Nguyễn Trãi, « Recueil de poèmes en langue nationale »

éd. du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Paris

éd. du Centre na­tio­nal de la re­cherche scien­ti­fique (CNRS), Pa­ris

Il s’agit du « Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale »1 (« Quốc âm thi tập ») de Nguyễn Trãi, let­tré viet­na­mien (XIVe-XVe siècle) qui mar­qua de son gé­nie po­li­tique et mi­li­taire la guerre d’indépendance me­née contre les Chi­nois. Son père, Nguyễn Phi Khanh, était grand man­da­rin à la Cour. Quand les ar­mées chi­noises des Ming en­va­hirent le pays, il fut ar­rêté avec plu­sieurs autres di­gni­taires et en­voyé en exil à Nan­kin. Nguyễn Trãi sui­vit le cor­tège des pri­son­niers jusqu’à la fron­tière. Bra­vant le joug, les en­traves et les coups de ses geô­liers, le grand man­da­rin or­donna à son fils : « Tu ne dois pas pleu­rer la sé­pa­ra­tion d’un père et de son fils. Pleure sur­tout l’humiliation de ton peuple. Quand tu se­ras en âge, venge-moi ! »2 Nguyễn Trãi gran­dit. Il tint la pro­messe so­len­nelle faite à son père, en ras­sem­blant le peuple en­tier au­tour de Lê Lợi, qui chassa les Ming avant de de­ve­nir Em­pe­reur du Viêt-nam. Hé­las ! la dy­nas­tie des Lê ainsi fon­dée prit vite om­brage des conseils et de la no­to­riété de Nguyễn Trãi. Écarté d’une Cour qu’il ve­nait de conduire à la vic­toire, notre pa­triote se fit er­mite et poète : « Je ne cours point après les hon­neurs ni ne re­cherche les pré­bendes ; [je] ne suis ni joyeux de ga­gner ni triste de perdre. Les eaux ho­ri­zonnent ma fe­nêtre, les mon­tagnes — ma porte. Les poèmes em­plissent mon sac, l’alcool — ma gourde… Que reste-t-il de ceux que l’ambition ta­lon­nait sans ré­pit ? Des tombes à l’abandon sous l’herbe épaisse »3. Toute sa vie, Nguyễn Trãi eut cette seule pré­oc­cu­pa­tion : l’amour de la pa­trie qui, dans son cœur, était in­sé­pa­rable de l’amour du peuple. Res­tant as­sis, ser­rant une froide cou­ver­ture sur lui, il pas­sait des nuits sans som­meil, son­geant com­ment re­le­ver le pays et pro­cu­rer au peuple une paix du­rable après ces longues guerres : « Dans mon cœur, une seule pré­oc­cu­pa­tion sub­siste : les af­faires du pays. Toutes les nuits, je veille jusqu’aux pre­miers tin­te­ments de cloche »4. On tient gé­né­ra­le­ment la « Grande Pro­cla­ma­tion de la pa­ci­fi­ca­tion des Chi­nois » pour le chef-d’œuvre de Nguyễn Trãi, dans le­quel, aujourd’hui en­core, chaque Viet­na­mien re­con­naît avec émo­tion l’une des sources les plus ra­fraî­chis­santes de son iden­tité na­tio­nale : « Notre pa­trie, le Grand Viêt, de­puis tou­jours, était terre de vieille culture. Terre du Sud, elle a ses fleuves, ses mon­tagnes, ses mœurs et ses cou­tumes dis­tincts de ceux du Nord… » Mais son « Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale » qui dé­crit, avec par­fois une teinte d’amertume, les charmes de la vie ver­tueuse et so­li­taire, et qui change en ta­bleaux en­chan­teurs les scènes de la na­ture sau­vage et né­gli­gée, m’apparaît comme étant le plus réussi et le plus propre à être goûté d’un pu­blic étran­ger.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises du « Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Paul Schnei­der.

« Dấu người đi là-đá mòn,
Đường hoa vắng bặt trúc lòn.
Cưa song giại thâm hơi nắng,
Tiếng vượn vang kêu cách non.
Cây dợp tán che am mát,
Hồ thanh nguyệt hiện bóng tròn.
Rùa nằm hạc lẩn nên bầy bạn,
Ủ ấp cùng ta làm cái con. »
— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Sen­tier pier­reux usé par les pieds des pas­sants.
Sous les bam­bous, pro­fond si­lence en­che­vê­tré.
Baie de fe­nêtre ou­verte au so­leil ;
Cris des gib­bons ré­per­cu­tés du mont.
Arbres om­breux, pa­ra­sol du frais er­mi­tage ;
Étang lim­pide, lune à ronde image.
Grues er­mites, tor­tues pos­tées, groupe d’amis,
Je les couve en mon sein, tels de pe­tits en­fants. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Schnei­der

« Les pas des hommes usent même la pierre,
Le che­min fleuri se fau­file sous les fins bam­bous,
La fe­nêtre ex­po­sée s’offre à l’invasion du so­leil,
Le cri du singe re­ten­tit à tra­vers monts.
Tel un pa­ra­sol, la riche fron­dai­son des arbres verse fraî­cheur à la chau­mière.
Dans la gra­cieuse mare se des­sine le disque par­fait de la lune ;
Ci­gognes et grues viennent ici en bandes ami­cales,
M’entourent, me ché­rissent, sont comme mes en­fants. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Vu Cân (dans « Nguyễn Trãi, l’une des plus belles fi­gures de l’histoire et de la lit­té­ra­ture viet­na­miennes », éd. en Langues étran­gères, Ha­noï)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • « Nguyên Trai, clas­sique viet­na­mien du XVe siècle » dans « Eu­rope », vol. 58, no 613, p. 3-102
  • Phi­lippe De­la­lande, « Viêt-nam, dra­gon en puis­sance : fac­teurs po­li­tiques, éco­no­miques, so­ciaux » (éd. L’Harmattan, coll. Points sur l’Asie, Pa­ris)
  • Dương Thu Hương, « Les Col­lines d’eucalyptus : ro­man ; tra­duit du viet­na­mien par Phuong Dang Tran » (éd. S. Wes­pie­ser, Pa­ris).
  1. Au­tre­fois tra­duit « Re­cueil des poé­sies en langue na­tio­nale » ou « Col­lec­tion de poèmes en langue na­tio­nale ». Haut
  2. Dans Dương Thu Hương, « Les Col­lines d’eucalyptus : ro­man ». Haut
  1. « Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale », p. 200. Haut
  2. id. p. 132. Haut