Marc Aurèle, « Pensées »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Pen­sées » de Marc Au­rèle1 (IIe siècle apr. J.-C.). Nul Em­pe­reur ro­main n’eut plus à cœur le bien pu­blic que Marc Au­rèle ; nul prince ita­lien n’apporta plus d’ardeur et plus d’application à l’accomplissement de ses de­voirs. Sa vie bien­fai­sante se passa tout en­tière dans de cruelles épreuves. Il eut à apai­ser, à l’intérieur, des ré­voltes sans cesse re­nais­santes ; il vit la peste dé­vas­ter les pro­vinces les plus flo­ris­santes de l’Italie ; il épuisa ses forces à lut­ter contre les Ger­mains dans des cam­pagnes sans vic­toire dé­ci­sive ; il mou­rut avec le fu­neste pres­sen­ti­ment de l’inévitable ca­tas­trophe dont les peuples bar­bares me­na­çaient l’Empire. À me­sure qu’il s’avança en âge, et que son corps s’affaissa sous les res­pon­sa­bi­li­tés, il res­sen­tit de plus en plus le be­soin de s’interroger dans sa conscience et en lui-même ; de mé­di­ter au jour le jour sous l’impression di­recte des évé­ne­ments ou des sou­ve­nirs ; de se for­ti­fier en re­pre­nant contact avec les quatre ou cinq prin­cipes où se concen­traient ses convic­tions. « Comme les mé­de­cins ont tou­jours sous la main leurs ap­pa­reils et leurs trousses pour les soins à don­ner d’urgence, de même [je] tiens tou­jours prêts les prin­cipes grâce aux­quels [je] pour­rai connaître les choses di­vines et hu­maines », dit-il dans un pas­sage ad­mi­rable2. Ce fut au cours de ses toutes der­nières ex­pé­di­tions que, campé sur les bords sau­vages du Da­nube, pro­fi­tant de quelques heures de loi­sir, il ré­di­gea en grec, en so­li­loque avec lui-même, les pages im­mor­telles des « Pen­sées » qui ont ré­vélé sa belle âme, sa vertu aus­tère, sa pro­fonde mé­lan­co­lie. « À soi-même » (« Ta eis heau­ton »3) : tel est le vé­ri­table titre de son ou­vrage. « Ja­mais on n’écrivit plus sim­ple­ment pour soi, à seule fin de dé­char­ger son cœur, sans autre té­moin que Dieu. Pas une ombre de sys­tème. Marc Au­rèle, à pro­pre­ment par­ler, n’a pas de phi­lo­so­phie ; quoiqu’il doive presque tout au stoï­cisme trans­formé par l’esprit ro­main, il n’est d’aucune école », dit Er­nest Re­nan4. En ef­fet, la phi­lo­so­phie de Marc Au­rèle ne re­pose sur autre chose que sur la rai­son. Elle ré­sulte du simple fait d’une conscience mo­rale aussi vaste, aussi éten­due que l’Empire au­quel elle com­mande. Son thème fon­da­men­tal, c’est le rat­ta­che­ment de l’homme, si chan­ce­lant et si pas­sa­ger, à l’univers per­pé­tuel et di­vin, à la « chère cité de Zeus » (« po­lis philê Dios »5) — rat­ta­che­ment qui lui ré­vèle le de­voir de la vertu et qui l’associe à l’œuvre ma­gni­fi­que­ment belle, sou­ve­rai­ne­ment juste de la créa­tion : « Je m’accommode de tout ce qui peut t’accommoder, ô monde !… Tout est fruit pour moi de ce que pro­duisent tes sai­sons, ô na­ture ! Tout vient de toi, tout est en toi, tout rentre en toi »6. Et plus loin : « Ma cité et ma pa­trie, en tant qu’Antonin, c’est Rome ; en tant qu’homme, c’est le monde »7. Comme Ham­let de­vant le crâne, Marc Au­rèle se de­mande ce que la na­ture a fait des os d’Alexandre et de son mu­le­tier. Il a des images et des tri­via­li­tés sha­kes­pea­riennes pour peindre l’inanité des choses : « Dans un ins­tant, tu ne se­ras plus que cendre ou sque­lette, et un nom — ou plus même un nom… un vain bruit, un écho ! Ce dont on fait tant de cas dans la vie, c’est du vide, pour­ri­ture, mes­qui­ne­ries, chiens qui s’entre-mordent »8.

Il n’existe pas moins de quinze tra­duc­tions fran­çaises des « Pen­sées », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle d’Amédée-Ildefonse Tran­noy.

« Ὄρθρου, ὅταν δυσόκνως ἐξεγείρῃ, πρόχειρον ἔστω, ὅτι ἐπὶ ἀνθρώπου ἔργον ἐγείρομαι. Ἔτι οὖν δυσκολαίνω, εἰ πορεύομαι ἐπὶ τὸ ποιεῖν, ὧν ἕνεκεν γέγονα καὶ ὧν χάριν προῆγμαι εἰς τὸν κόσμον ; ἢ ἐπὶ τοῦτο κατεσκεύασμαι, ἵνα κατακείμενος ἐν στρωματίοις ἐμαυτὸν θάλπω ; — Ἀλλὰ τοῦτο ἥδιον. — Πρὸς τὸ ἥδεσθαι οὖν γέγονας ; ὅλως δὲ οὐ πρὸς πεῖσιν ἢ πρὸς ἐνέργειαν ; Οὐ βλέπεις τὰ φυτάρια, τὰ στρουθάρια, τοὺς μύρμηκας, τοὺς ἀράχνας, τὰς μελίσσας τὸ ἴδιον ποιούσας, τὸ καθ’ αὑτὰς συγκοσμούσας κόσμον ; ἔπειτα σὺ οὐ θέλεις τὰ ἀνθρωπικὰ ποιεῖν ; οὐ τρέχεις ἐπὶ τὸ κατὰ τὴν σὴν φύσιν ; »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Le ma­tin, quand il te coûte de te ré­veiller, que cette pen­sée te soit pré­sente : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Vais-je donc être en­core de mé­chante hu­meur, parce que je pars ac­com­plir ce à cause de quoi je suis fait, en vue de quoi j’ai été mis dans le monde ? Suis-je consti­tué à cet ef­fet, de res­ter cou­ché et me te­nir au chaud sous mes cou­ver­tures ? — C’est plus agréable ! — Es-tu donc fait pour l’agrément ? Et en gé­né­ral, es-tu fait pour la pas­si­vité ou pour l’activité ? Ne vois-tu pas que les plantes, les pas­se­reaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles font leurs tâches propres et contri­buent pour leur part au bon agen­ce­ment du monde ? Alors toi, tu ne veux pas faire ce qui convient à l’homme ? Tu ne cours pas à la tâche qui est conforme à ta na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Tran­noy

« À l’aurore, lorsque tu te ré­veilles pé­ni­ble­ment, aie toute prête cette pen­sée : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Vais-je donc en­core m’irriter, si je m’en vais faire ce pour quoi je suis né et ai été amené au monde ? Est-ce pour res­ter au chaud, cou­ché dans mes cou­ver­tures, que j’ai été formé ? — Mais c’est plus agréable ! — Est-ce donc pour le plai­sir que tu es né ? N’est-ce pas pour agir ? Ne vois-tu pas les plantes, les moi­neaux, les four­mis, les abeilles faire leur be­sogne propre, ap­por­tant leur part à l’ordre du monde ? Alors, ne veux-tu pas faire la be­sogne de l’homme ? Ne vas-tu pas te pres­ser d’agir confor­mé­ment à ta na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Émile Bré­hier, re­vue par M. Jean Pé­pin (« Pen­sées » dans « Les Stoï­ciens », éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris, p. 1133-1247)

« Le ma­tin, quand tu as de la peine à te ré­veiller, aie cette pen­sée pré­sente à l’esprit : je m’éveille pour faire œuvre d’homme ; m’irriterai-je en­core à l’idée d’aller faire ce pour quoi je suis né ? ou bien ai-je été créé pour res­ter cou­ché bien au chaud sous mes cou­ver­tures ? — Mais c’est plus agréable. — Es-tu donc né pour l’agrément ? Et pour tout dire, es-tu fait pour te lais­ser al­ler ou pour agir ? Ne vois-tu donc pas les plantes, les moi­neaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles faire leur tra­vail et contri­buer, à leur ma­nière, à l’ordre du monde ? Et après cela, tu re­fuses, toi, d’accomplir ce qui est l’œuvre de l’homme ? Tu ne te hâtes pas vers l’action conforme à ta na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Léon-Louis Gra­te­loup (« So­li­loques », éd. Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche-Clas­siques de la phi­lo­so­phie, Pa­ris)

« Le ma­tin, quand tu as peine de te ré­soudre à sor­tir du lit, prends in­con­ti­nent cette pen­sée que tu dois avoir toute prête : je me lève pour al­ler faire l’office de l’ouvrage d’un homme ; dois-je donc me por­ter lâ­che­ment et avec re­gret à faire ce pour quoi je suis né et pour quoi je suis en­tré au monde ? Suis-je fait et des­tiné pour être dans un lit et me te­nir chau­de­ment entre des cou­ver­tures ? — Mais cela est bien plus vo­lup­tueux. — Es-tu donc né pour la vo­lupté, et non pas pour agir et faire quelque ou­vrage ? Ne vois-tu pas les pe­tites plantes, les pas­se­reaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles qui cha­cune, à leur égard, ornent et pa­rent le monde par leur tra­vail ? Et toi, ne fe­ras-tu pas le mé­tier d’un homme ? Ne te pres­se­ras-tu pas de faire ce que [de­mandent] ta na­ture et ta condi­tion ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Be­ne­dikt-Jes­per Krus, dit Be­noît-Jo­seph Krus (« Pen­sées mo­rales de soi et à soi-même », XVIIe siècle)

« Le ma­tin, quand tu es pa­res­seux à te ré­veiller, pense à cette maxime : c’est pour une tâche d’homme que je m’éveille ! Vais-je donc en­core m’affliger de mar­cher à l’exécution du tra­vail pour le­quel j’existe, et en vue du­quel j’ai été mis au monde ? Ou n’ai-je été créé que pour m’allonger dans mes cou­ver­tures et me te­nir au chaud ? — Mais c’est plus agréable ! — Est-ce donc pour le plai­sir que tu es né ? N’est-ce donc pas, en dé­fi­ni­tive, pour agir, pour faire montre d’énergie ? Re­garde les plantes, les pas­se­reaux, les arai­gnées, les abeilles : Ne font-ils pas leur tâche propre ? Ne contri­buent-ils pas, se­lon leur pou­voir, à l’ordre uni­ver­sel ? Et après cela, tu ne veux pas, toi, faire ce qui est de l’homme ? Tu ne cours pas à ce qui est conforme à la na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Aimé-Prosper Le­mer­cier (« Les Pen­sées », éd. F. Al­can, Pa­ris)

« Au pe­tit jour, lorsqu’il t’en coûte de t’éveiller, aie cette pen­sée à ta dis­po­si­tion : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Se­rai-je donc en­core de mé­chante hu­meur si je vais faire ce pour quoi je suis né et ce en vue de quoi j’ai été mis dans le monde ? Ou bien, ai-je été formé pour res­ter cou­ché et me te­nir au chaud sous mes cou­ver­tures ? — Mais c’est plus agréable ! — Es-tu donc né pour te don­ner de l’agrément ? Et somme toute, es-tu fait pour la pas­si­vité ou pour l’activité ? Ne vois-tu pas que les ar­bustes, les moi­neaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles rem­plissent leur tâche res­pec­tive et contri­buent, pour leur part, à l’ordre du monde ? Et toi, après cela, tu ne veux pas faire ce qui convient à l’homme ? Tu ne cours point à la tâche qui est conforme à la na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ma­rio Meu­nier (« Pen­sées pour moi-même », éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

« Le ma­tin, quand tu as de la peine à te ré­veiller, dis-toi : je me ré­veille pour mon tra­vail d’homme. Se peut-il que je sois de mau­vaise hu­meur alors que je vais ac­com­plir la tâche pour la­quelle je suis né ? Suis-je consti­tué pour res­ter cou­ché bien au chaud sous les cou­ver­tures ? — Mais c’est agréable ! — Es-tu né pour l’agrément ? Au­tre­ment dit, es-tu fait pour su­bir ou pour agir ? Ne vois-tu pas les plantes, les moi­neaux, les four­mis, les arai­gnées et les abeilles ac­com­plir la tâche qui leur in­combe dans l’agencement du monde ? Et toi, tu re­fuses d’accomplir celles de l’homme ? Tu ne te pré­ci­pites pas vers ce qui est conforme à ta na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Fré­dé­rique Verv­liet (« Pen­sées pour moi-même », éd. Ar­léa, coll. Re­tour aux grands textes, Pa­ris)

« Le ma­tin, quand tu as de la peine à te ré­veiller, aie cette pen­sée pré­sente à l’esprit : je m’éveille pour faire œuvre d’homme ; m’irriterai-je en­core à l’idée d’aller faire ce pour quoi je suis né et pour quoi j’ai été mis dans le monde ? ou bien ai-je été créé pour jouir de la cha­leur, cou­ché dans mes cou­ver­tures ? — Mais c’est plus agréable. — Es-tu donc né pour ce qui est agréable ? Pour tout dire, es-tu un être pas­sif ou fait pour l’action ? Ne vois-tu pas les plantes, les pe­tits oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles faire leur tra­vail, et à leur ma­nière, contri­buer à l’œuvre d’où sort le monde ? Et après cela, tu re­fuses, toi, de faire ce qui est l’œuvre de l’homme ? Tu ne te hâtes pas vers l’action conforme à ta na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Auguste Couat (« Pen­sées », éd. Fé­ret et fils, Bor­deaux)

« Le ma­tin, quand tu as de la peine à te le­ver, voici la ré­flexion que tu dois avoir pré­sente à l’esprit : je me lève pour faire mon œuvre d’homme ; je vais rem­plir les de­voirs pour les­quels je suis né et j’ai été en­voyé en ce monde. Pour­quoi donc faire tant de dif­fi­cul­tés ? Ai-je été créé pour res­ter ainsi chau­de­ment sous des cou­ver­tures ? — Mais cela me fait plus de plai­sir ! — Es-tu donc né pour le plai­sir uni­que­ment ? N’est-ce pas au contraire pour tou­jours tra­vailler et tou­jours agir ? Ne vois-tu pas que les plantes, les oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles concourent, cha­cune dans leur ordre, à l’ordre uni­ver­sel ? Et toi, tu re­fu­se­rais d’accomplir tes fonc­tions d’homme ! Tu ne t’élancerais pas avec ar­deur à ce qui est si conforme à ta na­ture ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire (« Pen­sées », XIXe siècle)

« Le ma­tin, lorsque tu as de la peine à t’arracher au som­meil, fais aus­si­tôt cette ré­flexion : j’ai un tra­vail d’homme à faire ; c’est pour cela que je m’éveille. Eh quoi ! je n’irai qu’à contre­cœur aux oc­cu­pa­tions pour les­quelles je suis né, pour les­quelles j’ai été en­voyé dans ce monde ! N’ai-je été créé que pour res­ter chau­de­ment au lit sous mes cou­ver­tures ? — Mais, dis-tu, cela fait plus de plai­sir. — Est-ce donc pour avoir du plai­sir que tu as reçu le jour ? N’est-ce pas en un mot pour agir et pour tra­vailler ? Ne vois-tu pas les plantes, les pe­tits oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles s’appliquer à leur lâche, contri­buer pour leur part à l’harmonie du monde ? Et toi, tu re­fuses de rem­plir tes fonc­tions d’homme ; tu ne cours pas au tra­vail que la na­ture te pres­crit ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Pierre Com­me­lin (« Pen­sées », éd. Gar­nier frères, Pa­ris)

« Le ma­tin, quand tu as de la peine à te le­ver, qu’il te vienne in­con­ti­nent dans l’esprit : je me lève pour faire l’ouvrage d’un homme. Suis-je donc en­core fâ­ché d’aller faire une chose pour la­quelle je suis né et pour la­quelle je suis venu dans le monde ? N’ai-je donc été formé que pour me te­nir bien chau­de­ment étendu dans mon lit ? — Mais cela fait plai­sir. — Tu es donc né pour te don­ner du plai­sir, et non pas pour agir et pour tra­vailler ? Ne vois-tu pas les plantes, les oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles ? Elles tra­vaillent sans re­lâche à or­ner et à em­bel­lir leur état, et toi tu né­gliges d’embellir le tien ! tu ne cours point aux choses aux­quelles la na­ture t’a des­tiné ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Anne Da­cier et An­dré Da­cier (« Ré­flexions mo­rales », XVIIe siècle)

« Le ma­tin, lorsque tu sens de la peine à te le­ver, fais aus­si­tôt cette ré­flexion : je m’éveille pour faire l’ouvrage d’un homme ; dois-je être fâ­ché d’aller faire les ac­tions pour les­quelles je suis né, pour les­quelles j’ai été en­voyé dans le monde ? N’ai-je été créé que pour res­ter chau­de­ment cou­ché entre deux draps ? — Mais cela fait plus de plai­sir ! — C’est donc pour avoir du plai­sir que tu as reçu le jour, et non pour agir ou pour tra­vailler ? Vois ces plantes, ces oi­seaux, ces four­mis, ces arai­gnées, ces abeilles, qui de concert en­ri­chissent le monde cha­cun de son ou­vrage : Et toi, tu re­fuses de faire tes fonc­tions d’homme ? Tu ne cours point à ce que ta na­ture exige ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jean-Pierre de Joly (« Pen­sées, ou Le­çons de vertu que ce prince phi­lo­sophe se fai­sait à lui-même », XVIIIe siècle)

« Le ma­tin, lorsque tu sens de la peine à te le­ver, fais cette ré­flexion : je m’éveille pour faire œuvre d’homme ; pour­quoi donc éprou­ver du cha­grin de ce que je vais faire les choses pour les­quelles je suis né, pour les­quelles j’ai été en­voyé dans le monde ? Suis-je donc né pour res­ter chau­de­ment cou­ché sous mes cou­ver­tures ? — Mais cela fait plus de plai­sir. — Tu es donc né pour te don­ner du plai­sir ? Ce n’est donc pas pour agir, pour tra­vailler ? Ne vois-tu pas les plantes, les pas­se­reaux, les four­mis, les arai­gnées, rem­plis­sant cha­cun sa fonc­tion, et ser­vant se­lon leur pou­voir à l’harmonie du monde ! Et après cela, tu re­fuses de faire ta fonc­tion d’homme ? Tu ne cours point à ce qui est conforme à ta na­ture ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Alexis Pier­ron (« Pen­sées », XIXe siècle)

« Le ma­tin, quand tu as peine à te le­ver, aie cette idée pré­sente : je me lève pour faire œuvre d’homme. Pour­quoi se­rais-je cha­grin, quand je vais faire ce pour quoi je suis né et ce pour quoi j’ai été en­voyé en ce monde ? Ai-je été formé pour me te­nir au chaud, cou­ché sous mes cou­ver­tures ? — Mais c’est plus agréable. — Es-tu donc né pour te don­ner l’agréable ? N’est-ce pas, en somme, pour agir ou faire ef­fort ? Ne vois-tu pas les plantes, les oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles faire cha­cun leur tra­vail propre, et concou­rir se­lon leur pou­voir à l’ordre du monde ? Et après cela, toi, tu ne veux pas faire ton tra­vail d’homme ? Tu ne cours pas à ce qui est conforme à ta na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Gus­tave Mi­chaut (« Pen­sées », éd. A. Fon­te­moing, Pa­ris)

« Quand tu t’éveilles à re­gret au ma­tin, il te faut promp­te­ment pen­ser que tu te lèves pour faire quelque œuvre hu­maine. Par­tant, di­ras-tu, je m’en vais faire à re­gret ce pour quoi je suis né et venu en ce monde. Ai-je été fait à ce que, cou­ché dans un lit, je m’échauffe ? — Quoi, ceci n’est-il pas plus plai­sant et dé­lec­table ? — Es-tu donc né à vo­lupté, et non au tra­vail ? Ne vois-tu pas… les pe­tits pas­se­reaux, les four­mis, les arai­gnées, les mouches à miel en­ten­tives9 à leur de­voir ? Et tu re­fuses ce [qui] af­fiert10 et at­touche [à] l’homme ; et ne t’emploies à ce [qui] est conve­nable à ta na­ture ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Par­doux Du Prat (« Ins­ti­tu­tion de la vie hu­maine », XVIe siècle)

« Mane cum gra­va­tim a somno sur­gis, in promptu tibi sit co­gi­tare, te ad hu­ma­num opus fa­cien­dum sur­gere. Itaque ergo, dices, gra­vate ac­cedo ad agenda ea, quo­rum causa na­tus sum, ac prop­ter quæ in hunc veni mun­dum ? Sci­li­cet in hoc fac­tus [sum], ut de­cum­bens in lecto me ip­sum ca­le­fa­ciam ? — At­qui hoc ju­cun­dius est. — Er­gone ad vo­lup­ta­tem na­tus es, non ad agen­dum ? Non vides plan­tu­las, pas­ser­cu­los, for­mi­cas, ara­neas, apes, sin­gula hæc suo in­tenta of­fi­cio ? Tu vero ea quæ sunt ho­mi­nis, obire re­cu­sas ; neque ad id te confers, quod na­turæ tuæ conve­nit ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Wil­helm Holz­man, dit Gui­liel­mus Xy­lan­der (« De seipso seu vita sua », XVIe siècle)

« Mane cum gra­va­tim exur­gis, in promptu sit te­cum hoc modo dis­se­rere : ad opus hu­ma­num jam ex­per­gis­cor. Num vero ægre fe­ram, si ad ea agenda pro­fi­cis­cor, quo­rum gra­tia na­tus et in mun­dum pro­duc­tus sum ? Aut nun­quid ad hoc condi­tus sum, ut stra­gu­lis in­vo­lu­tum de­cum­bens me fo­veam ? — At hoc, in­quis, oblec­tat ma­gis. — Nun­quid ergo ad oblec­tan­dum te na­tus es, non au­tem ad fa­cien­dum aut agen­dum ali­quid ? An non ar­bus­cu­las, avi­cu­las, for­mi­cas, ara­neas, api­cu­las vides eam quam in mundo sta­tio­nem ob­tinent, ex­co­lere sa­ta­gentes ? Tu au­tem, quæ ho­mi­nis sunt, fa­cere re­cu­sas ; et non pro­pe­ras po­tius ad id, quod na­turæ tuæ conve­nit ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Tho­mas Ga­ta­ker (« De re­bus suis », XVIIe siècle)

« Mane cum gra­va­tim ex­per­gis­ce­ris, promp­tum sit hoc : ad ho­mi­nis opus ex­per­gis­cor. Quid igi­tur mo­leste fero, quod pergo ad ea agenda, quo­rum causa na­tus sum, quo­rum causa in mun­dum veni ? An vero ad hoc na­tus sum, ut in stra­gu­lis de­cum­bens me fo­veam ? — At hoc ma­gis de­lec­tat. — Ad de­lec­ta­tio­nem igi­tur na­tus es, non ad agen­dum seu opus fa­cien­dum ? Vi­desne ar­bus­cu­las, pas­ser­cu­los, for­mi­cas, ara­neas, apes, cum quod sui of­fi­cii est, fa­ciant, suum exor­nantes mun­dum ? Itane tu ea, quæ ho­mi­num sunt, fa­cere re­cu­sas ; non pro­pe­ras ad id, quod se­cun­dum tuam na­tu­ram est ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Jo­hann Mat­thias Schultz, 2e ver­sion (« Com­men­ta­rii quos ipse sibi scrip­sit », XIXe siècle)

« Mane cum gra­va­tim ex­sur­gis, in promptu sit : ad opus hu­ma­num ex­per­gis­cor. Numne igi­tur adhuc ægre fe­ram, me pro­fi­cisci ad agenda ea, quo­rum causa na­tus sum, quo­rum gra­tia in hunc mun­dum veni ? Aut num­quid ea na­tus sum lege, ut de­cum­bens in stra­gu­lis me ipse fo­veam ? — At hoc ma­gis de­lec­tat. — Er­gone ad de­lec­ta­tio­nem na­tus es, nec om­nino ad agen­dum ope­ran­dumve ? Vi­desne ar­bus­cu­las, pas­ser­cu­los, for­mi­cas, ara­neas apesque suo fun­gentes mu­nere, quan­tum in ip­sis est, mun­dum exor­nare ? Itane tu, quæ ho­mi­nis sunt, fa­cere re­cu­sas ; neque pro­pe­ras ad id, quod na­turæ tuæ conve­nit ? »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Jo­hann Mat­thias Schultz, 1re ver­sion (« Com­men­ta­rii quos ipse sibi scrip­sit », XIXe siècle)

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  1. En la­tin Mar­cus Au­re­lius An­to­ni­nus. Au­tre­fois trans­crit Marc An­to­nin. Haut
  2. liv. III, ch. XI. Haut
  3. En grec « Τὰ εἰς ἑαυτόν ». Haut
  4. « Marc-Au­rèle et la Fin du monde an­tique », p. 262. Haut
  5. En grec « πόλις φίλη Διός ». Haut
  1. liv. IV, ch. XXIII. Haut
  2. liv. VI, ch. XLIV. Haut
  3. liv. V, ch. XXXIII. Haut
  4. « En­ten­tif à » s’est dit pour « at­ten­tif à, oc­cupé à ». Haut
  5. « Af­fé­rir à » s’est dit pour « conve­nir à ; se rap­por­ter à, être af­fé­rent à ». Haut