Il s’agit du « Journal de Satan » (« Dnevnik Satany »1) et autres nouvelles de Léonid Andreïev2, auteur russe. À la mort de son père, qui exerçait la profession d’arpenteur-géomètre, Andreïev était encore au collège. Sa mère, issue d’une famille polonaise désargentée, se trouva sans ressources. Le jeune homme connut la misère noire. Un jour, le cœur gros, il présenta à un quotidien un récit ayant pour sujet un étudiant toujours affamé — sa propre vie ! On lui dit de revenir quelques semaines plus tard pour savoir s’il était accepté. Il y retourna, comprimant son angoisse dans l’attente de la décision. Elle lui vint sous la forme d’un immense éclat de rire du directeur, qui déclara que sa prose ne valait rien. À quelque temps de là, dans une heure de désespoir, Andreïev se tirait un coup de révolver dans le cœur. On le sauva. Mais celui qui, comme lui, a été si proche d’une mort volontaire reste en proie à une obsession permanente. En 1897, son diplôme d’avocat en poche, Andreïev obtint une place de chroniqueur judiciaire dans un grand journal et parvint enfin à publier ses nouvelles et ses feuilletons si fougueux, si spontanés, quelquefois si bizarres, qui l’imposèrent à l’attention du public russe comme l’un des brillants représentants du tournant du siècle. Il y prend place après Tolstoï à qui il dédie d’ailleurs l’« Histoire des sept pendus ». Je me dois de dire quelques mots sur cette « Histoire », sans doute la plus réussie d’Andreïev. Elle n’est rien d’autre, en substance, que ce qu’annonce le titre : les portraits psychologiques de sept jeunes condamnés qui s’apprêtent à subir le supplice de la pendaison ; les visites suprêmes de leurs parents qui viennent avec la résolution de leur rendre plus légers ces derniers moments, mais qui finissent par fondre en larmes ; puis, l’horreur et la beauté sereine, en même temps, de leurs cadavres qui « saluent le soleil levant »3.
des désespérés, des blessés à mort, des fous, résignés d’avance à leur défaite
« Mais si ces peintures de M. Andreïev », explique très bien Téodor de Wyzewa, « égalent, au point de vue littéraire, certaines des pages les plus saisissantes de Dostoïevski et [de] Tolstoï, ces dernières ont sur elles l’avantage de nous offrir, sous leur intensité d’émotion pathétique, une portée morale qui manque tout à fait à des récits tels que l’“Histoire des sept pendus” ». En effet, la vie, les souffrances d’Andreïev lui ont instillé dans l’âme une haine durable, irrationnelle pour toute élévation morale ou spirituelle, pour tout idéal. Son nihilisme ne peut être comparé au nihilisme d’un Dostoïevski ; il rappelle par certains côtés la décadence allemande qu’Eckart von Sydow a caractérisée ainsi : « Un état moral sombre, interrompu par des accès d’extase… La certitude d’être au centre de l’univers et de pouvoir changer la face du monde, se métamorphosant soudain en un sentiment d’impuissance, que l’on essaie de cacher sous un mépris du monde réel… » Ses héros sont toujours des désespérés, des blessés à mort, des fous, résignés d’avance à leur défaite ; des apôtres « de l’autoanéantissement » (« samoounitchtojénia »)4, des apologistes de l’ombre et de la prison, dans un univers sans Dieu. À leurs oreilles résonnent les mots impitoyables de Nietzsche : « Il en est qui manquent leur vie ; un ver venimeux leur ronge le cœur. Qu’ils tâchent au moins de réussir d’autant mieux leur mort ! »5
Voici un passage qui donnera une idée du style du « Journal de Satan » : « Votre amour pour les hommes ? Allez, allez, ne m’en veuillez pas de ma plaisanterie, Vandergurd. Vous savez, tout ce que font les hommes est magnifique à l’état de croquis et épouvantable à l’état de tableau. Prenez leur esquisse du christianisme avec son sermon sur la montagne, ses lys et ses épis de blé, comme c’est merveilleux ! Et comme leur tableau du même christianisme est affreux, avec ses sacristains, ses bûchers… ! C’est un génie qui commence, un débile mental et une bête qui termine. La vague pure et fraîche du ressac s’écrase sur un rivage boueux et elle revient en arrière toute sale, emportant des bouchons et des coquilles »6.
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- « Le Gouverneur • La Mordeuse • Tiré de la vie du capitaine en second Kabloukov • L’Étranger • Bargamot et Garaska • Le Cadeau • En passant • La vie est belle pour les ressuscités » dans la traduction de Serge Persky (1908) [Source : Americana]
- « Le Gouverneur • La Mordeuse • Tiré de la vie du capitaine en second Kabloukov • L’Étranger • Bargamot et Garaska • Le Cadeau • En passant • La vie est belle pour les ressuscités » dans la traduction de Serge Persky (1908) ; autre copie [Source : Google Livres]
- « C’était • Valia • Dans les lointains obscurs • Le Mensonge • Pietka à la campagne • Le Silence • La Pensée » dans la traduction de Teodor Wyżewski, dit Téodor de Wyzewa, et Serge Persky (1903) [Source : Google Livres]
- « Le Gouffre • À la fenêtre • Le Grand Chelem • Le Mur • Dans le brouillard • Dans un sous-sol » dans la traduction de Serge Persky (1904) [Source : Google Livres]
- « Judas Iscariote • Lazare • Le Cadeau » dans la traduction de Serge Persky, 2e édition (1914) [Source : Google Livres]
- « Judas Iscariote • Lazare • Le Cadeau » dans la traduction de Serge Persky, 1re édition (1914) [Source : Americana]
- « Mes Carnets • Les Ténèbres • Les Chrétiens » dans la traduction de Serge Persky (1913) [Source : Americana]
- « Mes Carnets • Les Ténèbres • Les Chrétiens » dans la traduction de Serge Persky (1913) ; autre copie [Source : Google Livres]
- « Histoire des sept pendus • La Vie de Vassili Fiveïski » dans la traduction de Serge Persky et Albert Touchard (1911) [Source : Canadiana]
- « Pietka à la campagne • La Mordeuse » dans une traduction anonyme (1949) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « Attentats » dans la traduction d’Émile Gérard-Gailly7 (1909) [Source : Google Livres]
- « Ben Tovit » dans la traduction d’Émile Gérard-Gailly (1907) [Source : Google Livres]
- « Ben Tovit » dans la traduction d’Émile Gérard-Gailly (1907) ; autre copie [Source : Google Livres].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Grégoire Alexinsky, « Caractère de la littérature russe » dans « La Grande Revue », 10 mai 1912, p. 93-104 ; 10 juin 1912, p. 326-347 [Source : Google Livres]
- Serge Persky, « Les Maîtres du roman russe contemporain. Véressaief • Gorki • Andréief • Mérejkowsky • Kouprine • etc. » (éd. Ch. Delagrave, Paris) [Source : Google Livres]
- Teodor Wyżewski, dit Téodor de Wyzewa, « Deux Nouveaux Conteurs russes : MM. Andréief et Artsibachef » dans « Revue des deux mondes », 1909, mai-juin [Source : Google Livres].
- En russe « Дневник Сатаны ». Parfois transcrit « Dnevnik Satani ».
- En russe Леонид Андреев. Parfois transcrit Léonide Andréieff, Léonid Andréief, Léonide Andreyew, Leonid Andréyev ou Léonide Andréev.
- « [Récits complets. Tome III.] Judas Iscariote [et Autres Récits] », p. 368.
- En russe « самоуничтожения ».