Marc Aurèle, « Pensées »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de , Pa­ris

Il s’agit des «Pen­sées» de Marc Au­rèle 1 (IIe siècle apr. J.-C.). Nul Em­pe­reur n’eut plus à cœur le bien pu­blic que Marc Au­rèle; nul prince n’apporta plus d’ardeur et plus d’application à l’accomplissement de ses . Sur­nommé «le phi­lo­sophe», il avait sou­vent à la bouche cette sen­tence de Pla­ton que les ne se­ront ja­mais heu­reux «tant que les ne se­ront pas rois, ou que ceux qu’on ap­pelle aujourd’hui , ne se­ront pas vrai­ment et sé­rieu­se­ment phi­lo­sophes» 2. Ce­pen­dant, sa bien­fai­sante se passa tout en­tière dans de cruelles épreuves. Il vit la dé­vas­ter les les plus flo­ris­santes de l’; il épuisa ses forces à lut­ter contre les Ger­mains dans des cam­pagnes sans vic­toire dé­ci­sive; il mou­rut avec la fu­neste pré­mo­ni­tion de l’inévitable ca­tas­trophe dont les peuples me­na­çaient l’Empire. À me­sure qu’il s’avança en âge, et que son s’affaissa sous les res­pon­sa­bi­li­tés, il res­sen­tit de plus en plus le be­soin de s’interroger dans sa et en lui-même; de mé­di­ter au jour le jour sous l’impression di­recte des évé­ne­ments ou des sou­ve­nirs; de se for­ti­fier en re­pre­nant contact avec les quatre ou cinq prin­cipes où se concen­traient ses convic­tions. «Comme les ont tou­jours sous la main leurs ap­pa­reils et leurs trousses pour les soins à don­ner d’urgence, de même [je] tiens tou­jours prêts les prin­cipes grâce aux­quels [je] pour­rai connaître les choses di­vines et hu­maines», dit-il dans un pas­sage ab­so­lu­ment ad­mi­rable 3. Ce fut au cours de ses toutes der­nières ex­pé­di­tions que, campé sur les bords sau­vages du Da­nube, pro­fi­tant de quelques heures de loi­sir, il ré­di­gea en , en so­li­loque avec lui-même, les pages im­mor­telles des «Pen­sées» qui ont ré­vélé sa belle , sa aus­tère, sa pro­fonde . «À -même» («Ta eis heau­ton» 4), tel est le vé­ri­table titre de ce «jour­nal». «Ja­mais on n’écrivit plus sim­ple­ment pour soi, à seule fin de dé­char­ger son cœur, sans autre té­moin que . Pas une ombre de sys­tème. Marc Au­rèle, à pro­pre­ment par­ler, n’a pas de ; quoiqu’il doive presque tout au trans­formé par l’esprit ro­main, il n’est d’aucune école», dit Er­nest Re­nan 5. En ef­fet, la phi­lo­so­phie de Marc Au­rèle ne re­pose sur autre chose que sur les pres­crip­tions de la ; elle ré­sulte du fait d’une aussi vaste, aussi éten­due que l’Empire au­quel elle com­mande. Son thème fon­da­men­tal, c’est le rat­ta­che­ment de l’individu, si chan­ce­lant et si pas­sa­ger, à l’univers per­pé­tuel et di­vin, à la «chère cité de Zeus» («po­lis philê Dios» 6) — rat­ta­che­ment qui lui ré­vèle ses de­voirs et qui l’associe à l’œuvre ma­gni­fi­que­ment belle, sou­ve­rai­ne­ment juste de la créa­tion : «Je m’accommode de tout ce qui peut t’accommoder, ô !… Tout est fruit, pour , de ce que pro­duisent tes sai­sons, ô ! Tout vient de toi, tout est en toi, tout rentre en toi» 7. Et aussi : «Ma cité et ma pa­trie, en tant qu’Antonin, c’est ; en tant qu’, c’est le monde» 8. Comme Ham­let de­vant le crâne, Marc Au­rèle se met à rê­ver sur ce que sont de­ve­nus les os d’Alexandre et de son mu­le­tier; il a des tri­via­li­tés sha­kes­pea­riennes pour peindre l’instabilité et l’inanité des choses : «Dans un ins­tant, tu ne se­ras plus que cendre ou sque­lette, et un nom — ou plus même un nom… — un vain bruit, un écho! Ce dont on fait tant de cas dans la vie, c’est du vide, pour­ri­ture, mes­qui­ne­ries, chiens qui s’entre-mordent» 9.

Il n’existe pas moins de seize tra­duc­tions fran­çaises des «Pen­sées», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle d’Amédée-Ildefonse Tran­noy.

«Ὄρθρου, ὅταν δυσόκνως ἐξεγείρῃ, πρόχειρον ἔστω, ὅτι ἐπὶ ἀνθρώπου ἔργον ἐγείρομαι. Ἔτι οὖν δυσκολαίνω, εἰ πορεύομαι ἐπὶ τὸ ποιεῖν, ὧν ἕνεκεν γέγονα καὶ ὧν χάριν προῆγμαι εἰς τὸν κόσμον; ἢ ἐπὶ τοῦτο κατεσκεύασμαι, ἵνα κατακείμενος ἐν στρωματίοις ἐμαυτὸν θάλπω; — Ἀλλὰ τοῦτο ἥδιον. — Πρὸς τὸ ἥδεσθαι οὖν γέγονας; ὅλως δὲ οὐ πρὸς πεῖσιν ἢ πρὸς ἐνέργειαν; Οὐ βλέπεις τὰ φυτάρια, τὰ στρουθάρια, τοὺς μύρμηκας, τοὺς ἀράχνας, τὰς μελίσσας τὸ ἴδιον ποιούσας, τὸ καθ’ αὑτὰς συγκοσμούσας κόσμον; ἔπειτα σὺ οὐ θέλεις τὰ ἀνθρωπικὰ ποιεῖν; οὐ τρέχεις ἐπὶ τὸ κατὰ τὴν σὴν φύσιν;»
— Pas­sage dans la ori­gi­nale

«Le ma­tin, quand il te coûte de te ré­veiller, que cette te soit pré­sente : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Vais-je donc être en­core de mé­chante hu­meur, parce que je pars ac­com­plir ce à cause de quoi je suis fait, en vue de quoi j’ai été mis dans le monde? Suis-je consti­tué à cet ef­fet, de res­ter cou­ché et me te­nir au chaud sous mes cou­ver­tures? — C’est plus agréable! — Es-tu donc fait pour l’agrément? Et en gé­né­ral, es-tu fait pour la pas­si­vité ou pour l’activité? Ne vois-tu pas que les , les pas­se­reaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles font leurs tâches propres et contri­buent pour leur part au bon agen­ce­ment du monde? Alors toi, tu ne veux pas faire ce qui convient à l’homme? Tu ne cours pas à la tâche qui est conforme à ta na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Tran­noy

«À l’aurore, lorsque tu te ré­veilles pé­ni­ble­ment, aie toute prête cette pen­sée : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Vais-je donc en­core m’irriter, si je m’en vais faire ce pour quoi je suis né et ai été amené au monde? Est-ce pour res­ter au chaud, cou­ché dans mes cou­ver­tures, que j’ai été formé? — Mais c’est plus agréable! — Est-ce donc pour le plai­sir que tu es né? N’est-ce pas pour agir? Ne vois-tu pas les plantes, les moi­neaux, les four­mis, les abeilles faire leur be­sogne propre, ap­por­tant leur part à l’ordre du monde? Alors, ne veux-tu pas faire la be­sogne de l’homme? Ne vas-tu pas te pres­ser d’agir confor­mé­ment à ta na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Émile Bré­hier, re­vue par M. Jean Pé­pin («Pen­sées» dans «Les Stoï­ciens», éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris, p. 1133-1247)

«Le ma­tin, quand tu as de la peine à te ré­veiller, aie cette pen­sée pré­sente à l’esprit : je m’éveille pour faire œuvre d’homme; m’irriterai-je en­core à l’idée d’aller faire ce pour quoi je suis né? ou bien ai-je été créé pour res­ter cou­ché bien au chaud sous mes cou­ver­tures? — Mais c’est plus agréable. — Es-tu donc né pour l’agrément? Et pour tout dire, es-tu fait pour te lais­ser al­ler ou pour agir? Ne vois-tu donc pas les plantes, les moi­neaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles faire leur tra­vail et contri­buer, à leur ma­nière, à l’ordre du monde? Et après cela, tu re­fuses, toi, d’accomplir ce qui est l’œuvre de l’homme? Tu ne te hâtes pas vers l’action conforme à ta na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Léon-Louis Gra­te­loup («So­li­loques», éd. Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche-Clas­siques de la phi­lo­so­phie, Pa­ris)

«Le ma­tin, quand tu as peine de te ré­soudre à sor­tir du lit, prends in­con­ti­nent cette pen­sée que tu dois avoir toute prête : je me lève pour al­ler faire l’office de l’ouvrage d’un homme; dois-je donc me por­ter lâ­che­ment et avec re­gret à faire ce pour quoi je suis né et pour quoi je suis en­tré au monde? Suis-je fait et des­tiné pour être dans un lit et me te­nir chau­de­ment entre des cou­ver­tures? — Mais cela est bien plus vo­lup­tueux. — Es-tu donc né pour la vo­lupté, et non pas pour agir et faire quelque ou­vrage? Ne vois-tu pas les pe­tites plantes, les pas­se­reaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles qui cha­cune, à leur égard, ornent et pa­rent le monde par leur tra­vail? Et toi, ne fe­ras-tu pas le mé­tier d’un homme? Ne te pres­se­ras-tu pas de faire ce que [de­mandent] ta na­ture et ta condi­tion?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Be­ne­dikt-Jes­per Krus, dit Be­noît-Jo­seph Krus («Pen­sées mo­rales de soi et à soi-même», XVIIe siècle)

«Le ma­tin, quand tu es pa­res­seux à te ré­veiller, pense à cette maxime : c’est pour une tâche d’homme que je m’éveille! Vais-je donc en­core m’affliger de mar­cher à l’exécution du tra­vail pour le­quel j’existe, et en vue du­quel j’ai été mis au monde? Ou n’ai-je été créé que pour m’allonger dans mes cou­ver­tures et me te­nir au chaud? — Mais c’est plus agréable! — Est-ce donc pour le plai­sir que tu es né? N’est-ce donc pas, en dé­fi­ni­tive, pour agir, pour faire montre d’énergie? Re­garde les plantes, les pas­se­reaux, les arai­gnées, les abeilles : Ne font-ils pas leur tâche propre? Ne contri­buent-ils pas, se­lon leur pou­voir, à l’ordre uni­ver­sel? Et après cela, tu ne veux pas, toi, faire ce qui est de l’homme? Tu ne cours pas à ce qui est conforme à la na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Aimé-Prosper Le­mer­cier («Les Pen­sées», éd. F. Al­can, Pa­ris)

«Au pe­tit jour, lorsqu’il t’en coûte de t’éveiller, aie cette pen­sée à ta dis­po­si­tion : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Se­rai-je donc en­core de mé­chante hu­meur si je vais faire ce pour quoi je suis né et ce en vue de quoi j’ai été mis dans le monde? Ou bien, ai-je été formé pour res­ter cou­ché et me te­nir au chaud sous mes cou­ver­tures? — Mais c’est plus agréable! — Es-tu donc né pour te don­ner de l’agrément? Et somme toute, es-tu fait pour la pas­si­vité ou pour l’activité? Ne vois-tu pas que les ar­bustes, les moi­neaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles rem­plissent leur tâche res­pec­tive et contri­buent, pour leur part, à l’ordre du monde? Et toi, après cela, tu ne veux pas faire ce qui convient à l’homme? Tu ne cours point à la tâche qui est conforme à la na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ma­rio Meu­nier («Pen­sées pour moi-même», éd. Gar­nier , coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

«Le ma­tin, quand tu as de la peine à te ré­veiller, dis-toi : je me ré­veille pour mon tra­vail d’homme. Se peut-il que je sois de mau­vaise hu­meur alors que je vais ac­com­plir la tâche pour la­quelle je suis né? Suis-je consti­tué pour res­ter cou­ché bien au chaud sous les cou­ver­tures? — Mais c’est agréable! — Es-tu né pour l’agrément? Au­tre­ment dit, es-tu fait pour su­bir ou pour agir? Ne vois-tu pas les plantes, les moi­neaux, les four­mis, les arai­gnées et les abeilles ac­com­plir la tâche qui leur in­combe dans l’agencement du monde? Et toi, tu re­fuses d’accomplir celles de l’homme? Tu ne te pré­ci­pites pas vers ce qui est conforme à ta na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Fré­dé­rique Verv­liet («Pen­sées pour moi-même», éd. Ar­léa, coll. Re­tour aux grands textes, Pa­ris)

«Le ma­tin, quand tu as de la peine à te ré­veiller, aie cette pen­sée pré­sente à l’esprit : je m’éveille pour faire œuvre d’homme; m’irriterai-je en­core à l’idée d’aller faire ce pour quoi je suis né et pour quoi j’ai été mis dans le monde? ou bien ai-je été créé pour jouir de la , cou­ché dans mes cou­ver­tures? — Mais c’est plus agréable. — Es-tu donc né pour ce qui est agréable? Pour tout dire, es-tu un être pas­sif ou fait pour l’action? Ne vois-tu pas les plantes, les pe­tits , les four­mis, les arai­gnées, les abeilles faire leur tra­vail, et à leur ma­nière, contri­buer à l’œuvre d’où sort le monde? Et après cela, tu re­fuses, toi, de faire ce qui est l’œuvre de l’homme? Tu ne te hâtes pas vers l’action conforme à ta na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Auguste Couat («Pen­sées», éd. Fé­ret et fils, Bor­deaux)

«Le ma­tin, quand tu as de la peine à te le­ver, voici la ré­flexion que tu dois avoir pré­sente à l’esprit : je me lève pour faire mon œuvre d’homme; je vais rem­plir les de­voirs pour les­quels je suis né et j’ai été en­voyé en ce monde. Pour­quoi donc faire tant de dif­fi­cul­tés? Ai-je été créé pour res­ter ainsi chau­de­ment sous des cou­ver­tures? — Mais cela me fait plus de plai­sir! — Es-tu donc né pour le plai­sir uni­que­ment? N’est-ce pas au contraire pour tou­jours tra­vailler et tou­jours agir? Ne vois-tu pas que les plantes, les oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles concourent, cha­cune dans leur ordre, à l’ordre uni­ver­sel? Et toi, tu re­fu­se­rais d’accomplir tes fonc­tions d’homme! Tu ne t’élancerais pas avec ar­deur à ce qui est si conforme à ta na­ture!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire («Pen­sées», XIXe siècle)

«Le ma­tin, lorsque tu as de la peine à t’arracher au som­meil, fais aus­si­tôt cette ré­flexion : j’ai un tra­vail d’homme à faire; c’est pour cela que je m’éveille. Eh quoi! je n’irai qu’à contre­cœur aux oc­cu­pa­tions pour les­quelles je suis né, pour les­quelles j’ai été en­voyé dans ce monde! N’ai-je été créé que pour res­ter chau­de­ment au lit sous mes cou­ver­tures? — Mais, dis-tu, cela fait plus de plai­sir. — Est-ce donc pour avoir du plai­sir que tu as reçu le jour? N’est-ce pas en un mot pour agir et pour tra­vailler? Ne vois-tu pas les plantes, les pe­tits oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles s’appliquer à leur lâche, contri­buer pour leur part à l’harmonie du monde? Et toi, tu re­fuses de rem­plir tes fonc­tions d’homme; tu ne cours pas au tra­vail que la na­ture te pres­crit?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Com­me­lin («Pen­sées», éd. Gar­nier frères, Pa­ris)

«Le ma­tin, quand tu as de la peine à te le­ver, qu’il te vienne in­con­ti­nent dans l’esprit : je me lève pour faire l’ouvrage d’un homme. Suis-je donc en­core fâ­ché d’aller faire une chose pour la­quelle je suis né et pour la­quelle je suis venu dans le monde? N’ai-je donc été formé que pour me te­nir bien chau­de­ment étendu dans mon lit? — Mais cela fait plai­sir. — Tu es donc né pour te don­ner du plai­sir, et non pas pour agir et pour tra­vailler? Ne vois-tu pas les plantes, les oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles? Elles tra­vaillent sans re­lâche à or­ner et à em­bel­lir leur état, et toi tu né­gliges d’embellir le tien! tu ne cours point aux choses aux­quelles la na­ture t’a des­tiné!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Anne Da­cier et An­dré Da­cier («Ré­flexions mo­rales», XVIIe siècle)

«Le ma­tin, lorsque tu sens de la peine à te le­ver, fais aus­si­tôt cette ré­flexion : je m’éveille pour faire l’ouvrage d’un homme; dois-je être fâ­ché d’aller faire les ac­tions pour les­quelles je suis né, pour les­quelles j’ai été en­voyé dans le monde? N’ai-je été créé que pour res­ter chau­de­ment cou­ché entre deux draps? — Mais cela fait plus de plai­sir! — C’est donc pour avoir du plai­sir que tu as reçu le jour, et non pour agir ou pour tra­vailler? Vois ces plantes, ces oi­seaux, ces four­mis, ces arai­gnées, ces abeilles, qui de concert en­ri­chissent le monde cha­cun de son ou­vrage : Et toi, tu re­fuses de faire tes fonc­tions d’homme? Tu ne cours point à ce que ta na­ture exige?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jean-Pierre de Joly («Pen­sées, ou Le­çons de vertu que ce prince phi­lo­sophe se fai­sait à lui-même», XVIIIe siècle)

«Le ma­tin, lorsque tu sens de la peine à te le­ver, fais cette ré­flexion : je m’éveille pour faire œuvre d’homme; pour­quoi donc éprou­ver du de ce que je vais faire les choses pour les­quelles je suis né, pour les­quelles j’ai été en­voyé dans le monde? Suis-je donc né pour res­ter chau­de­ment cou­ché sous mes cou­ver­tures? — Mais cela fait plus de plai­sir. — Tu es donc né pour te don­ner du plai­sir? Ce n’est donc pas pour agir, pour tra­vailler? Ne vois-tu pas les plantes, les pas­se­reaux, les four­mis, les arai­gnées, rem­plis­sant cha­cun sa fonc­tion, et ser­vant se­lon leur pou­voir à l’harmonie du monde! Et après cela, tu re­fuses de faire ta fonc­tion d’homme? Tu ne cours point à ce qui est conforme à ta na­ture!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Alexis Pier­ron («Pen­sées», XIXe siècle)

«Le ma­tin, quand tu as peine à te le­ver, aie cette idée pré­sente : je me lève pour faire œuvre d’homme. Pour­quoi se­rais-je cha­grin, quand je vais faire ce pour quoi je suis né et ce pour quoi j’ai été en­voyé en ce monde? Ai-je été formé pour me te­nir au chaud, cou­ché sous mes cou­ver­tures? — Mais c’est plus agréable. — Es-tu donc né pour te don­ner l’agréable? N’est-ce pas, en somme, pour agir ou faire ef­fort? Ne vois-tu pas les plantes, les oi­seaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles faire cha­cun leur tra­vail propre, et concou­rir se­lon leur pou­voir à l’ordre du monde? Et après cela, toi, tu ne veux pas faire ton tra­vail d’homme? Tu ne cours pas à ce qui est conforme à ta na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Gus­tave Mi­chaut («Pen­sées», éd. A. Fon­te­moing, Pa­ris)

«Quand tu t’éveilles à re­gret au ma­tin, il te faut promp­te­ment pen­ser que tu te lèves pour faire quelque œuvre hu­maine. Par­tant, di­ras-tu, je m’en vais faire à re­gret ce pour quoi je suis né et venu en ce monde. Ai-je été fait à ce que, cou­ché dans un lit, je m’échauffe? — Quoi, ceci n’est-il pas plus plai­sant et dé­lec­table? — Es-tu donc né à vo­lupté, et non au tra­vail? Ne vois-tu pas… les pe­tits pas­se­reaux, les four­mis, les arai­gnées, les à miel en­ten­tives 10 à leur de­voir? Et tu re­fuses ce [qui] af­fiert 11 et at­touche [à] l’homme; et ne t’emploies à ce [qui] est conve­nable à ta na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Par­doux Du Prat («Ins­ti­tu­tion de la vie hu­maine», XVIe siècle)

«À l’aube, quand tu as de la peine à t’éveiller, aie à ta dis­po­si­tion cette pen­sée : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Dois-je donc être en­core cha­grin si je m’apprête à faire ce pour quoi je suis né, et en vue de quoi j’ai été mis dans le monde? Ou bien ai-je été consti­tué pour me pré­las­ser au chaud sous les cou­ver­tures? — Mais c’est plus agréable! — Es-tu donc né pour le plai­sir et en gé­né­ral pour res­ter pas­sif, et non pour agir? Ne vois-tu pas que les ar­bustes, les moi­neaux, les four­mis, les arai­gnées, les abeilles font leur tâche res­pec­tive, en contri­buant pour leur part à l’ordre du monde? Et toi, tu ne vou­drais pas ac­com­plir des ac­tions pro­pre­ment hu­maines? Tu ne vou­drais pas cou­rir à la tâche qui est conforme à ta na­ture?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Em­ma­nuèle Blanc (dans « de la  : de Troie à By­zance (VIIIe siècle av. J.-C.-XVe siècle apr. J.-C.)», éd. Gal­li­mard, coll. Fo­lio-Clas­sique, Pa­ris)

«Mane cum gra­va­tim a somno sur­gis, in promptu tibi sit co­gi­tare, te ad hu­ma­num opus fa­cien­dum sur­gere. Itaque ergo, dices, gra­vate ac­cedo ad agenda ea, quo­rum causa na­tus sum, ac prop­ter quæ in hunc veni mun­dum? Sci­li­cet in hoc fac­tus [sum], ut de­cum­bens in lecto me ip­sum ca­le­fa­ciam? — At­qui hoc ju­cun­dius est. — Er­gone ad vo­lup­ta­tem na­tus es, non ad agen­dum? Non vides plan­tu­las, pas­ser­cu­los, for­mi­cas, ara­neas, apes, sin­gula hæc suo in­tenta of­fi­cio? Tu vero ea quæ sunt ho­mi­nis, obire re­cu­sas; neque ad id te confers, quod na­turæ tuæ conve­nit?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Wil­helm Holz­man, dit Gui­liel­mus Xy­lan­der («De seipso seu vita sua», XVIe siècle)

«Mane cum gra­va­tim exur­gis, in promptu sit te­cum hoc modo dis­se­rere : ad opus hu­ma­num jam ex­per­gis­cor. Num vero ægre fe­ram, si ad ea agenda pro­fi­cis­cor, quo­rum gra­tia na­tus et in mun­dum pro­duc­tus sum? Aut nun­quid ad hoc condi­tus sum, ut stra­gu­lis in­vo­lu­tum de­cum­bens me fo­veam? — At hoc, in­quis, oblec­tat ma­gis. — Nun­quid ergo ad oblec­tan­dum te na­tus es, non au­tem ad fa­cien­dum aut agen­dum ali­quid? An non ar­bus­cu­las, avi­cu­las, for­mi­cas, ara­neas, api­cu­las vides eam quam in mundo sta­tio­nem ob­tinent, ex­co­lere sa­ta­gentes? Tu au­tem, quæ ho­mi­nis sunt, fa­cere re­cu­sas; et non pro­pe­ras po­tius ad id, quod na­turæ tuæ conve­nit?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Tho­mas Ga­ta­ker («De re­bus suis», XVIIe siècle)

«Mane cum gra­va­tim ex­per­gis­ce­ris, promp­tum sit hoc : ad ho­mi­nis opus ex­per­gis­cor. Quid igi­tur mo­leste fero, quod pergo ad ea agenda, quo­rum causa na­tus sum, quo­rum causa in mun­dum veni? An vero ad hoc na­tus sum, ut in stra­gu­lis de­cum­bens me fo­veam? — At hoc ma­gis de­lec­tat. — Ad de­lec­ta­tio­nem igi­tur na­tus es, non ad agen­dum seu opus fa­cien­dum? Vi­desne ar­bus­cu­las, pas­ser­cu­los, for­mi­cas, ara­neas, apes, cum quod sui of­fi­cii est, fa­ciant, suum exor­nantes mun­dum? Itane tu ea, quæ ho­mi­num sunt, fa­cere re­cu­sas; non pro­pe­ras ad id, quod se­cun­dum tuam na­tu­ram est?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Jo­hann Mat­thias Schultz, 2e ver­sion («Com­men­ta­rii quos ipse sibi scrip­sit», XIXe siècle)

«Mane cum gra­va­tim ex­sur­gis, in promptu sit : ad opus hu­ma­num ex­per­gis­cor. Numne igi­tur adhuc ægre fe­ram, me pro­fi­cisci ad agenda ea, quo­rum causa na­tus sum, quo­rum gra­tia in hunc mun­dum veni? Aut num­quid ea na­tus sum lege, ut de­cum­bens in stra­gu­lis me ipse fo­veam? — At hoc ma­gis de­lec­tat. — Er­gone ad de­lec­ta­tio­nem na­tus es, nec om­nino ad agen­dum ope­ran­dumve? Vi­desne ar­bus­cu­las, pas­ser­cu­los, for­mi­cas, ara­neas apesque suo fun­gentes mu­nere, quan­tum in ip­sis est, mun­dum exor­nare? Itane tu, quæ ho­mi­nis sunt, fa­cere re­cu­sas; neque pro­pe­ras ad id, quod na­turæ tuæ conve­nit?»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Jo­hann Mat­thias Schultz, 1re ver­sion («Com­men­ta­rii quos ipse sibi scrip­sit», XIXe siècle)

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  1. En Mar­cus Au­re­lius An­to­ni­nus. Au­tre­fois trans­crit Marc An­to­nin. Icône Haut
  2. Pla­ton, «», 473c-473d. Icône Haut
  3. liv. III, ch. XI. Icône Haut
  4. En grec «Τὰ εἰς ἑαυτόν». Icône Haut
  5. «Marc-Au­rèle et la Fin du monde an­tique», p. 262. Icône Haut
  6. En grec «πόλις φίλη Διός». Icône Haut
  1. liv. IV, ch. XXIII. Icône Haut
  2. liv. VI, ch. XLIV. Icône Haut
  3. liv. V, ch. XXXIII. Icône Haut
  4. «En­ten­tif à» s’est dit pour «at­ten­tif à, oc­cupé à». Icône Haut
  5. «Af­fé­rir à» s’est dit pour «conve­nir à; se rap­por­ter à, être af­fé­rent à». Icône Haut