Il s’agit du « Signe de patience » (« Ren Zi Ji » 1) et autres pièces du théâtre des Yuan. Les lettrés chinois travaillaient peu pour le théâtre et recueillaient peu de renommée de leurs pièces, parce que ce genre était plutôt toléré que permis en Chine ; les anciens sages l’ayant constamment décrié et regardé comme un art corrupteur. Il faut attendre le XIIIe siècle apr. J.-C. pour trouver des productions très importantes à la fois en qualité et en quantité. Un désastre national, le passage de la Chine sous le joug mongol, fut l’occasion de cette soudaine floraison. Durant une période de quatre-vingt-dix ans, les sauvages envahisseurs, qui ne possédaient pas d’écriture, abolirent le système des concours où se recrutaient les fonctionnaires, et reléguèrent les lettrés, qui formaient la classe la plus honorée de la société chinoise, à un des échelons les plus bas, tout juste devant les prostituées et les mendiants. Par désœuvrement, ces lettrés se tournèrent alors vers le théâtre — genre dont la grande vogue commençait à se dessiner, et qu’ils contribuèrent très vite à perfectionner. Cependant, le discrédit attaché au théâtre subsista. Ces lettrés n’accédèrent jamais aux honneurs et durent se contenter d’exercer de modestes emplois — petits commerçants, apothicaires, devins ou simples acteurs. Aussi, ne sommes-nous pas étonnés de ne trouver aucun renseignement sur leur biographie. Et malgré la publication, en 1616, d’une centaine de leurs chefs-d’œuvre dans l’« Anthologie de pièces des Yuan » (« Yuan Qu Xuan » 2), le théâtre est resté jusqu’à nos jours le genre le moins connu de toutes les littératures de divertissement qu’a eues la Chine. « Évidemment, la technique [de ce théâtre] est extrêmement grossière », explique Adolf-Eduard Zucker 3. « Les personnages se font connaître à l’auditoire, en détaillant leur existence passée et la part qu’ils sont appelés à jouer dans le drame… On peut dire que, dans l’ensemble, les pièces n’atteignent guère un plan spirituel très élevé. Il se dégage, cependant, un grand charme de ce théâtre qui nous présente des personnages de toute condition et nous donne une vaste fresque de l’abondante vie de l’Empire du Milieu, aux jours décrits par Marco Polo. »
« une vaste fresque de l’abondante vie de l’Empire du Milieu, aux jours décrits par Marco Polo »
Voici un passage qui donnera une idée du style du « Signe de patience » : « LE VIEILLARD. — Je suis Lieou Jong-tsou ; me voici à l’enclos des tombes. Qu’est-ce que ce jeune homme, assis au milieu ? Il faut que je l’interroge. Holà ! Jeune homme ! Que venez-vous faire ici ?
LIEOU KIUN-TSOUO. — Ce sont les tombes de ma famille. Me défendrez-vous de m’asseoir auprès d’elles ?
LE VIEILLARD. — Ce sont celles de ma famille, mon garçon. Non content de vous asseoir ici, vous prétendez encore que ce sont les tombes des vôtres ? » 4
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Pierre Kaser, « Compte rendu sur “Le Théâtre chinois” de Roger Darrobers » dans « Études chinoises », vol. 16, nº 1, p. 180-183 [Source : Association française d’études chinoises]
- Camille Poupeye, « Le Théâtre chinois » (éd. Labor, Bruxelles)
- Tchou Kia-kien, « Le Théâtre chinois » (éd. M. de Brunoff, Paris) [Source : Bibliothèque nationale de France].
- En chinois « 忍字記 ». Autrefois transcrit « Jen Tseu Ki » ou « Jen Tzu Chi ». L’auteur de cette pièce est Zheng Tingyu (鄭廷玉). Autrefois transcrit Tcheng T’ing-yu ou Cheng T’ing-yü.
- En chinois « 元曲選 ». Autrefois transcrit « Yuan K’iu Siuan », « Yuen-kiu-siuen » ou « Yüan-ch’ü Hsüan ». Également connu sous le titre de « Yuan Ren Bai Zhong Qu » (« 元人百種曲 »), c’est-à-dire « Cent Pièces d’auteurs des Yuan ». Autrefois transcrit « Yüan-jen Pai Chung Ch’ü » ou « Youen Jin Pe Tchong Keu ».