Bâbâ Tâhir, « Les Quatrains »

dans « Journal asiatique », sér. 8, vol. 6, p. 502-545

dans « Jour­nal asia­tique », sér. 8, vol. 6, p. 502-545

Il s’agit de Bâbâ Tâ­hir1, poète per­san, dont la sim­pli­cité des sen­ti­ments et du vo­ca­bu­laire fait le charme de ses qua­trains. On sait peu de choses sur lui ; on ignore même le temps où il vé­cut (entre le Xe et XIIe siècle apr. J.-C. pro­ba­ble­ment). Il était un de ces der­viches er­rants, ces fous de Dieu qui passent pour saints en Orient, et que pour cela, tout le monde ré­vère et res­pecte. Le sur­nom de ‘Uryân2 (« le Nu ») sous le­quel il est dé­si­gné lui vient, disent cer­tains, de ce qu’il se pro­me­nait sans vê­te­ments dans les ba­zars et dans les rues ; mais il est tout aussi vrai­sem­blable qu’il vi­vait dans le dé­nue­ment ou le re­non­ce­ment, plu­tôt que dans la com­plète nu­dité : « Je suis le bo­hème mys­tique qu’on ap­pelle “qa­len­der” ; je n’ai ni feu ni lieu, nul point d’attache », dit-il. « Le jour, j’erre au­tour du monde, et la nuit, je m’endors une brique sous la tête… Il n’y a point dans l’univers de pa­pillon aussi étourdi, de fou aussi étrange que moi. Les ser­pents et les four­mis ont tous une re­traite, mais moi je n’ai pas même — in­for­tuné ! — le mur d’une mai­son en ruines »3. En tout cas, l’on constate que son mys­ti­cisme ne lui épar­gna ni les tour­ments de l’amour ni les an­goisses cau­sées par la pen­sée de la mort. Il est, d’ailleurs, un des pre­miers der­viches à avoir dé­crit ses trans­ports amou­reux dans la langue per­sane : « Le col­chique des mon­tagnes ne dure qu’une se­maine, ainsi que la vio­lette des bords de la ri­vière ; je veux crier, de ville en ville, que la fi­dé­lité des belles aux joues ro­sées ne dure qu’une se­maine… Mon cœur est plein de feu, mes yeux pleins de larmes ; ma vie n’est qu’un vase rem­pli de tris­tesses et d’ennuis. Eh bien ! si, après ma mort, tu viens à pas­ser près de ma tombe, ton par­fum me ren­dra la vie »4.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises des qua­trains, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Clé­ment Huart.

« ز کشت خاطرم جز غم نروئی
ز باغم جز گل ماتم نروئی
ز صحرای دل بیحاصل مو
گیاه ناامیدی هم نروئی
 »
— Qua­train dans la langue ori­gi­nale

« Dans le champ de ma pen­sée, il ne croît que des in­quié­tudes ; dans mon jar­din, il ne pousse que des fleurs de deuil. La plante du déses­poir ne vit même pas dans mon cœur sté­rile. »
— Qua­train dans la tra­duc­tion de Huart

« Au champ de mon es­prit ne croît que la mi­sère ;
Dans mon jar­din n’éclôt que la fleur fu­né­raire ;
Et dans mon cœur, dé­sert sté­rile et dé­solé,
L’herbe du déses­poir même n’a point poussé. »
— Qua­train dans la tra­duc­tion d’Henri Massé (« Le Poète ira­nien Baba Tâ­hir » dans « Ygg­dra­sill », vol. 1, no 10, p. 8-9)

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  • « An­tho­lo­gie per­sane (XIe-XIXe siècle) ; pré­pa­rée par Henri Massé » (éd. Payot, coll. Bi­blio­thèque his­to­rique, Pa­ris).
  1. En per­san باباطاهر. Par­fois trans­crit Bâbâ Tâ­her. Haut
  2. En per­san عریان. Par­fois trans­crit Uriyan, ‘Oriyān ou Oryân. Haut
  1. p. 516 & 528. Haut
  2. p. 536 & 539. Haut