mère de Fujiwara no Michitsuna, «Mémoires d’une éphémère (954-974)»

éd. Collège de France-Institut des hautes études japonaises, coll. Bibliothèque de l’Institut des hautes études japonaises, Paris

éd. Col­lège de France-Ins­ti­tut des hautes études ja­po­naises, coll. Bi­blio­thèque de l’Institut des hautes études ja­po­naises, Pa­ris

Il s’agit du «Jour­nal d’une éphé­mère». Ce genre d’écrits in­times qui tient tant de place dans la lit­té­ra­ture fé­mi­nine du Ja­pon, je veux dire le «nikki» («jour­nal»), fut inau­guré (chose étrange!) par un homme, Ki no Tsu­rayuki 1, poète et cri­tique, qui ve­nait d’exercer, pen­dant cinq ans, les fonc­tions de pré­fet de la pro­vince de Tosa. Dans son «Tosa nikki» 2Jour­nal de Tosa»), ré­digé en 935 apr. J.-C., il ra­con­tait dans une prose ex­quise, en­tre­mê­lée de poé­sies, son voyage de re­tour à la ca­pi­tale. Mais le prin­ci­pal in­té­rêt de son jour­nal était ailleurs : tout le se­cret en était, en ef­fet, dans la pre­mière phrase, où l’auteur fai­sait le choix de l’écriture ja­po­naise, qu’on ap­pe­lait com­mu­né­ment «on­nade» 3main de femme»), par op­po­si­tion à l’écriture chi­noise, qu’on ap­pe­lait com­mu­né­ment «oto­kode» 4main d’homme»). C’est non seule­ment en «on­nade» qu’il écri­vit son jour­nal, mais aussi dans la langue même que pra­ti­quaient les femmes, dé­mon­trant de la sorte que cette langue par­ve­nait à ex­pri­mer par­fai­te­ment, si­non les concepts abs­traits de l’écriture chi­noise, du moins les mou­ve­ments dé­li­cats du cœur, com­muns à toute l’humanité : «[D’un pays à l’autre], le lan­gage certes dif­fère», dit le «Jour­nal de Tosa» 5, «mais puisque pa­reil à coup sûr est le clair de lune, pour­quoi n’en se­rait-il de même du cœur hu­main?» Les dames de la Cour ja­po­naise ne tar­dèrent pas à en­tendre cette le­çon, et cloî­trées comme elles étaient dans leurs chambres, où elles avaient as­sez de loi­sir pour lire et pour son­ger à leurs mal­heurs, elles se mirent à no­ter leurs tristes pen­sées sous forme de jour­nal. La vio­lence des émo­tions dont elles étaient suf­fo­quées, et qu’elles ne pou­vaient pas dire à haute voix, éclata bien­tôt en un feu d’artifice comme on n’en vit ja­mais de sem­blable dans la lit­té­ra­ture uni­ver­selle. Se sui­virent à quelques an­nées d’intervalle : le «Ka­gerô (no) nikki» 6Jour­nal d’une éphé­mère»); le «Mu­ra­saki-shi­kibu nikki» 7Jour­nal de Mu­ra­saki-shi­kibu»); l’«Izumi-shi­kibu nikki» 8Jour­nal d’Izumi-shikibu»); le «Sa­ra­shina nikki» 9Jour­nal de Sa­ra­shina»); le «Jô­jin-ajari (no) haha no shû» 10Jour­nal de la mère du ré­vé­rend Jô­jin»); en­fin le «Sa­nuki no suke (no) nikki» 11Jour­nal de la dame d’honneur Sa­nuki»).

«puisque pa­reil à coup sûr est le clair de lune, pour­quoi n’en se­rait-il de même du cœur hu­main?»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style du «Jour­nal d’une éphé­mère» : «Nous nous dé­fîmes de nos vê­te­ments — elle qui par­tait, une veste vio­lette, moi qui res­tais, une chose lé­gère, cou­leur oran­gée — nous les échan­geâmes, et puis nous nous quit­tâmes… Or donc, j’imaginais qu’elle ve­nait d’atteindre les pa­rages du mont de la Bar­rière et, comme la lune me tou­chait sen­si­ble­ment, je de­meu­rais à la contem­pler, quand, dans la pièce voi­sine, où l’on n’était pas non plus en­core cou­ché, on se mit à pin­cer la ci­thare en pro­non­çant ces mots :

Il n’est pas en son pou­voir
D’arrêter la voya­geuse,
Bar­rière des Ren­contres en ruines.
Quand ré­sonne ma ci­thare
Mes yeux s’emplissent de larmes.

C’est qu’on éprou­vait des sen­ti­ments sem­blables aux miens» 12.

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Do­nald Keene, «Les Jour­naux in­times dans la lit­té­ra­ture ja­po­naise» (éd. Col­lège de France-Ins­ti­tut des hautes études ja­po­naises, coll. Tra­vaux et confé­rences de l’Institut des hautes études ja­po­naises du Col­lège de France, Pa­ris).
  1. En ja­po­nais 紀貫之. Au­tre­fois trans­crit Tsou­rayouki. Haut
  2. En ja­po­nais «土佐日記». Au­tre­fois trans­crit «Toça nikki» ou «Tossa nikki». Haut
  3. En ja­po­nais 女手. Par­fois trans­crit «won­nade». Haut
  4. En ja­po­nais 男手. Par­fois trans­crit «wo­to­kode» ou «wo­toko no te». Haut
  5. p. 36-37. Haut
  6. En ja­po­nais «蜻蛉日記». Au­tre­fois trans­crit «Ka­gherô nikki». Haut
  1. En ja­po­nais «紫式部日記». Au­tre­fois trans­crit «Mou­ra­çaki Shi­ki­bou niki» ou «Mou­ra­saki Shi­ki­bou nikki». Haut
  2. En ja­po­nais «和泉式部日記». Au­tre­fois trans­crit «Izoumi-shi­ki­bou nikki». Haut
  3. En ja­po­nais «更級日記». Haut
  4. En ja­po­nais «成尋阿闍梨母集». Haut
  5. En ja­po­nais «讃岐典侍日記», in­édit en fran­çais. Au­tre­fois trans­crit «Sa­nouki no souké no nikki». Haut
  6. p. 49. Haut