Il s’agit de « Théorie générale et Logique des automates » (« The General and Logical Theory of Automata ») de M. János Neumann, dit Johann von Neumann, dit John von Neumann, homme de science universel (XXe siècle). On a souvent comparé l’intelligence de cet homme à celle d’une machine dont les engrenages s’emboîtaient avec une précision millimétrée. Au moment de quitter la vie à l’âge peu avancé de cinquante-trois ans, il avait contribué aux thèses les plus fondamentales et les plus abstraites de la science moderne ; il s’était aussi impliqué dans leurs applications les plus radicales. Ces thèses ont des noms à la fois mystérieux et étrangement familiers : théorie des ensembles, algèbre des observables quantiques, théorie des jeux, conception d’armements atomiques, stratégie de la destruction mutuelle assurée, théorie des automates cellulaires, architecture des ordinateurs programmables. L’ordinateur sur lequel j’écris ces lignes, de même que le téléphone qui se trouve dans votre poche, reposent sur cette architecture qu’on appelle désormais « de von Neumann ». Tout ceci est le produit d’un cerveau prodigieux né dans l’ombre de l’immense bibliothèque familiale à Budapest. Les Neumann faisaient partie de ces familles juives hongroises qui, en dépit des persécutions, s’étaient assuré une position respectable au sein de la bourgeoisie de l’Europe centrale. Ils avaient entouré leur fils de gouvernantes triées sur le volet, l’adressant en allemand, anglais et français. Les autres matières lui étaient enseignées par une nuée de tuteurs privés. Et son temps libre, l’enfant le passait absorbé dans les quarante-quatre volumes in-8º de l’« Allgemeine Geschichte in Einzeldarstellungen » (« Histoire générale en récits détachés ») qu’il apprenait par cœur. À l’âge de six ans, sa mémoire n’était plus celle d’un être humain, mais celle d’un extraterrestre qui avait étudié les hommes pour les imiter à la perfection. Vous pouviez lui donner à lire une page dans une langue quelconque — fût-ce le grec ancien de « La Guerre du Péloponnèse », l’allemand de « Faust » ou les chiffres d’un vulgaire annuaire téléphonique — et il vous la récitait mot à mot, sans achopper. Cette affirmation qu’on pourrait croire exagérée, ou ne pas croire, est répétée par tous ceux qui l’ont côtoyé un jour, à commencer par ses collègues et coreligionnaires hongrois, surnommés « les Martiens » et réunis à Los Alamos pour mettre au point la bombe H : MM. Edward Teller, Leó Szilárd, Eugene Wigner, etc. « Si une race mentalement surhumaine devait jamais se développer », déclare M. Teller 1, « ses membres ressembleront à Johnny von Neumann. » À vingt-deux ans à peine, il était non seulement docteur en mathématiques à l’Université de Budapest, mais diplômé de chimie à la prestigieuse Polytechnique de Zurich — celle où Einstein avait été recalé. Et lorsqu’en 1928, il se mit à enseigner en tant que privat-dozent à l’Université de Berlin, étant le plus jeune jamais élu à ce poste, la gloire et la réputation s’accoutumèrent à ne plus parler sans lui.
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von Neumann, « L’Ordinateur et le Cerveau »
Il s’agit de « L’Ordinateur et le Cerveau » (« The Computer and the Brain ») de M. János Neumann, dit Johann von Neumann, dit John von Neumann, homme de science universel (XXe siècle). On a souvent comparé l’intelligence de cet homme à celle d’une machine dont les engrenages s’emboîtaient avec une précision millimétrée. Au moment de quitter la vie à l’âge peu avancé de cinquante-trois ans, il avait contribué aux thèses les plus fondamentales et les plus abstraites de la science moderne ; il s’était aussi impliqué dans leurs applications les plus radicales. Ces thèses ont des noms à la fois mystérieux et étrangement familiers : théorie des ensembles, algèbre des observables quantiques, théorie des jeux, conception d’armements atomiques, stratégie de la destruction mutuelle assurée, théorie des automates cellulaires, architecture des ordinateurs programmables. L’ordinateur sur lequel j’écris ces lignes, de même que le téléphone qui se trouve dans votre poche, reposent sur cette architecture qu’on appelle désormais « de von Neumann ». Tout ceci est le produit d’un cerveau prodigieux né dans l’ombre de l’immense bibliothèque familiale à Budapest. Les Neumann faisaient partie de ces familles juives hongroises qui, en dépit des persécutions, s’étaient assuré une position respectable au sein de la bourgeoisie de l’Europe centrale. Ils avaient entouré leur fils de gouvernantes triées sur le volet, l’adressant en allemand, anglais et français. Les autres matières lui étaient enseignées par une nuée de tuteurs privés. Et son temps libre, l’enfant le passait absorbé dans les quarante-quatre volumes in-8º de l’« Allgemeine Geschichte in Einzeldarstellungen » (« Histoire générale en récits détachés ») qu’il apprenait par cœur. À l’âge de six ans, sa mémoire n’était plus celle d’un être humain, mais celle d’un extraterrestre qui avait étudié les hommes pour les imiter à la perfection. Vous pouviez lui donner à lire une page dans une langue quelconque — fût-ce le grec ancien de « La Guerre du Péloponnèse », l’allemand de « Faust » ou les chiffres d’un vulgaire annuaire téléphonique — et il vous la récitait mot à mot, sans achopper. Cette affirmation qu’on pourrait croire exagérée, ou ne pas croire, est répétée par tous ceux qui l’ont côtoyé un jour, à commencer par ses collègues et coreligionnaires hongrois, surnommés « les Martiens » et réunis à Los Alamos pour mettre au point la bombe H : MM. Edward Teller, Leó Szilárd, Eugene Wigner, etc. « Si une race mentalement surhumaine devait jamais se développer », déclare M. Teller 1, « ses membres ressembleront à Johnny von Neumann. » À vingt-deux ans à peine, il était non seulement docteur en mathématiques à l’Université de Budapest, mais diplômé de chimie à la prestigieuse Polytechnique de Zurich — celle où Einstein avait été recalé. Et lorsqu’en 1928, il se mit à enseigner en tant que privat-dozent à l’Université de Berlin, étant le plus jeune jamais élu à ce poste, la gloire et la réputation s’accoutumèrent à ne plus parler sans lui.
« Étude sur les arguments de Zénon d’Élée contre le mouvement »
Il s’agit de Zénon d’Élée 1, célèbre auteur de paradoxes (Ve siècle av. J.-C.). Il ne paraît pas avoir été mathématicien, ni physicien ; mais ses fameux « Arguments contraires » (« Antilogiai » 2) ont fait autant pour les principes des mathématiques et de la physique que pour ceux de la philosophie. C’était un homme bien fait, d’une figure agréable, un disciple dévoué de Parménide, et quelques écrivains prétendent « qu’il devint le mignon de son maître » 3. Il ne quittait que très rarement son Élée natale, « cité modeste, tout juste bonne à produire des hommes de valeur » 4. Plus tard, cette cité étant tombée, on ne sait comment, sous le joug d’un tyran appelé Néarque, Zénon entreprit de la délivrer à l’aide de complices. La conspiration ayant été découverte, il fut emprisonné et périt dans d’horribles supplices, où il montra un caractère héroïque. Cette affaire est rapportée avec mille variantes par les écrivains. Je n’en donnerai qu’une : Torturé et interrogé sur ses complices, Zénon nomma les amis du tyran pour priver celui-ci de tous ses appuis. Néarque, après les avoir fait mourir, l’interrogea sur les armes qu’il avait transportées dans une île voisine. Zénon lui dit qu’il lui répondrait à l’oreille ; le tyran s’étant approché, Zénon lui mordit l’oreille et ne relâcha pas sa prise avant d’être percé de coups et tué. Aujourd’hui, il ne reste des ouvrages de Zénon que les « Arguments contraires » concernant le mouvement, transmis jusqu’à nous grâce à la réfutation d’Aristote et aux citations de Simplicius. Ces « Arguments » intéressent au plus haut point l’histoire des sciences, en ceci qu’ils fixent pour la première fois l’attention sur le problème de l’infinitésimal et sur les difficultés logiques auxquelles se heurtent les calculs qui jonglent avec l’infini. Le poète Paul Valéry résumera les deux « Arguments » les plus connus, « Achille et la Tortue » et « La Flèche qui vole », par ces vers : « Zénon, cruel Zénon !… M’as-tu percé de cette flèche ailée qui vibre, vole et qui ne vole pas !… Achille immobile à grands pas ! »
- En grec Ζήνων ὁ Ἐλεάτης. Également connu sous le nom de Zénon le Parménidien. En grec Ζήνων ὁ Παρμενίδειος. À ne pas confondre avec Zénon de Cition, le fondateur du stoïcisme.
- En grec « Ἀντιλογίαι ».
- « λέγεσθαι αὐτὸν παιδικὰ τοῦ Παρμενίδου γεγονέναι » (Platon). « γέγονεν αὐτοῦ παιδικά » (Diogène Laërce).
- Diogène Laërce.