Il s’agit de Zénon d’Élée 1, célèbre auteur de paradoxes (Ve siècle av. J.-C.). Il ne paraît pas avoir été mathématicien, ni physicien ; mais ses fameux « Arguments contraires » (« Antilogiai » 2) ont fait autant pour les principes des mathématiques et de la physique que pour ceux de la philosophie. C’était un homme bien fait, d’une figure agréable, un disciple dévoué de Parménide, et quelques écrivains prétendent « qu’il devint le mignon de son maître » 3. Il ne quittait que très rarement son Élée natale, « cité modeste, tout juste bonne à produire des hommes de valeur » 4. Plus tard, cette cité étant tombée, on ne sait comment, sous le joug d’un tyran appelé Néarque, Zénon entreprit de la délivrer à l’aide de complices. La conspiration ayant été découverte, il fut emprisonné et périt dans d’horribles supplices, où il montra un caractère héroïque. Cette affaire est rapportée avec mille variantes par les écrivains. Je n’en donnerai qu’une : Torturé et interrogé sur ses complices, Zénon nomma les amis du tyran pour priver celui-ci de tous ses appuis. Néarque, après les avoir fait mourir, l’interrogea sur les armes qu’il avait transportées dans une île voisine. Zénon lui dit qu’il lui répondrait à l’oreille ; le tyran s’étant approché, Zénon lui mordit l’oreille et ne relâcha pas sa prise avant d’être percé de coups et tué. Aujourd’hui, il ne reste des ouvrages de Zénon que les « Arguments contraires » concernant le mouvement, transmis jusqu’à nous grâce à la réfutation d’Aristote et aux citations de Simplicius. Ces « Arguments » intéressent au plus haut point l’histoire des sciences, en ceci qu’ils fixent pour la première fois l’attention sur le problème de l’infinitésimal et sur les difficultés logiques auxquelles se heurtent les calculs qui jonglent avec l’infini. Le poète Paul Valéry résumera les deux « Arguments » les plus connus, « Achille et la Tortue » et « La Flèche qui vole », par ces vers : « Zénon, cruel Zénon !… M’as-tu percé de cette flèche ailée qui vibre, vole et qui ne vole pas !… Achille immobile à grands pas ! »
les difficultés logiques auxquelles se heurtent les calculs qui jonglent avec l’infini
Les Grecs n’ont jamais trouvé de solution satisfaisante aux paradoxes de Zénon. Il leur a manqué, notamment, la notion de « série infinie », c’est-à-dire de « somme comportant un nombre infini de termes ». Aujourd’hui, une telle opération ne présente plus de difficultés : on admet qu’une série infinie peut avoir une valeur finie ; on parle alors de « série infinie convergente ». Pour mieux fixer ces notions, examinons « Achille et la Tortue ». Deux coureurs entrent en lice : l’un renommé pour son agilité, c’est Achille ; l’autre réputé pour sa lenteur, la Tortue. Supposons que la vitesse du premier soit dix fois celle du second, et que la distance initiale qui sépare l’un de l’autre soit de dix mètres. Pendant qu’Achille parcourra les dix mètres qui, à l’instant initial, le séparent de la Tortue, la Tortue parcourra un mètre. Elle sera donc toujours plus avancée que lui. Pendant qu’Achille parcourra ce mètre, la Tortue parcourra un décimètre ; pendant qu’il parcourra ce décimètre, la Tortue parcourra un centimètre ; etc. Zénon en conclut qu’Achille n’atteindra jamais la Tortue. Il s’agit, bien sûr, d’un paradoxe trompeur, car dans la réalité, quelle que soit l’avance que l’on accorde à la Tortue, Achille finira par l’atteindre. Le sophisme de l’argument de Zénon consiste à supposer tacitement que le fini ne peut naître de l’infini. « C’est ainsi que les Zénon d’Élée, les Parménide, argumentaient autrefois ; et ces gens-là avaient beaucoup d’esprit : ils vous prouvaient qu’une Tortue doit aller aussi vite qu’Achille, qu’il n’y a point de mouvement ; ils agitaient cent autres questions aussi utiles. La plupart des Grecs jouèrent des gobelets avec la philosophie et transmirent leurs tréteaux à nos scolastiques. Bayle lui-même a été quelquefois de la bande ; il a brodé des toiles d’araignées comme un autre ; il argumente, à l’article “Zénon”, contre l’étendue divisible de la matière… ; il dit tout ce qu’il ne serait pas permis de dire à un géomètre de six mois », dit avec dédain Voltaire 5.
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- Étude de Geronimo Frontera (1891) [Source : Google Livres]
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- Étude de Charles Dunan (1884) ; autre copie [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Étude de Paul Tannery (1930) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Étude de Paul Tannery (1887) [Source : Google Livres]
- Étude de Paul Tannery (1887) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Étude de Paul Tannery (1887) ; autre copie [Source : Canadiana]
- Étude de Paul Tannery (éd. électronique) [Source : Wikisource].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Pierre Bayle, « Dictionnaire historique et critique. Tome XV » (XVIIe siècle) [Source : Google Livres]
- Victor Cousin, « Zénon d’Élée » dans « Fragments de philosophie ancienne » (XIXe siècle), p. 72-115 [Source : Google Livres]
- Paul-Henri Michel, « De Pythagore à Euclide : contribution à l’histoire des mathématiques préeuclidiennes » (éd. Les Belles Lettres, coll. d’Études anciennes, Paris).
- En grec Ζήνων ὁ Ἐλεάτης. Également connu sous le nom de Zénon le Parménidien. En grec Ζήνων ὁ Παρμενίδειος. À ne pas confondre avec Zénon de Cition, le fondateur du stoïcisme.
- En grec « Ἀντιλογίαι ».
- « λέγεσθαι αὐτὸν παιδικὰ τοῦ Παρμενίδου γεγονέναι » (Platon). « γέγονεν αὐτοῦ παιδικά » (Diogène Laërce).