Il s’agit des « Pensées » de Marc Aurèle 1 (IIe siècle apr. J.-C.). Nul Empereur romain n’eut plus à cœur le bien public que Marc Aurèle ; nul prince italien n’apporta plus d’ardeur et plus d’application à l’accomplissement de ses devoirs. Surnommé « le philosophe », il avait souvent à la bouche cette sentence de Platon que les États ne seront jamais heureux « tant que les philosophes ne seront pas rois, ou que ceux qu’on appelle aujourd’hui rois et souverains, ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes » 2. Cependant, sa vie bienfaisante se passa tout entière dans de cruelles épreuves. Il vit la peste dévaster les provinces les plus florissantes de l’Italie ; il épuisa ses forces à lutter contre les Germains dans des campagnes sans victoire décisive ; il mourut avec la funeste prémonition de l’inévitable catastrophe dont les peuples barbares menaçaient l’Empire. À mesure qu’il s’avança en âge, et que son corps s’affaissa sous les responsabilités, il ressentit de plus en plus le besoin de s’interroger dans sa conscience et en lui-même ; de méditer au jour le jour sous l’impression directe des événements ou des souvenirs ; de se fortifier en reprenant contact avec les quatre ou cinq principes où se concentraient ses convictions. « Comme les médecins ont toujours sous la main leurs appareils et leurs trousses pour les soins à donner d’urgence, de même [je] tiens toujours prêts les principes grâce auxquels [je] pourrai connaître les choses divines et humaines », dit-il dans un passage absolument admirable 3. Ce fut au cours de ses toutes dernières expéditions que, campé sur les bords sauvages du Danube, profitant de quelques heures de loisir, il rédigea en grec, en soliloque avec lui-même, les pages immortelles des « Pensées » qui ont révélé sa belle âme, sa vertu austère, sa profonde mélancolie. « À soi-même » (« Ta eis heauton » 4), tel est le véritable titre de ce « journal ». « Jamais on n’écrivit plus simplement pour soi, à seule fin de décharger son cœur, sans autre témoin que Dieu. Pas une ombre de système. Marc Aurèle, à proprement parler, n’a pas de philosophie ; quoiqu’il doive presque tout au stoïcisme transformé par l’esprit romain, il n’est d’aucune école », dit Ernest Renan 5. En effet, la philosophie de Marc Aurèle ne repose sur autre chose que sur les prescriptions de la raison ; elle résulte du fait d’une conscience morale aussi vaste, aussi étendue que l’Empire auquel elle commande. Son thème fondamental, c’est le rattachement de l’individu, si chancelant et si passager, à l’univers perpétuel et divin, à la « chère cité de Zeus » (« polis philê Dios » 6) — rattachement qui lui révèle ses devoirs et qui l’associe à l’œuvre magnifiquement belle, souverainement juste de la création : « Je m’accommode de tout ce qui peut t’accommoder, ô monde !… Tout est fruit, pour moi, de ce que produisent tes saisons, ô nature ! Tout vient de toi, tout est en toi, tout rentre en toi » 7. Et aussi : « Ma cité et ma patrie, en tant qu’Antonin, c’est Rome ; en tant qu’homme, c’est le monde » 8. Comme Hamlet devant le crâne, Marc Aurèle se met à rêver sur ce que sont devenus les os d’Alexandre et de son muletier ; il a des trivialités shakespeariennes pour peindre l’instabilité et l’inanité des choses : « Dans un instant, tu ne seras plus que cendre ou squelette, et un nom — ou plus même un nom… — un vain bruit, un écho ! Ce dont on fait tant de cas dans la vie, c’est du vide, pourriture, mesquineries, chiens qui s’entre-mordent » 9.
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