
dans « Les Suicidés illustres : biographie des personnages remarquables de tous les pays qui ont péri volontairement » (XIXe siècle), p. 188-189
Il s’agit de Crémutius Cordus 1, historien et sénateur romain, non moins célèbre par son suicide exemplaire que par ses écrits condamnés au feu. C’était un homme de caractère, d’une rare franchise et liberté de langage, et qui, fidèle à ses convictions républicaines, s’était autorisé dans ses « Annales » à louer Brutus, meurtrier de César, et à saluer Cassius comme le « dernier des Romains » (« Romanorum ultimum ») ; il n’avait pas craint non plus de blâmer ceux de ses collègues qui s’étaient rangés du côté du régime impérial. Ses « Annales », aujourd’hui perdues, étaient une histoire des guerres civiles et du règne d’Auguste. D’après le jugement admiratif de Sénèque 2, « [d’un] ton magnifique, il y déplorait les guerres civiles et proscrivait pour l’éternité les proscripteurs ». En fait, ni Auguste ni Tibère n’en prirent ombrage ; et Crémutius aurait peut-être échappé aux détracteurs s’il ne s’était pas attiré, par quelques piques, la haine mortelle du préfet Séjan (de l’an 15 à l’an 31 apr. J.-C.). Oui, le vrai crime de Crémutius fut d’avoir parlé ouvertement de cet homme vil et puissant. Il n’avait pu s’empêcher de dire que « Séjan n’attend pas qu’on le place sur nos têtes ; il s’y hisse lui-même » 3. Un autre jour, comme on venait de décerner à Séjan une statue qu’on allait ériger sur les cendres du théâtre de Pompée : « Cette fois-ci », s’écria Crémutius, « c’est bien la fin de ce théâtre » (« Tunc vere theatrum perire »). Sénèque approuvera ces sorties : « Pouvait-il ne pas éclater en voyant un soldat déloyal [c’est-à-dire un Séjan] déifié dans le monument qui perpétue la mémoire d’un de nos plus grands généraux [c’est-à-dire le théâtre de Pompée] ? » L’acte d’accusation contre Crémutius fut signé. Une meute de sbires furieux, que Séjan, pour se les attacher et se les rendre fidèles, « abreuvait de sang humain », se mirent à « aboyer » autour de notre homme, qui ne garda pas moins tout son sang-froid. Que faire ? Pour vivre, il n’y avait qu’un moyen : il fallait apaiser le préfet irrité en allant se jeter à ses pieds ; et Crémutius n’était pas homme à le faire. Il s’adressa à ses accusateurs : « La postérité rend justice à chacun ; et s’il faut que je sois condamné, non seulement les noms de Cassius et de Brutus ne seront pas pour cela abolis, mais le mien vivra avec eux » (« non modo Cassii et Bruti, sed etiam mei meminerint ») 4. Devant tout autre public, ces mots énergiques et résolus auraient éveillé quelque chose de bon, quelque sursaut de l’esprit ou quelque émoi du cœur ; mais ils n’avaient aucune prise sur des « loups voraces » (« avidissimorum luporum ») excités par le sang, comme dit Sénèque. Crémutius, qui voyait bien que Rome était à jamais plongée dans la dépravation générale, se donna la mort. À l’instigation de Séjan, les sénateurs, inventant un délit de pensée, condamnèrent ses « Annales » à être brûlées et ordonnèrent d’en rechercher toutes les copies qu’il y avait.
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- Étude de … Dabadie (1859) [Source : Google Livres]
- Étude de … Dabadie (1859) ; autre copie [Source : Google Livres]
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Émile Amiel, « L’Éloquence sous les Césars » (XIXe siècle) [Source : Google Livres].
- En latin Aulus Cremutius Cordus.
- « Consolation à Marcia », ch. XXVI.