Il s’agit d’une relation italienne de la guerre de Candie (XVIIe siècle). Durant ses vingt-deux ans de siège, le destin de la principale cité de Crète, Candie — attaquée, d’un côté, avec une fureur extrême par les Ottomans et défendue, de l’autre, avec une constance égale par la République de Venise — fixa l’attention de l’Europe et du monde entier, comme en témoignent les abondantes productions imprimées relatives à l’événement. « À l’instar du siège de Vienne… cette guerre sut réveiller quelque vieux rêve de chrétienté, au cœur même d’États pourtant attelés principalement à la défense de leurs intérêts. » 1 Une aventure singulière, et qui tient presque du roman, attira les armes sur Candie. En 1644, six galères de Malte s’étaient emparées d’un grand vaisseau turc et étaient venues, avec leur prise, mouiller dans un petit port crétois où les autorités vénitiennes eurent l’imprudence de les recevoir. Ce vaisseau turc emmenait, à destination de la Mecque, des pèlerins, des négociants, des soldats, des hommes d’équipage et trente femmes, dont une vieille nourrice du sultan. Ce dernier, apprenant la nouvelle, ne voulut rien moins que faire jeter dans la mer le rocher de Malte. Ses vizirs, plus sages, lui rappelèrent que ce rocher inaccessible avait été l’écueil où s’étaient brisées les ambitions de ses prédécesseurs. Alors, le sultan fit tomber sa colère sur les Vénitiens ; il leur reprocha d’avoir, malgré les traités de paix, reçu dans leur port la prise faite par les Maltais. Il fit faire à sa flotte des préparatifs immenses ; et au mois de mai 1645, 416 navires portant une armée de 50 000 hommes abordèrent en Crète. « De m’imaginer qu’un Empire qui est composé de plusieurs Empires et de plusieurs royaumes… n’[ait] pour principal objet que [de] recouvrer une vieille nourrice qui, même dans sa jeunesse, ne fut jamais belle (car j’ai vu un homme qui l’a vue depuis huit jours), c’est ce que je trouve… grotesque », s’exclame Madeleine de Scudéry en rapportant cette histoire 2.
« cette guerre sut réveiller quelque vieux rêve de chrétienté »
La guerre, qui commença par la prise de La Canée, permit en peu de temps aux Ottomans de se rendre maîtres de toute l’île à l’exception toutefois de Candie. Le siège de cette capitale, entamé quelque temps après, dura plus que celui de Troie. Le sultan couvrait tous les ans la mer de navires pour envoyer des hommes et des provisions de guerre à ses généraux ; les Vénitiens n’en faisaient pas moins. « Quelquefois », dit Voltaire 3, « les Turcs menaçaient la ville ; quelquefois ils étaient assiégés eux-mêmes dans La Canée dont ils avaient fait leur place d’armes. Jamais les Vénitiens ne montrèrent plus de résolution et de courage ; ils battirent souvent les flottes turques. Le trésor de Saint-Marc fut épuisé à lever des soldats. » En 1669, à la demande du pape, Louis XIV accepta de porter secours à cette île qu’on croyait le boulevard de la chrétienté. Le roi envoya 6 000 hommes sous le commandement du duc de Beaufort et du duc de Navailles. « En vérité », écrit un des officiers de cette expédition 4, « Candie n’en pouvait plus quand nous y sommes arrivés. Il leur manquait de toute chose généralement au monde. Nous y portâmes l’abondance avec nous… C’est un miracle qu’elle n’a pas été emportée d’assaut en l’état que nous la trouvâmes. » Apparaissant comme l’arbitre de l’Europe et le protecteur des lieux saints, Louis XIV agit ainsi ouvertement contre l’Empire ottoman, pourtant son allié, sans que cet Empire pût beaucoup s’en plaindre. Ce fut dans ces circonstances que l’ambassadeur Nointel dit au grand vizir, lors d’une conversation restée célèbre : « Les Français sont les vrais amis des Ottomans. — Les Français sont nos amis », lui répondit en souriant Ahmet Köprülü, « mais nous les trouvons toujours avec nos ennemis » 5.
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises de la relation, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de François-Savinien d’Alquié.
« In tanto fece il Marchese Villa avanzare qualche numero di gente ne’bonetti e altri posti esteriori del ridotto di S. Andrea ; il che osservato da’Turchi, e temendo di qualche vigorosa sortita, concorsero da tutte le parti in grosso numero per rinforzare li loro ridotti e linee, stando poi sotto l’armi quasi tutt’il giorno, nel qual tempo furono regalati da varie bombe, canonate e sassate, e il Capitano Generale se ne ritornò con le sudette galere alla Standia… »
— Passage dans la langue originale
« M. le Marquis de Ville fit avancer cependant un certain nombre de gens dans les bonnets 6 et autres postes extérieurs de la redoute de St-André ; ce qui étant reconnu par les ennemis qui craignaient quelque vigoureuse sortie, [ceux-ci] accoururent en grand nombre de toutes parts pour renforcer leurs redoutes, leurs lignes et leurs autres postes, et restèrent presque tout le jour sous les armes, pendant lequel temps on les régala de plusieurs coups de canon, de bombes et de pierres, tandis que le Capitaine Général était sur la route pour s’en aller à Standia avec ses galères. »
— Passage dans la traduction d’Alquié (XVIIe siècle)
« Cependant, M. le Marquis Ville ayant fait border par la mousqueterie les bonnets et les postes avancés de la redoute de St-André, les assiégeants accoururent de toutes parts renforcer leurs lignes et leurs réduits, où ils demeurèrent tout le jour sous les armes, quoiqu’exposés au grand feu de notre artillerie et à une grêle de pierres, jusqu’à ce que le Généralissime fît voile vers Standia. »
— Passage dans la traduction du père Joseph Du Cros (XVIIe siècle)
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Özkan Bardakçı et François Pugnière, « La Dernière Croisade : les Français et la guerre de Candie (1669) » (éd. Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, Rennes)
- le comte Pierre Daru, « Histoire de la République de Venise, 4e édition. Tome V » (XIXe siècle) [Source : Canadiana]
- Charles-Marie d’Irumberry, comte de Salaberry, « Histoire de l’Empire ottoman, depuis sa fondation jusqu’à la paix d’Yassi en 1792. Tome II » (XIXe siècle) [Source : Google Livres].