Il s’agit de la version hébraïque des « Paraboles de Sendabar sur les ruses des femmes » (« Mishle Sendabar »1), ou mieux « Paraboles de Sindebad », contes d’origine indienne, dont il existe des imitations dans la plupart des langues orientales, et qui, sous le titre de « L’Histoire des sept sages de Rome » (« Historia septem sapientum Romæ »), ont obtenu un très vif succès en Europe occidentale, où les trouvères français en ont fait « Le Roman des sept sages ». Le renseignement le plus ancien et le plus utile que nous ayons sur ces contes, nous est donné par l’historien Massoudi (Xe siècle apr. J.-C.). Dans un chapitre intitulé « Généralités sur l’histoire de l’Inde, ses doctrines, et l’origine de ses royaumes », cet historien attribue le « Livre des sept vizirs, du maître, du jeune homme et de la femme du roi » à un sage indien, contemporain du roi Harṣa Vardhana (VIIe siècle apr. J.-C.), et qu’il nomme Sindebad2. Ainsi donc, c’est en Inde que l’imagination humaine, féconde et exubérante comme la vallée du Gange, a enfanté ces contes ; c’est de l’Inde qu’ils ont pris leur envol en se répandant aux extrémités du monde pour nous amuser et instruire. Et si nous faisons l’effort de remonter de siècle en siècle, de langue en langue — du français au latin, du latin à l’hébreu, de l’hébreu à l’arabe, de l’arabe au pehlvi, du pehlvi au sanscrit — nous arrivons à Sendabar ou Sendabad ou Sindebad ou Sindbad, qu’il ne faut pas confondre du reste avec le marin du même nom dans les « Mille et une Nuits ». Tous ces noms paraissent corrompus. En tout cas, en l’absence du texte original sanscrit, je m’en réfère à la version hébraïque. En voici l’intrigue : Une reine devient amoureuse de son beau-fils, qui rejette les vaines avances de cette femme. Elle en est irritée et l’accuse d’avoir voulu la séduire, un peu comme Phèdre a accusé Hippolyte, ou comme la femme de Putiphar a accusé Joseph. Le roi condamne son fils ; mais, durant une semaine, le jugement demeure suspendu. Chaque jour, l’un des sept sages voués à l’éducation du jeune prince fait au monarque un récit qui a pour but de lui inspirer quelque défiance à l’égard des femmes ; et la reine y répond, chaque jour, par un récit qui doit produire l’effet contraire. Enfin, le prince démontre son innocence, et la reine est condamnée ; mais le jeune homme demande et obtient la grâce de la coupable.
« ותרא הנערה את קצף הנער ותפחד מאד ותאמר בלבה : אם אני לא אמיתהו בתוך שׁבעת הימים האלה הוא ימיתני. ותקם מיד ותקרע בגדיה ותפזר שערותיה ותשׁם ידיה על ראשה ותלך הלוך וזעוק. ותאמר למלך : הלא אמרת, כי בנך אילם, כל זאת בערמה עשׁה עד שהביאני החדרה וביקשׁ לשׁכב עמי. ויחר אף המלך מאד וחמתו בערה בו. ויאמר : טוב להעביר בן נבל כזה מן הארץ מהחיותו לחרפתי. ויצו להמיתו ולהביא ראשׁו לפניו. »
— Passage dans la version originale hébraïque
« La jeune fille remarqua le courroux du jeune homme ; elle en conçut une grande frayeur et pensa en elle-même : “Si je ne le tue pas dans les sept jours, il me tuera”. Aussitôt, elle se leva, déchira ses vêtements, s’arracha les cheveux, se frappa la tête de ses mains, appela au secours, poussa des cris et vint dire au roi : “Tu m’as dit que ton fils était muet, c’était par ruse qu’il a fait cela, pour m’attirer dans un appartement, et puis il a employé tous ses efforts pour me séduire”. Là-dessus, la colère du roi fut violemment excitée ; il s’enflamma de fureur et dit : “Il vaut mieux qu’un fils indigne comme l’est celui-ci disparaisse de la terre, que de le laisser vivre à ma honte”. Et il ordonna de le mettre à mort et de lui porter la tête du coupable. »
— Passage dans la traduction d’Éliacin Carmoly
« Tunc prospexit puella juvenis iram ; qua nimis territa dixit in corde suo : “Si ego non interficio eum in medio istorum septem dierum, me mori faciet”. Et surrexit confestim et scidit vestimenta sua, rumpens capillos, scindens genas cum ungue, et magna voce clamans intravit ad regem et dixit : “Rex magnifice, nonne dixisti filium tuum esse mutum ? Quod mihi non videtur verum ; nam hoc tam diu pro industria fecit donec me in cubiculum duxit, et mecum concumbere quæsivit”. Quo audito Rex turbatus est valde et accendens iram suam in filium ait : “Ad inpudentiam mihi imputabitur, si hoc a me scandalum non ejecero”. Hoc maximo dolore Rex commotus præcepit gladiatoribus morti eum confestim tradere et caput ejus ante præsentiam suam portari. »
— Passage dans une traduction latine anonyme (XIIIe siècle)
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- Traduction d’Éliacin Carmoly (1849) [Source : Google Livres]
- Traduction d’Éliacin Carmoly (1849) ; autre copie [Source : Google Livres]
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- Traduction latine anonyme (1912) [Source : Canadiana]
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Auguste Loiseleur-Deslongchamps, « Essai sur les fables indiennes et sur leur introduction en Europe ; suivi du “Roman des sept sages de Rome” » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- le cardinal François-Désiré Mathieu, « Un Romancier lorrain du XIIe siècle [auteur du “De rege et septem sapientibus”] » dans « Mémoires de l’Académie de Stanislas », vol. 133, no 15, p. 188-245 [Source : Google Livres].