« Théâtre chinois, ou Choix de pièces de théâtre composées sous les Empereurs mongols »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Res­sen­ti­ment de Dou E, qui touche le ciel et émeut la terre » (« Gan Tian Dong Di, Dou E Yuan »1) et autres pièces du théâtre des Yuan. Les let­trés chi­nois tra­vaillaient peu pour le théâtre et re­cueillaient peu de re­nom­mée de leurs pièces, parce que ce genre était plu­tôt to­léré que per­mis en Chine ; les an­ciens sages l’ayant constam­ment dé­crié et re­gardé comme un art cor­rup­teur. Il faut at­tendre le XIIIe siècle apr. J.-C. pour trou­ver des pro­duc­tions très im­por­tantes à la fois en qua­lité et en quan­tité. Un dé­sastre na­tio­nal, le pas­sage de la Chine sous le joug mon­gol, fut l’occasion de cette sou­daine flo­rai­son. Du­rant une pé­riode de quatre-vingt-dix ans, les sau­vages en­va­his­seurs, qui ne pos­sé­daient pas d’écriture, abo­lirent le sys­tème des concours où se re­cru­taient les fonc­tion­naires, et re­lé­guèrent les let­trés, qui for­maient la classe la plus ho­no­rée de la so­ciété chi­noise, à un des éche­lons les plus bas, tout juste de­vant les pros­ti­tuées et les men­diants. Par dés­œu­vre­ment, ces let­trés se tour­nèrent alors vers le théâtre — genre dont la grande vogue com­men­çait à se des­si­ner, et qu’ils contri­buèrent très vite à per­fec­tion­ner. Ce­pen­dant, le dis­cré­dit at­ta­ché au théâtre sub­sista. Ces let­trés n’accédèrent ja­mais aux hon­neurs et durent se conten­ter d’exercer de mo­destes em­plois — pe­tits com­mer­çants, apo­thi­caires, de­vins ou simples ac­teurs. Aussi, ne sommes-nous pas éton­nés de ne trou­ver au­cun ren­sei­gne­ment sur leur bio­gra­phie. Et mal­gré la pu­bli­ca­tion, en 1616, d’une cen­taine de leurs chefs-d’œuvre dans l’« An­tho­lo­gie de pièces des Yuan » (« Yuan Qu Xuan »2), le théâtre est resté jusqu’à nos jours le genre le moins connu de toutes les lit­té­ra­tures de di­ver­tis­se­ment qu’a eues la Chine. « Évi­dem­ment, la tech­nique [de ce théâtre] est ex­trê­me­ment gros­sière », ex­plique Adolf-Eduard Zu­cker3. « Les per­son­nages se font connaître à l’auditoire, en dé­taillant leur exis­tence pas­sée et la part qu’ils sont ap­pe­lés à jouer dans le drame… On peut dire que, dans l’ensemble, les pièces n’atteignent guère un plan spi­ri­tuel très élevé. Il se dé­gage, ce­pen­dant, un grand charme de ce théâtre qui nous pré­sente des per­son­nages de toute condi­tion et nous donne une vaste fresque de l’abondante vie de l’Empire du Mi­lieu, aux jours dé­crits par Marco Polo. »

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises du « Res­sen­ti­ment de Dou E », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle d’Antoine-Pierre-Louis Ba­zin.

「父親停嗔息怒,暫罷狼虎之威,聽你孩兒慢慢的說一遍咱.我三歲上亡了母親,七歲上離了父親,你將我送與蔡婆婆做兒媳婦.至十七歲與夫配合,才得兩年,不幸兒夫亡化,和俺婆婆守寡.這山陽縣南門外有個賽盧醫,他少俺婆婆二十兩銀子.俺婆婆去取討,被他賺到郊外,要將婆婆勒死,不想撞見張驢兒父子兩個,救了俺婆婆性命.」

— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Mon père, sus­pen­dez votre cour­roux ; adou­cis­sez cet as­pect plus re­dou­table que ce­lui du loup et du tigre. Dai­gnez écou­ter jusqu’au bout l’histoire des mal­heurs qui ont af­fligé votre fille. Dès l’âge de quatre ans, je per­dis ma mère ; à sept ans, mon père m’abandonna. Vous m’introduisîtes alors dans la mai­son de Mme Tsaï, où je fus fian­cée ; à dix-sept ans, mon ma­riage s’est ac­com­pli. Mais à peine deux an­nées s’étaient-elles écou­lées, que la mort m’enleva mon époux. Je res­tai veuve avec Mme Tsaï. Dans le dis­trict de Chan-yang, der­rière la porte orien­tale, de­meu­rait alors un mé­de­cin nommé Saï-lou. C’était un homme à qui ma belle-mère avait prêté vingt taëls d’argent. Un jour qu’elle était al­lée les lui de­man­der, Saï-lou, pro­fi­tant du mo­ment où il se trou­vait seul avec elle, loin de toute ha­bi­ta­tion, dans un en­droit dé­sert, conçut l’horrible des­sein d’attenter à ses jours. Heu­reu­se­ment, le ha­sard (qui pou­vait s’y at­tendre ?) vou­lut qu’elle ren­con­trât Tchang-lu-eul et son père, qui tous deux lui sau­vèrent la vie. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ba­zin

« Père, ar­rê­tez votre co­lère, ces­sez pour un ins­tant cette at­ti­tude ter­ri­fiante, et lais­sez votre fille vous ra­con­ter cal­me­ment ce qui s’est passé. À trois ans, j’ai perdu ma mère. À sept ans, j’ai été sé­pa­rée de mon père. Vous m’avez don­née à Mme Cai pour que je de­vienne sa bru, et elle a changé mon nom en Dou E. À dix-sept ans, j’ai été ma­riée. Mal­heu­reu­se­ment mon mari est mort la même an­née. Je suis res­tée veuve et j’ai vécu avec ma belle-mère. À Chuz­hou, il y avait un doc­teur qu’on sur­nom­mait doc­teur Char­la­tan. Il de­vait, avec les in­té­rêts, vingt onces d’argent à ma belle-mère et quand celle-ci est al­lée les lui ré­cla­mer, il l’a en­traî­née en de­hors de la ville et a es­sayé de l’étrangler. De fa­çon in­at­ten­due, elle a été sau­vée par un cer­tain Zhang l’Âne et son père. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Jacques Pim­pa­neau (dans « An­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture chi­noise clas­sique », éd. Ph. Pic­quier, Arles)

« Ne sois pas si fâ­ché, père ! Ne me me­nace pas comme un tigre ou un loup fu­rieux ! Laisse-moi t’expliquer : À trois ans, j’ai perdu ma mère ; à sept ans, j’ai été sé­pa­rée de mon père, lorsque tu m’as don­née à Mme Cai comme fu­ture belle-fille, et on a changé mon nom en Dou E. À dix-sept ans, je me suis ma­riée ; mais mal­heu­reu­se­ment, mon mari est mort deux ans plus tard, et je suis res­tée veuve, en com­pa­gnie de ma belle-mère. À Chuz­hou vi­vait un cer­tain doc­teur Lu, qui de­vait à ma belle-mère vingt taëls d’argent. Un jour où elle était al­lée les lui ré­cla­mer, il l’entraîna hors de la ville et es­saya de l’étrangler. Mais Singe Zhang et son père qui pas­saient par là lui sau­vèrent la vie. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion in­di­recte de M. Ber­nard So­bel (dans « Théâtre/public », no 186-187, p. 11-21)

Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En chi­nois « 感天動地,竇娥冤 ». Au­tre­fois trans­crit « Kan-tien-tong-ti, Teou-ngo-youen ». Éga­le­ment connu sous le titre de « Liu Yue Xue » (« 六月雪 »), c’est-à-dire « La Neige en plein été ». L’auteur de cette pièce est Guan Han­qing (關漢卿). Au­tre­fois trans­crit Kouan-han-king ou Kuan Han-ch’ing. Haut
  2. En chi­nois « 元曲選 ». Au­tre­fois trans­crit « Yuan K’iu Siuan », « Yuen-kiu-siuen » ou « Yüan-ch’ü Hsüan ». Éga­le­ment connu sous le titre de « Yuan Ren Bai Zhong Qu » (« 元人百種曲 »), c’est-à-dire « Cent Pièces d’auteurs des Yuan ». Au­tre­fois trans­crit « Yüan-jen Pai Chung Ch’ü » ou « Youen Jin Pe Tchong Keu ». Haut
  1. Dans Ca­mille Pou­peye, « Le Théâtre chi­nois », p. 130-131. Haut