Il s’agit de l’« Anthologie de la sagesse extrême-orientale » (« Sŏnghak chipyo » 1, littéralement « Recueil essentiel de l’étude de la sagesse »), ouvrage qui appartient à l’apogée du néo-confucianisme coréen. Son auteur Yi I 2, plus connu sous le surnom de Yulgok 3 (« la Vallée des châtaigniers »), aurait pu poursuivre une existence de moine ; car en 1551 apr. J.-C., après la mort prématurée de sa mère Sin Sa-imdang 4, femme de lettres et l’une des artistes-peintres les plus respectées, alors que le chagrin et le deuil le plongèrent dans une sombre méditation, il se retira dans un monastère bouddhique sur les monts de Diamants (Kumgangsan 5). Mais un moine qu’il rencontra là-bas le fit changer d’avis : « Alors que je visitais [un des monts], je pénétrais seul un jour, durant quelques “li”, dans une profonde vallée et y découvris un petit ermitage. Un vieux moine, qui portait l’habit, était assis dans une position correcte, me regardant, sans dire un mot et sans se lever. Furetant partout dans l’ermitage, je ne remarquai aucun objet. Et dans la cuisine, il semblait qu’on n’avait pas préparé de repas depuis plusieurs jours » 6. Yulgok se rendit compte, en conversant avec cet homme, qu’une vie retirée et solitaire aurait été une vie stérile, qui n’aurait pu lui apporter un bonheur complet ; elle aurait consisté à négliger ses devoirs envers la société laïque, si lourds soient-ils. « Je n’ai pas encore achevé mes relations avec le monde », dit-il 7 à son retour. Et après une période d’hésitation, où il relut l’ensemble des traditions chinoises et coréennes, dans la multitude de leurs textes, il décida d’agir par toutes ses forces à la transformation de son pays selon l’éthique de l’école néo-confucéenne. Regardé dans son pays comme le modèle de cette école, Yulgok fut plusieurs fois ministre. Politicien engagé et grand moraliste, il laissa derrière lui une dizaine d’ouvrages ayant pour thème principal l’élévation des esprits et le développement des consciences à travers l’étude : « Sans étude, nul homme ne pourrait devenir humain », dit-il dans une célèbre phrase 8. Par « étude », Yulgok n’entend rien d’insolite ni d’extraordinaire : « Il suffit », précise-t-il, « de se conduire à tout moment du quotidien, en fonction [des] circonstances, en père tendre, en fils filial, en sujet loyal, en époux soucieux des distinctions de rôles, en frère attentionné, en jeune homme respectueux des aînés ou en ami de confiance. » Dans notre monde actuel où l’on ne comprend plus que l’étude réside dans le quotidien et où on la croit exagérément malaisée, la pensée de Yulgok si pure, si belle, si concrète peut être un admirable soutien.
« Sans étude, nul homme ne pourrait devenir humain »
Voici un passage qui donnera une idée du style de l’« Anthologie de la sagesse extrême-orientale » : « L’obscurité du monde a atteint son point extrême. Parfois un souverain a établi un meilleur fondement grâce à son talent et à sa sagesse, mais en général, comme les gens étaient prisonniers de théories centrées sur l’ambition et le profit, il était impossible d’apercevoir le moindre indice de vertu. Cela pourrait être comparé à la flamme qui brille dans une nuit très obscure. Comment pourrait-elle soutenir [tout] l’univers et éclairer le soleil et la lune… ? » 9
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- Juliette Morillot évoquant le néo-confucianisme coréen [Source : Radio Télévision Suisse (RTS)].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Isabelle Sancho, « L’Orthodoxie néo-confucéenne coréenne de la première moitié de Chosŏn (XIVe-XVIe siècle) et les interrogations de type religieux : le cas de Yulgok, Yi I (1536-1584) » dans « Le Nouvel Âge de Confucius » (éd. PUPS, coll. Asie, Paris), p. 145-153
- Philippe Thiébault, « La Pensée coréenne : aux sources de l’Esprit-Cœur ; essai » (éd. Autres Temps, coll. Le Temps de la pensée, Gémenos).
- En coréen « 성학집요 », en chinois « 聖學輯要 ». Parfois transcrit « Song-hak tchi-pyo » ou « Seonghak jibyo ».
- En coréen 이이. Parfois transcrit Yi Yi.
- En coréen 율곡, en chinois 栗谷. Autrefois transcrit Yul-kok, Youlgok ou Youl-kok.
- En coréen 신사임당, en chinois 申師任堂. Parfois transcrit Shin Saïmdang.
- En coréen 금강산.