Tulsî-dâs, « Le Lac spirituel : un chef-d’œuvre de la poésie religieuse indienne »

éd. Librairie d’Amérique et d’Orient A. Maisonneuve, Paris

éd. Li­brai­rie d’Amérique et d’Orient A. Mai­son­neuve, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle du « Râm-ca­rit-mâ­nas »1 (« Le Lac spi­ri­tuel de la geste de Râma »), qu’on ap­pelle aussi le « Tulsî-kṛt Râ­mâyaṇ »2, c’est-à-dire le « Râ­mâyaṇa com­posé par Tulsî », pour le dis­tin­guer de l’ancienne épo­pée en sans­crit, le « Râ­mâyaṇa », at­tri­buée au sage Vâl­mîki. Il suf­fit d’ouvrir le « Râm-ca­rit-mâ­nas » pour voir com­bien Tulsî-dâs3 a em­prunté à Vâl­mîki, com­bien il l’a suivi à chaque pas et même dans toutes les in­ven­tions, qui ne sont chez lui, à bien des égards, que des imi­ta­tions. « C’est une com­po­si­tion qui, l’intention re­li­gieuse à part, res­semble à quelque chose d’une imi­ta­tion fort libre et — j’ose le dire — tout à fait ar­bi­traire, où Tulsî-dâs… a voulu peut-être évi­ter sou­vent d’être long, mais, au lieu d’émonder les branches pa­ra­sites, a coupé des ra­meaux utiles », ex­plique Hip­po­lyte Fauche4. Ce­pen­dant, tout en l’imitant, Tulsî-dâs a cru de­voir faire au­tre­ment que Vâl­mîki ; il a fait non pas mieux — c’eût été une tâche au-des­sus de ses forces — mais plus froid, plus em­pesé, plus dé­vot. Son Râma n’est plus un hé­ros qui parle, c’est un dieu dont l’élément hu­main s’est éva­poré com­plè­te­ment : « Le mer­veilleux en est-il aug­menté ? Loin de là ! Il s’en trouve af­fai­bli, car le mer­veilleux était dans l’union inef­fable de ces deux na­tures ; et main­te­nant on ne sent plus dans le dieu un cœur d’homme, où vienne se ré­chauf­fer un sang hu­main… ; et l’on a perdu le charme de re­con­naître ici dans le dieu cet “Homo sum : hu­mani nil a me alie­num puto” », conclut Fauche5. Le fait que le « Râm-ca­rit-mâ­nas » a été com­posé en langue vul­gaire (en hindi) et non en langue sa­vante (en sans­crit) ex­plique à la fois son im­mense po­pu­la­rité au­près des masses hin­doues, et les cri­tiques quel­que­fois dé­dai­gneuses, mais quel­que­fois aussi jus­ti­fiées, que lui ont adres­sées les let­trés du pays. Tulsî en avait conscience, et nous en avons la preuve dans la cu­rieuse apo­lo­gie qu’il a mise en tête du « Râm-ca­rit-mâ­nas » : « Les sa­vants poé­ti­ciens, dé­nués de ten­dresse pour Râma, pren­dront plai­sir à se gaus­ser de mon poème », dit-il, « car il est en langue vul­gaire, et mon es­prit est faible ! Oui, il mé­rite qu’on en rie — et qu’importe si l’on en rit !… Les cœurs nobles me par­don­ne­ront ma té­mé­rité, et ils écou­te­ront avec bien­veillance mes pro­pos en­fan­tins, comme un père et une mère écoutent avec joie les bal­bu­tie­ments de leur pe­tit en­fant ! »

« ils écou­te­ront avec bien­veillance mes pro­pos en­fan­tins, comme un père et une mère écoutent avec joie les bal­bu­tie­ments de leur pe­tit en­fant »

On sait peu de chose de la vie de Tulsî. Né de pa­rents brah­manes, il a été aban­donné par ces der­niers à cause de la conjonc­tion dé­fa­vo­rable des astres au mo­ment de sa nais­sance. Un as­cète l’a re­cueilli et élevé. Lui-même, très tôt, a em­brassé la vie as­cé­tique et adopté le sur­nom de Tulsî (« ba­si­lic sa­cré »6) : « Jusqu’à quand m’évertuerai-je à pro­cla­mer la gloire du nom de Râma ?… C’est en l’invoquant que, ja­dis chanvre mal­fai­sant, je me suis mué en ba­si­lic sa­cré ! », dit-il7. Ar­rivé à l’âge mûr, il s’est éta­bli à Bé­na­rès, où il est mort l’an 1623. Outre le « Râm-ca­rit-mâ­nas », on lui doit d’autres com­po­si­tions moins connues : la « Vi­nay Pa­trikâ »8 (« Lettre de pé­ti­tion [à Râma] ») et la « Gî­tâ­valî »9, hymnes à la louange de Râma ; les « Do­hâ­valî »10 et les « Sat­saî »11, sortes de Di­vans (Re­cueils de poé­sies) sur di­vers su­jets ; en­fin les « Chants nup­tiaux » ins­pi­rés des ma­riages di­vins.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style du « Râm-ca­rit-mâ­nas » : « En contem­plant Râma, toutes les créa­tures douées de la vue re­cueillaient le fruit de leur exis­tence et étaient dé­li­vrées de leurs souf­frances : au contact de la pous­sière de ses pieds, les créa­tures in­ani­mées elles-mêmes se ré­jouis­saient et ob­te­naient la dé­li­vrance ! Ces ro­chers et ces bois, déjà si beaux, furent gra­ti­fiés d’une pros­pé­rité et d’une sain­teté in­ouïes. Com­ment cé­lé­brer di­gne­ment la gran­deur de ces lieux où l’océan de béa­ti­tude avait fait sa de­meure ? Mille [bouches] ne pour­raient dé­crire la mer­veilleuse beauté de cette fo­rêt où Râma était venu s’établir avec Sîtâ et Lakṣ­maṇa, dé­lais­sant [la ville] »12.

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En hindi « रामचरितमानस ». Par­fois trans­crit « Ram-cha­rit-ma­nas », « Ram­cha­ri­ta­ma­nasa », « Rā­ma­ca­ri­tamā­nas » ou « Rā­ma­ca­ri­tamā­nasa ». Haut
  2. En hindi « तुलसीकृत रामायण ». Haut
  3. En hindi तुलसीदास. Par­fois trans­crit Toulsi-das, Tulcî-dâs, Tu­lasīdāsa ou Tu­lasīdās. Haut
  4. « Râ­mâyana : poème sans­crit ; tra­duit en fran­çais pour la pre­mière fois par Hip­po­lyte Fauche. Tome VII », p. CLIX. Haut
  5. id. p. CXXIV. Haut
  6. Le ba­si­lic sa­cré (« Oci­mum sanc­tum »), ou ba­si­lic à pe­tites feuilles (« Oci­mum te­nui­flo­rum »), est très vé­néré dans l’Inde. Une jeune et belle nymphe, ai­mée de Kṛṣṇa, fut mé­ta­mor­pho­sée dans cette plante odo­rante. Les pè­le­rins font de son bois des col­liers, et de ses grains — des cha­pe­lets, qu’ils portent au­tour du cou. Par ailleurs, beau­coup la plantent de­vant l’entrée de leur lo­ge­ment pour se pré­mu­nir contre les ma­lé­fices. Haut
  1. p. 40. Haut
  2. En hindi « विनयपत्रिका », in­édit en fran­çais. Par­fois trans­crit « Vi­naya­pa­trikā », « Vi­nay Pat­trikâ » ou « Bi­nay Pat­trikā ». Haut
  3. En hindi « गीतावली », in­édit en fran­çais. Par­fois trans­crit « Guî­ta­walî » ou « Gītā­balī ». Haut
  4. En hindi « दोहावली », in­édit en fran­çais. Par­fois trans­crit « Do­hâ­balî ». Haut
  5. En hindi « सतसई », in­édit en fran­çais. Haut
  6. p. 63. Haut