Sun Bin, «Le Traité militaire»

éd. Institut de stratégie comparée-Economica, coll. Bibliothèque stratégique, Paris

éd. Ins­ti­tut de stra­té­gie com­pa­rée-Eco­no­mica, coll. Bi­blio­thèque stra­té­gique, Pa­ris

Il s’agit des «Sept Trai­tés de la guerre» 1Wu jing qi shu» 2), où se concentre l’essence de la pen­sée stra­té­gique de la Chine an­cienne : 1º «Art de la guerre de Sun zi [ou Sun tzu]» 3Sun zi bing fa» 4); 2º «Art de la guerre de Wu zi» 5Wu zi bing fa» 6); 3º «Art des ma­ré­chaux» 7Si ma fa» 8); 4º «Maître Wei Liao» 9Wei Liao zi» 10); 5º «Stra­té­gie en trois cha­pitres» 11San Lüe» 12); 6º «Six Four­reaux» 13Liu Tao» 14); 7º «Dia­logue avec Li, duc de Wei» 15Li Wei gong wen dui» 16). On pour­rait y ajou­ter l’«Art de la guerre de Sun Bin» («Sun Bin bing fa» 17), ou­vrage long­temps perdu, puis re­dé­cou­vert ré­cem­ment dans une tombe à Yin­que­shan. En Oc­ci­dent comme en Chine, c’est le pre­mier des «Sept Trai­tés», et le plus an­cien (Ve siècle av. J.-C.), qui est resté le plus fa­meux : «Art de la guerre de Sun tzu». Gé­né­ral du roi de Wu 18, Sun tzu au­rait ob­tenu ce poste à la suite d’un fort bel ex­ploit : il au­rait créé un corps d’élite fé­mi­nin, un ré­gi­ment com­posé des cent quatre-vingts femmes les plus dé­li­cates du pa­lais, que le roi lui au­rait confiées pour éprou­ver ses dons de stra­tège. «Les Sept Trai­tés de la guerre» sont una­nimes à re­gar­der la guerre comme une ca­la­mité. On ne l’entreprend que contraint et forcé. La guerre est pour le pays ce qu’une vio­lente ma­la­die est pour le corps. La paix en est la gué­ri­son. La né­ces­sité seule doit nous pous­ser au com­bat. En­core faut-il épui­ser au­pa­ra­vant toutes les res­sources de la ruse et de la mé­dia­tion. Quant au com­bat lui-même, la sa­gesse consiste à le me­ner avec grande re­te­nue, avec «cha­rité», et à y mettre fin le plus tôt qu’il se peut. Le pre­mier cha­pitre de l’«Art des ma­ré­chaux» est in­ti­tulé jus­te­ment «La cha­rité pour fon­de­ment». Il adresse les re­com­man­da­tions sui­vantes à l’armée qui s’apprêterait à com­battre : «Lorsque vous en­tre­rez sur le ter­ri­toire du cou­pable, vous ne de­vez ni pro­fa­ner ses dieux… ni dé­truire ses ou­vrages d’art, ni brû­ler ses mai­sons, ni abattre ses fo­rêts, ni faire main basse sur ses trou­peaux, ses ré­coltes et ses ou­tils. Vous lais­se­rez al­ler les en­fants et les vieillards sans les mo­les­ter; vous ne por­te­rez pas la main sur les hommes va­lides que vous croi­se­rez en che­min, à moins qu’ils ne fassent mine de ré­sis­ter». Sun tzu le dit aussi en ses propres termes : «Il est pré­fé­rable de pré­ser­ver un pays [que de] le dé­truire… Être vic­to­rieux dans tous les com­bats n’est pas le fin du fin. Sou­mettre l’ennemi sans en­san­glan­ter la lame, voilà le fin du fin».

C’est pour­quoi la meilleure des stra­té­gies ne vise pas l’assaut di­rect et ou­vert des villes, mais s’attaque su­brep­ti­ce­ment aux plans de l’adversaire et à son état d’esprit. «Le mieux, à la guerre», dit Sun tzu, «consiste à at­ta­quer les plans de l’ennemi; en­suite ses al­liances; en­suite ses troupes; en der­nier ses villes» (ch. III). De même que l’eau contourne les obs­tacles et se fau­file en épou­sant les ac­ci­dents du ter­rain, de même un grand ca­pi­taine de­vrait cher­cher les voies de moindre ré­sis­tance; évi­ter ce qui est fort, pour frap­per ce qui est faible; li­mi­ter les cam­pagnes dans le temps, avec aussi peu de dom­mages que pos­sible, car «ja­mais il n’est ar­rivé qu’un pays ait pu ti­rer pro­fit d’une guerre pro­lon­gée» (ch. II). Telle ap­pa­raît l’éthique chi­noise de la guerre. Elle té­moigne d’un sens si pro­fond et si vif de l’humanité, elle se montre si at­ten­tive à pré­ve­nir toute ef­fu­sion de sang, qu’elle bous­cule nos craintes et pré­ju­gés sur l’art mi­li­taire. Ses for­mules denses et in­ci­sives in­vitent à une guerre beau­coup plus ré­flé­chie, «beau­coup plus in­tel­lec­tuelle qu’une charge à la baïon­nette» (Law­rence d’Arabie).

«tout ce que la guerre ren­ferme d’humain, au sens le plus élevé du mot»

«On me­sure la dif­fé­rence avec le grand clas­sique oc­ci­den­tal de la stra­té­gie — “De la guerre” de Carl von Clau­se­witz — qui re­com­mande d’annihiler en prio­rité la force ma­jeure de l’adversaire afin de le mettre en si­tua­tion de ne plus pou­voir se dé­fendre et ainsi lui dic­ter sa vo­lonté. À l’inverse, en Chine, la sub­ti­lité, voire la sen­si­bi­lité, fait la dif­fé­rence pour ap­pré­cier qua­li­ta­ti­ve­ment le mode de fonc­tion­ne­ment de l’esprit ad­verse… Les lec­teurs de l’“Art de la guerre de Sun tzu” savent d’expérience que le mode d’expression de la pen­sée chi­noise dif­fère no­ta­ble­ment de ce dont nous avons cou­tume en Oc­ci­dent», dit M. Pierre Fayard. «Il ne faut pas, en ef­fet, se conten­ter de par­cou­rir des yeux ces maximes», dit le lieu­te­nant-co­lo­nel … Cho­let, «il faut y ar­rê­ter ses pen­sées et les mé­di­ter. Elles touchent à tout ce que la guerre ren­ferme d’humain, au sens le plus élevé du mot. À ce titre, elles sont en­core d’actualité et le res­te­ront pro­ba­ble­ment tou­jours, [car] à part nos ma­chines et nos en­gins, nous n’avons rien in­venté.»

Il n’existe pas moins de trois tra­duc­tions fran­çaises de l’«Art de la guerre de Sun Bin», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Va­lé­rie Ni­quet-Ca­bes­tan.

「孫子曰:『間於天地之間,莫貴於人.戰〔必三得,五〕不單(殫).天時,地利,人和,三者不得,雖勝有央(殃).是以必付與而〔用〕戰,不得已而後戰.故撫時而戰,不復(復)使其眾.無方而戰者,小勝以付磿者也』.」

 Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

«Sun Bin dit : “Au centre, entre le ciel et la terre, rien n’est plus pré­cieux que l’homme… Le temps, l’avantage du ter­rain et l’harmonie entre les hommes, si l’on ne pos­sède pas ces trois choses-là, on sombre dans le mal­heur en dé­pit de la vic­toire. C’est pour­quoi on ne peut com­battre que lorsqu’il est pos­sible de s’appuyer sur ces trois élé­ments. Lorsque ces trois élé­ments ne sont pas suf­fi­sam­ment pré­sents, il faut fuir le com­bat. C’est pour­quoi, lorsqu’on en­gage le com­bat en maî­tri­sant le temps, on ne se trouve pas dans l’obligation de faire plu­sieurs fois ap­pel aux troupes. Ce­lui qui com­bat sans fon­de­ment et rem­porte une courte vic­toire s’est ap­puyé sur le cal­cul des astres”.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Ni­quet-Ca­bes­tan

«Sun Bin dit : “Entre le ciel et la terre, rien n’est plus pré­cieux que l’homme… Trois élé­ments sont in­dis­pen­sables : le ciel, la terre et l’homme. Sans eux, même si on l’emporte, la vic­toire est fra­gile. On ne fait la guerre que lorsque les trois condi­tions sont rem­plies, et d’ailleurs, comme le der­nier re­cours. C’est pour­quoi il faut sai­sir le bon mo­ment, se­lon ce que dicte la na­ture et ne pas en­ga­ger de guerre n’importe quand. Quand on va contre les condi­tions ci-des­sus, s’il n’est pas im­pos­sible de rem­por­ter de pe­tites vic­toires, c’est qu’on tombe par ha­sard dans la loi du ca­len­drier”.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Luo She­nyi (éd. You Feng, Pa­ris)

«Sun Bin dit : “Dans le monde, rien n’est plus pré­cieux que l’homme… Si les trois condi­tions — mo­ment fa­vo­rable, ter­rain avan­ta­geux et har­mo­nie hu­maine — ne sont pas réunies com­plè­te­ment, le mal­heur peut tou­jours sur­ve­nir, même si la vic­toire a été ob­te­nue. Par consé­quent, l’armée ne peut pas al­ler se battre à moins que ces trois condi­tions soient réunies, et que la si­tua­tion l’y contraigne. C’est pour­quoi l’armée qui se bat au mo­ment pro­pice n’a pas be­soin de li­vrer com­bat sur com­bat. Si, bien qu’elle ne jouisse pas des trois condi­tions sus­men­tion­nées, elle rem­porte des vic­toires mi­neures, c’est qu’elle est fa­vo­ri­sée par le cal­cul tem­po­rel”.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Tang Jia­long et Mme Vé­ro­nique Rif­faud (éd. Ri­vages, coll. Ri­vages poche-Pe­tite Bi­blio­thèque, Pa­ris)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. Par­fois tra­duit «Sept Clas­siques de l’art de la guerre» ou «Les Sept Clas­siques mi­li­taires». Haut
  2. En chi­nois «武經七書». Au­tre­fois trans­crit «Wu-ching ch’i-shu». Haut
  3. Par­fois tra­duit «L’Art de la guerre se­lon maître Sun», «Les Treize Ar­ticles sur l’art mi­li­taire par Sun-tsée», «Mé­thode stra­té­gique de maître Sun», «Règles de l’art mi­li­taire par Sun-tse», «L’Art mi­li­taire de Souen tseu», «Art de faire la guerre du maître Sun» ou «L’Art de la guerre de maître Sun ou Sun-tzu». Haut
  4. En chi­nois «孫子兵法». Par­fois trans­crit «Sun-tse-ping-fa», «Sun tze ping fa», «Sun tzu ping fa» ou «Souen-tseu ping-fa». Haut
  5. Au­tre­fois tra­duit «Le Traité mi­li­taire de Wu», «Les Six Ar­ticles sur l’art mi­li­taire par Ou-tse» ou «Le Traité mi­li­taire de maître Wou ou Wou-tseu». Haut
  6. En chi­nois «吳子兵法». Au­tre­fois trans­crit «Ou-tse-ping-fa» ou «Wu tzu ping fa». Haut
  7. Par­fois tra­duit «Les Quatre Ar­ticles sur l’art mi­li­taire par Se-ma», «Les Prin­cipes du Sema», «Le Code mi­li­taire du grand ma­ré­chal» ou «Les Règles stra­té­giques du grand ma­ré­chal». Haut
  8. En chi­nois «司馬法». Par­fois trans­crit «Se-ma-fa», «Sse-ma-fa» ou «Ssu-ma fa». Haut
  9. Par­fois tra­duit «Art du com­man­de­ment de Liao» ou «L’Art du com­man­de­ment du com­man­dant Leao». Haut
  1. En chi­nois «尉繚子». Au­tre­fois trans­crit «Goei-Leao-tse», «Wei Liao tzu» ou «Wei-Leao-tseu». Haut
  2. Au­tre­fois tra­duit «Les Trois Stra­té­gies» ou «Trois Ordres stra­té­giques». Haut
  3. En chi­nois «三略». Par­fois trans­crit «San-lio», «San lüeh» ou «San-liue». Haut
  4. Au­tre­fois tra­duit «Les Six Ar­canes stra­té­giques». Haut
  5. En chi­nois «六韜». Par­fois trans­crit «Liu Thao», «Lou-tao» ou «Lieou T’ao». Haut
  6. Au­tre­fois tra­duit «Ques­tions de l’Empereur des T’ang au gé­né­ral Li Wei-kong», «Les Ques­tions de l’Empereur Tai­zong des Tang au gé­né­ral Li Jing» ou «Ques­tions et Ré­ponses entre Li Wei-kong et l’Empereur des T’ang». Haut
  7. En chi­nois «李衛公問對». Par­fois trans­crit «Li Wei-kong wen-touei» ou «Li Wei kung wên tui». Éga­le­ment connu sous les titres de «Tang Li wen dui» («唐李問對»), c’est-à-dire «Dia­logue entre Tang et Li», et «Tang Tai zong Li Jing wen dui» («唐太宗李靖問對»), c’est-à-dire «Dia­logue entre Tai zong des Tang et Li Jing». Par­fois trans­crit «T’ang Li wen-touei». Haut
  8. En chi­nois «孫臏兵法». Au­tre­fois trans­crit «Sun Pin ping-fa». Haut
  9. Le roi Helu (闔廬). Haut