Xu Shangying, « Les Vingt-Quatre Saveurs du “qin” »

dans « L’Art du “qin” : deux textes d’esthétique musicale chinoise » (éd. Institut belge des hautes études chinoises, coll. Mélanges chinois et bouddhiques, Bruxelles), p. 47-157

dans «L’Art du “qin” : deux textes d’ mu­si­cale chi­noise» (éd. Ins­ti­tut des hautes études chi­noises, coll. Mé­langes et boud­dhiques, Bruxelles), p. 47-157

Il s’agit des «Vingt-Quatre Sa­veurs de la ci­thare», ou lit­té­ra­le­ment «Sa­veurs de la ci­thare par monts et ruis­seaux» («Xi­shan qin­kuang» 1), chi­nois d’esthétique mu­si­cale. Ré­digé vers 1641 par le grand maître Xu Shan­gying 2 après des dé­cen­nies de pra­tique, ce traité est en même l’aboutissement d’une longue tra­di­tion de ré­flexion sur l’art de la ci­thare, qui avait trouvé avec Ji Kang ses pre­mières lettres de . Il met en re­lief vingt-quatre «sa­veurs» («qua­li­tés es­sen­tielles, ca­nons es­thé­tiques, cri­tères») per­met­tant aussi bien d’exécuter que de goû­ter le jeu ins­tru­men­tal : 1º l’harmonie, 2º le si­lence, 3º la lim­pi­dité, 4º la dis­tance, 5º l’, 6º la dis­cré­tion, 7º la , 8º la , 9º l’élégance, 10º la beauté, 11º la lu­mière, 12º la , 13º la pu­reté, 14º l’onctuosité, 15º la ron­deur, 16º la fer­meté, 17º l’ampleur, 18º la fi­nesse, 19º la flui­dité, 20º la vi­gueur, 21º la lé­gè­reté, 22º le poids, 23º la len­teur, 24º la ra­pi­dité. La ci­thare, se­lon Xu Shan­gying, exige le re­cueille­ment. Sa éle­vée et contem­pla­tive ne se mêle pas à celle des autres ins­tru­ments. Elle évoque un so­li­taire de mon­tagne et d’shan­shui» 3), une source lim­pide sur des cailloux blancs, une de vent dans le feuillage, une vague qui dé­ferle. L’esprit de ce­lui qui l’écoute va­ga­bonde au loin, et dans son ra­vis­se­ment, ou­blie où il s’est rendu. Lorsque le ci­tha­riste est en­touré de la dou­ceur de l’air, du calme pro­fond de la , et qu’une brise pure glisse entre les cordes de son ins­tru­ment, sa ré­so­nance est lé­gère, se­reine, chaque note est par­faite, chaque mé­lo­die — vraie. L’exemple de Bo Ya 4, le plus grand ci­tha­riste de l’Antiquité, illustre par­fai­te­ment ces no­tions prin­ci­pales et sert de conclu­sion au traité de Xu Shan­gying. Bo Ya étu­diait la ci­thare au­près de son maître Cheng Lian 5. Au bout de trois ans, il avait ac­quis un cer­tain mé­tier. Mais pour ce qui est de la in­té­rieure, de l’attitude spi­ri­tuelle et de la spon­ta­néité, il était en­core loin du compte. Cheng Lian lui dit : «Mon [propre] maître ré­side dans la . Il a le pou­voir de mé­ta­mor­pho­ser les hu­maines». Sur quoi, il em­mena Bo Ya sur l’île de Im­mor­tels et lui dit : «Vous, res­tez ici, je vais cher­cher mon maître». Et pous­sant sa barque, il s’en fut. Mais dix jours après, il n’était tou­jours pas de re­tour. Bo Ya avait beau scru­ter l’, il n’entendait que le pro­fond ru­gis­se­ment des flots et les cris déses­pé­rants des goé­lands qui tour­noyaient au-des­sus de lui. Il s’écria : «Maître, vous êtes sur le point de me trans­for­mer!» Il prit alors son ins­tru­ment et joua sous l’ des monts et des eaux de cette île dé­so­lée. À peine eut-il ter­miné, que Cheng Lian s’en re­vint dans sa barque. Dès lors, Bo Ya de­vint un mu­si­cien hors pair adulé par ses contem­po­rains.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Xu Shan­gying : «La lé­gè­reté des notes est du do­maine de l’émotion in­time, elle re­lève du prin­cipe le plus mys­té­rieux. Quand on com­prend la si­gni­fi­ca­tion d’une œuvre, qu’on en sai­sit l’atmosphère, la lé­gè­reté sur­vient d’elle-même sans qu’on ait à la re­cher­cher. Mais la lé­gè­reté des notes est ce qu’il y a de plus dif­fi­cile à ob­te­nir. Si la pra­tique est in­suf­fi­sante, les notes res­tent su­per­fi­cielles, sans sub­stance, ternes et sans clarté; bien que lé­gères, elles ne sau­raient conve­nir. C’est seule­ment lorsqu’une lé­gè­reté sans dé­faut al­lie la pu­reté à la plé­ni­tude que les notes s’épanouissent avec une pré­ci­sion et une dé­li­ca­tesse ex­trêmes. Elles s’envolent fraîches et claires telles ces au prin­temps qui tombent sur l’onde d’une ri­vière…» 6

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  1. En chi­nois «溪山琴況». Par­fois trans­crit «Hsi-shan ch’in-k’uang». Icône Haut
  2. En chi­nois 徐上瀛. Par­fois trans­crit Hsü Shang-ying. Icône Haut
  3. En chi­nois 山水. Icône Haut
  1. En chi­nois 伯牙. Au­tre­fois trans­crit Po Ya. Icône Haut
  2. En chi­nois 成連. Au­tre­fois trans­crit Tch’eng Lien. Icône Haut
  3. p. 113. Icône Haut