les pre­miers maîtres et les vé­ri­tables ins­ti­ga­teurs. Sans les Mèdes, puis les Perses, en pre­nant pos­ses­sion de la dès le VIIe siècle av. J.-C., en ont-ils in­ter­dit l’accès aux Grecs his­to­ri­que­ment, géo­gra­phi­que­ment. Sans doute ces der­niers, éprou­vés par leur de dé­fense contre l’Empire , ont-ils été por­tés à je­ter le dis­cré­dit sur le sa­voir des en­va­his­seurs. Il n’empêche que l’aventure nu­mé­rique dé­bute à Su­mer, Ak­kad et Ba­by­lone, et nulle part ailleurs.

Lorsqu’on parle des ma­thé­ma­tiques mé­so­po­ta­miennes, c’est en pre­mier lieu à leur sa­vant sys­tème de nu­mé­ra­tion que l’on pense, un sys­tème de po­si­tion sexa­gé­si­mal (de base 60), ana­logue à notre sys­tème dé­ci­mal (de base 10). Notre di­vi­sion des heures en 60 mi­nutes, des mi­nutes en 60 se­condes, etc. nous vient de ce sys­tème. Les mi­nutes, les se­condes, etc. ne sont pas «don­nées» par la ; nous ne les di­vi­sons sexa­gé­si­ma­le­ment que parce que les mé­so­po­ta­miens avaient un sys­tème sexa­gé­si­mal. Cet in­com­pa­rable ins­tru­ment dont ils dis­po­saient, était de na­ture à leur apla­nir consi­dé­ra­ble­ment la voie me­nant à la science des nombres : «Avec un sys­tème de nu­mé­ra­tion d’une telle sou­plesse», ex­plique Thu­reau-Dan­gin 3, «les scribes de Su­mer et d’Akkad étaient re­mar­qua­ble­ment pré­pa­rés à l’art de ré­soudre les pro­blèmes nu­mé­riques… Les exemples de pro­blèmes du pre­mier et du se­cond de­gré que nous [al­lons] pas­ser en re­vue, montrent as­sez que [ces] pos­sé­daient tout l’essentiel de la al­gé­brique : ré­duc­tion des termes sem­blables, éli­mi­na­tion d’une in­con­nue par sub­sti­tu­tion… La maî­trise dont ils font preuve est d’autant plus re­mar­quable qu’ils n’avaient pas à leur dis­po­si­tion l’inappréciable res­source des sym­boles et que le sym­bole même de l’inconnue leur fai­sait dé­faut.» Tels qu’ils sont conser­vés, les textes ma­thé­ma­tiques mé­so­po­ta­miens peuvent se ré­par­tir en trois centres d’intérêt, bien que les entre les trois soient as­sez tra­cées : «Le pre­mier est… consti­tué par le cal­cul — non pas le simple ma­nie­ment des opé­ra­tions… mais [un] en­semble des pro­cé­dures déjà , dans les­quelles les scribes ba­by­lo­niens se ré­vèlent [être] des vir­tuoses… Cet ap­port, in­dé­nia­ble­ment le plus ori­gi­nal de [leur] ma­thé­ma­tique, peut être consi­déré comme re­le­vant du cal­cul al­gé­brique. Un se­cond centre d’intérêt consiste dans les pro­prié­tés des nombres, sur les­quelles la pra­tique du cal­cul at­tire né­ces­sai­re­ment l’attention… En­fin l’application des pro­cé­dés al­gé­briques… à des cal­culs por­tant sur des gran­deurs, prin­ci­pa­le­ment de type géo­mé­trique, forme le troi­sième centre d’intérêt», dit M. Mau­rice Ca­veing.

l’aventure nu­mé­rique dé­bute à Su­mer, Ak­kad et Ba­by­lone, et nulle part ailleurs

Voici un pas­sage qui don­nera une idée des textes ma­thé­ma­tiques mé­so­po­ta­miens : «J’ai ad­di­tionné 7 fois le côté de mon carré et 11 fois la sur­face, j’ai trouvé : 6,25 [c’est-à-dire 11𝑥² + 7𝑥 = 6,25]. CALCUL : Tu ins­cri­ras 7 et 11. Tu mul­ti­plie­ras 11 par 6,25 : 68,75. Tu frac­tion­ne­ras 7 en deux : 3,[5]. Tu élè­ve­ras 3,5 au carré : 12,25. Tu ajou­te­ras ce ré­sul­tat à 68,75 : 81. C’est le carré de 9. Tu sous­trai­ras 3,5, que tu as élevé au carré, de 9 : tu ob­tiens 5,5, que tu ins­cri­ras. L’inverse de 11 ne peut être cal­culé, et je dois me po­ser la ques­tion : que dois-je po­ser à 11 qui me donne 5,5 [c’est-à-dire 5,5 = 11𝑥]? RÉPONSE : Son quo­tient 0,5. Le côté de mon carré est 0,5» 4.

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Ro­ger Ca­ra­tini, «Les Ma­thé­ma­ti­ciens de Ba­by­lone» (éd. Presses de la , Pa­ris)
  • Mau­rice Ca­veing, «Es­sai sur le sa­voir ma­thé­ma­tique, dans la Mé­so­po­ta­mie et l’ an­ciennes» (éd. Presses uni­ver­si­taires de Lille, coll. des , Villeneuve-d’Ascq).
  1. Ro­ger Ca­ra­tini, «Les Ma­thé­ma­ti­ciens de Ba­by­lone», p. 174. Icône Haut
  2. Pla­ton, «Phèdre», 274d. Icône Haut
  1. p. XIX & XXXIV. Icône Haut
  2. Dans Ro­ger Ca­ra­tini, «Les Ma­thé­ma­ti­ciens de Ba­by­lone», p. 219. La no­ta­tion sexa­gé­si­male a été trans­po­sée en no­ta­tion dé­ci­male pour fa­ci­li­ter la lec­ture. Icône Haut