Hô Chi Minh (Nguyên Ai Quôc), « Le Procès de la colonisation française et Autres Textes de jeunesse »

éd. Le Temps des cerises, Pantin

éd. Le Temps des ce­rises, Pan­tin

Il s’agit du « Pro­cès de la co­lo­ni­sa­tion fran­çaise », des « Re­ven­di­ca­tions du peuple an­na­mite » et autres textes de jeu­nesse d’Hô Chi Minh1. Ainsi que l’a re­mar­qué un bio­graphe d’Hô Chi Minh2, « tout ce qui touche à la vie du fu­tur pré­sident de la Ré­pu­blique dé­mo­cra­tique du Viêt-nam jusqu’en 1941 est frag­men­taire, ap­proxi­ma­tif, contro­versé ». À ce jour, au­cune étude sys­té­ma­tique n’a été en­tre­prise, au­cune pu­bli­ca­tion ex­haus­tive n’a été faite sur la pé­riode pa­ri­sienne du cé­lèbre ré­vo­lu­tion­naire viet­na­mien, pé­riode pour­tant dé­ci­sive en ce qui concerne sa for­ma­tion idéo­lo­gique — la vie dans un en­tre­sol de la rue du Mar­ché-des-Pa­triarches, la fré­quen­ta­tion as­si­due de la Bi­blio­thèque na­tio­nale, « où il s’installait de 10 à 17 heures, presque chaque jour »3, les mee­tings guet­tés par la po­lice, les ar­ticles pour « L’Humanité », « La Re­vue com­mu­niste », « Le Li­ber­taire », etc., en­fin, la fon­da­tion du « Pa­ria », jour­nal an­ti­co­lo­nia­liste, dont il fut à la fois le di­rec­teur et le plus fé­cond des contri­bu­teurs4. Les dates mêmes de cette pé­riode sont pleines d’obscurités, si étrange que cela puisse pa­raître, s’agissant d’une des per­son­na­li­tés les plus en vue de tout le XXe siècle. Re­joi­gnit-il Pa­ris en 1917, comme le sup­posent la plu­part de ses bio­graphes, ou en 1919, an­née de ses pre­miers ar­ticles si­gnés ? En tout cas, la pre­mière ré­vé­la­tion qu’il eut en ar­ri­vant, c’est qu’en France aussi il y avait des ou­vriers ex­ploi­tés — des gens qui pou­vaient prendre parti pour le peuple viet­na­mien. C’est là que lui vint à l’esprit cette image de la sang­sue ca­pi­ta­liste, si fa­meuse de­puis « Le Pro­cès » : « Le ca­pi­ta­lisme est une sang­sue ayant une ven­touse ap­pli­quée sur le pro­lé­ta­riat de la mé­tro­pole, et une autre sur le pro­lé­ta­riat des co­lo­nies. Si l’on veut tuer la bête, on doit cou­per les deux ven­touses à la fois ». Alors, il s’attacha aux pro­lé­taires fran­çais par le double lien de l’intérêt et de l’affection ; et le jour où, après de longues dé­cen­nies, la sé­pa­ra­tion fa­tale, in­évi­table, se fit entre les co­lo­ni­sa­teurs et les co­lo­ni­sés, la France per­dit en lui un su­jet, mais conserva un ami, un al­lié, un confrère. « En se ré­cla­mant de la pro­tec­tion du peuple fran­çais », dit Hô Chi Minh dans « Les Re­ven­di­ca­tions du peuple an­na­mite », « le peuple an­na­mite, bien loin de s’humilier, s’honore au contraire : car il sait que le peuple fran­çais re­pré­sente la li­berté et la jus­tice, et ne re­non­cera ja­mais à son su­blime idéal de fra­ter­nité uni­ver­selle. En consé­quence, en écou­tant la voix des op­pri­més, le peuple fran­çais fera son de­voir en­vers la France et en­vers l’humanité ».

la pé­riode pa­ri­sienne du cé­lèbre ré­vo­lu­tion­naire viet­na­mien

En fin de compte, la grande faute de la France de ce temps fut de ne pas te­nir compte de la contra­dic­tion qu’il y a entre un pays des droits de l’homme, de la haute lit­té­ra­ture, et sa pré­ten­tion à « ci­vi­li­ser » les peuples d’Indochine tout en leur re­fu­sant l’accès à ces mêmes droits, à cette même lit­té­ra­ture. « Alors que je n’étais qu’un jeune gar­çon », dit Hô Chi Minh5, « j’ai, pour la pre­mière fois, en­tendu les mots fran­çais : li­berté, éga­lité et fra­ter­nité. J’ai eu en­vie de connaître la ci­vi­li­sa­tion fran­çaise, de son­der ce qui se ca­chait der­rière ces mots. Mais, dans les écoles in­di­gènes, les Fran­çais forment des per­ro­quets. On nous cache les livres et les jour­naux ; on nous in­ter­dit non seule­ment les écri­vains contem­po­rains, mais aussi Rous­seau, Mon­tes­quieu ». Et ailleurs : « [Les Fran­çais] nous em­pêchent de nous ins­truire. Mais, si cha­cun fait pro­fi­ter les autres de ce qu’il sait, alors on ap­pren­dra quand même »6. Voici, à ce pro­pos, une anec­dote char­gée de si­gni­fi­ca­tion : En 1920, un dé­nommé Jean, agent de la Sû­reté de Pa­ris, si­gna­lait qu’Hô Chi Minh était en train de tra­duire en langue viet­na­mienne un ou­vrage sub­ver­sif. On au­rait pu s’attendre à « L’Impérialisme » de Lé­nine ; ou bien au « Ma­ni­feste du Parti com­mu­niste » de Marx et En­gels. Eh bien, non, c’était « De l’esprit des lois » de Mon­tes­quieu ! On voit qu’en plein Pa­ris, loin de chez soi, Hô Chi Minh per­pé­tuait le siècle fran­çais des Lu­mières, comme le firent tant d’autres in­tel­lec­tuels viet­na­miens, en dé­pit des in­ter­dits. Or, cette fi­lia­tion d’esprit, cette lutte contre la ser­vi­tude et l’ignorance, cette foi que « plus nous se­rons des êtres rai­son­nables, plus nous se­rons des êtres libres »7, peut-être n’est-il pas pa­ra­doxal de la consi­dé­rer comme le plus beau legs de la France au Viêt-nam — ce­lui dont elle a le plus le droit d’être fière et de s’enorgueillir.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style du « Pro­cès de la co­lo­ni­sa­tion fran­çaise » : « Je me sou­viens d’un mien cou­sin qui, vou­lant en­trer dans un de ces pa­ra­dis sco­laires, avait fait des dé­marches mul­tiples, adressé de­mandes sur de­mandes au ré­sident su­pé­rieur, au ré­sident de la pro­vince, au di­rec­teur de l’école na­tio­nale et à l’instituteur prin­ci­pal de l’école pri­maire. Na­tu­rel­le­ment, il n’avait reçu au­cune ré­ponse. Un jour, il a poussé le cou­rage jusqu’à por­ter lui-même une de­mande écrite à l’instituteur prin­ci­pal, un Fran­çais, de l’école où j’ai eu le pri­vi­lège d’être ad­mis quelque temps au­pa­ra­vant. Notre “di­rec­teur”, fu­rieux de voir tant d’audace, l’apostropha : “Qui t’a per­mis de ve­nir ici ?”, et il mit la de­mande en miettes de­vant toute la classe hé­bé­tée »8.

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  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Nguyên Ai Quôc. « Nguyên, c’est le pa­tro­nyme le plus ré­pandu en An­nam… ; “Ai”, le pré­fixe qui si­gni­fie l’affection ; “Quôc”, la pa­trie », dit M. Jean La­cou­ture. Au­tre­fois trans­crit Nguyen Ai Quac. Haut
  2. M. Jean La­cou­ture. Haut
  3. Louis Rou­baud, « Viêt-nam : la tra­gé­die in­do­chi­noise ; suivi d’autres écrits sur le co­lo­nia­lisme ». Haut
  4. Les contri­bu­teurs du « Pa­ria » se com­po­saient en­tiè­re­ment de mi­li­tants ori­gi­naires des co­lo­nies, qui ve­naient, bé­né­vo­le­ment, après leurs heures de tra­vail. Haut
  1. « En­tre­tien avec Os­sip Men­del­stam » dans Hô Chi Minh, « Textes (1914-1969) » (éd. L’Harmattan, Pa­ris), p. 54-57. Haut
  2. Dans « Ré­cits de la ré­sis­tance viet­na­mienne : 1925-1945 » (éd. F. Mas­pero, coll. Pe­tite col­lec­tion Mas­pero, Pa­ris), p. 7. Haut
  3. Vol­taire, « Ques­tions sur les mi­racles ». Haut
  4. p. 123. Haut