Ératosthène, « Les Catastérismes : mythes et histoire des constellations »

éd. Nil, coll. Le Cabinet de curiosités, Paris

éd. Nil, coll. Le Ca­bi­net de cu­rio­si­tés, Pa­ris

Il s’agit des « Ca­tas­té­rismes, ou Constel­la­tions du zo­diaque » (« Ka­tas­te­ris­moi, ê As­tro­the­siai zô­diôn »1) d’Ératosthène de Cy­rène2. Le temps a dé­truit la plus grande par­tie des pro­duc­tions lit­té­raires de l’Antiquité. La plu­part ne nous sont ar­ri­vées que par frag­ments, et nous ne pos­sé­dons que les dé­bris d’un grand nau­frage. Parmi les au­teurs dont les écrits ont dis­paru, il en est un qui, ayant em­brassé dans sa car­rière la­bo­rieuse toutes les branches im­por­tantes des connais­sances hu­maines, et ayant donné à la science géo­gra­phique la pre­mière et dé­ci­sive im­pul­sion, de­vint le bi­blio­thé­caire d’Alexandrie et la gloire du règne des Pto­lé­mées. Je veux par­ler d’Ératosthène. C’est lui qui, le pre­mier, dé­dui­sit la cir­con­fé­rence de notre pla­nète, en me­su­rant l’angle sous le­quel les rayons du So­leil tou­chaient la Terre en deux villes qu’il sup­posa sur le même mé­ri­dien — Alexan­drie et Syène3 — en par­tant du constat que le Nil cou­lait dans une di­rec­tion li­néaire du Sud au Nord, comme un mé­ri­dien vi­sible. On lui doit aussi plu­sieurs ob­ser­va­tions sur les astres, ainsi qu’une mé­thode pour trou­ver les nombres pre­miers ap­pe­lée « crible d’Ératosthène » (« kos­ki­non Era­tos­the­nous »4), parce qu’au lieu d’établir di­rec­te­ment la suite de ces nombres, elle le fait in­di­rec­te­ment et en quelque sorte par éli­mi­na­tion, en ex­cluant les autres nombres. Éra­tos­thène com­posa un grand nombre d’ouvrages (cin­quante se­lon le ca­ta­logue de Fa­bri­cius). Un seul nous est par­venu, les « Ca­tas­té­rismes », mais par l’intermédiaire d’un abrégé. La vie et la per­sonne d’Ératosthène ne sont guère mieux connues. Seuls deux do­cu­ments nous four­nissent des ren­sei­gne­ments qu’on peut consi­dé­rer comme de pre­mière main. Le pre­mier est d’Archimède et est adressé à Éra­tos­thène. Le cé­lèbre Sy­ra­cu­sain pro­pose très ami­ca­le­ment à la sa­ga­cité de son cor­res­pon­dant une « Mé­thode re­la­tive aux théo­rèmes mé­ca­niques ». Il dé­crit notre homme « comme ha­bile, ex­cel­lem­ment à la hau­teur de la phi­lo­so­phie, et comme ne re­cu­lant pas de­vant les ques­tions ma­thé­ma­tiques qui se pré­sentent ». Le se­cond do­cu­ment est une épi­gramme ap­par­te­nant au genre fu­né­raire et qu’on trouve dans l’« An­tho­lo­gie grecque ». Elle af­firme qu’Ératosthène ne fut pas en­terré à Cy­rène, sa pa­trie, mais au « bord ex­trême du ri­vage de Pro­tée ». Or, Pro­tée, dieu ma­rin et sorte de Vieillard de la mer, oc­cu­pait, se­lon Ho­mère, « l’île de Pha­ros… au mi­lieu de la mer on­du­leuse, de­vant l’Égypte »5, là où fut édi­fié le phare d’Alexandrie (qui porte le nom de cette île). Mais voici l’épigramme en ques­tion : « Tu t’es éteint, Éra­tos­thène, dans une douce vieillesse, et non dans un ac­cès de fièvre. Le som­meil, au­quel nul ne peut échap­per, est venu as­sou­pir ta pen­sée qui mé­di­tait sur les astres. Ce n’est point Cy­rène, ta nour­rice, qui t’a reçu dans le tom­beau de tes pères, fils d’Aglaüs ; mais, comme un ami, tu as trouvé une tombe sur ce bord ex­trême du ri­vage de Pro­tée »6.

« cet homme qui tout au long de sa vie cal­cula, me­sura, ar­penta »

« Par l’étendue de sa cu­rio­sité, la di­ver­sité de ses re­cherches et les di­men­sions de son œuvre, en ma­jeure par­tie per­due, Éra­tos­thène semble avoir visé, dans un constant souci d’encyclopédisme, une syn­thèse du sa­voir de son époque, comme le fit, un siècle avant lui, Aris­tote. L’ordre du ciel pou­vait-il rê­ver meilleur ob­ser­va­teur et com­men­ta­teur que cet homme qui tout au long de sa vie cal­cula, me­sura, ar­penta, comme pour prou­ver, dans la réa­lité phy­sique aussi bien que dans les œuvres hu­maines, l’équilibre, les justes pro­por­tions et la co­hé­rence du monde ? Outre les “Ca­tas­té­rismes”, deux poèmes per­dus, “Éri­goné”7 et “Her­mès”8, tout em­preints d’un cer­tain mys­ti­cisme pla­to­ni­cien, té­moignent de la double fas­ci­na­tion qu’exerçaient sur lui le ciel étoilé et les mythes grecs », ex­pliquent MM. Jean-Pierre Bru­net et Ro­bert Na­dal9.

Il n’existe pas moins de trois tra­duc­tions fran­çaises des « Ca­tas­té­rismes », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de MM. Pas­cal Char­vet et Ar­naud Zu­cker.

« ΚΑΣΣΙΕΠΕΙΑΣ. — Ταύτην ἱστορεῖ Σοφοκλῆς ὁ τῆς τραγῳδίας ποιητὴς ἐν “Ἀνδρομέδᾳ” ἐρίσασαν περὶ κάλλους ταῖς Νηρηίσιν εἰσελθεῖν εἰς τὸ σύμπτωμα, καὶ Ποσειδῶνα διαφθεῖραι τὴν χώραν κῆτος ἐπιπέμψαντα· δι’ ἣν πρόκειται τῷ κήτει ἡ θυγάτηρ. Οἰκείως ἐσχημάτισται δὲ ἐγγὺς ἐπὶ δίφρου καθημένη. Ἔχει δ’ ἀστέρας ἐπὶ τῆς κεφαλῆς λαμπρὸν αʹ, ἐφ’ ἑκατέρων τῶν ὤμων λαμπρὸν αʹ, ἐπὶ τοῦ δεξιοῦ στήθους λαμπρὸν αʹ, ἐπὶ τοῦ δεξιοῦ ἀγκῶνος ἀμαυρὸν αʹ, ἐπὶ τῆς χειρὸς αʹ, ἐπὶ τῆς ὀσφύος λαμπρὸν μέγαν αʹ, γόνατος αʹ, ποδὸς ἄκρου αʹ, στήθους αʹ ἀμαυρόν, ἐπ’ ἀριστεροῦ μηροῦ λαμπροὺς βʹ, ἐπὶ γόνατος αʹ λαμπρόν, ἐπὶ τοῦ πλινθίου αʹ τοῦ δίφρου οὗ κάθηται ἑκάστης γωνίας αʹ. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« CASSIOPÉE. — Le poète tra­gique So­phocle ra­conte, dans son “An­dro­mède”, que c’est pour avoir dé­fié les Né­réides dans un concours de beauté que Cas­sio­pée som­bra dans le mal­heur, et que Po­séi­don en­voya un monstre pour ra­va­ger son pays. C’est à cause d’elle que sa fille est ex­po­sée de­vant le monstre. Cas­sio­pée est re­pré­sen­tée dans une po­si­tion fa­mi­lière, as­sise près de sa fille sur un fau­teuil. Cas­sio­pée a une étoile brillante sur la tête, une brillante sur chaque épaule, une brillante sur le sein droit, une sur le coude droit, une sans éclat sur la main droite, une brillante sur la gauche, une sur le nom­bril, deux brillantes sur la cuisse gauche, une brillante sur le ge­nou, une sur l’extrémité du pied, une sur l’assise du siège et une sur cha­cun des cô­tés du siège sur le­quel elle se tient. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de MM. Char­vet et Zu­cker

« CASSIOPÉE. — Celle-ci, d’après le ré­cit que fait le poète So­phocle dans sa tra­gé­die “An­dro­mède”, dé­fia les Né­réides dans un concours de beauté, et ainsi elle som­bra dans le mal­heur, et Po­séi­don en­voya un monstre ma­rin pour ra­va­ger son pays. C’est à cause d’elle que sa fille est ex­po­sée de­vant le monstre. Cas­sio­pée est re­pré­sen­tée près de sa fille, (confor­ta­ble­ment) as­sise sur un fau­teuil. Cas­sio­pée a une étoile brillante sur la tête, une brillante sur chaque épaule, une brillante sur le sein droit, une sans éclat sur le coude droit, une sur la main, une grande et brillante au bas du dos, deux brillantes sur la cuisse gauche, une brillante sur le ge­nou, et sur l’assise du siège sur le­quel elle se tient, une sur cha­cun des coins. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Zu­cker (« Ca­tas­té­rismes », éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris)

« CASSIÉPÉE. — So­phocle, au­teur tra­gique, dit, dans sa tra­gé­die d’“Andromède”, que Cas­sié­pée dis­puta de beauté avec les Né­réides, ce qui fit son mal­heur, car Nep­tune en­voya un monstre qui ra­va­gea la terre. C’est pour­quoi Cas­sié­pée est re­pré­sen­tée as­sise de­vant ce monstre. Elle a une belle étoile à la tête, une obs­cure au coude droit, une à la main, une au ge­nou, une au bout du pied, une obs­cure à la poi­trine, une brillante à la cuisse gauche, une belle au ge­nou, une sur le siège carré, une à chaque angle de son siège. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de l’abbé Ni­co­las Halma (« Constel­la­tions », XIXe siècle)

« CASSIEPEIA. — Cas­sie­peiam So­phocles, tragœ­dia­rum scrip­tor, di­cit in “An­dro­meda” conten­disse ob pul­chri­tu­di­nem cum Ne­rei­di­bus, ideoque in­ci­disse in ca­la­mi­ta­tem ; Nep­tu­nus enim ceto im­misso vas­ta­bat ter­ram ; qua­mo­brem Cas­sie­peia recte ante ce­tum col­lo­ca­tur : fi­gu­ra­tur au­tem prope in sella se­dens. Ha­bet illa in ca­pite stel­lam cla­ram unam, in dex­tero cu­bito obs­cu­ram unam ; in manu unam, in genu unam ; in pede ex­tremo unam ; in pec­tore unam obs­cu­ram, in si­nis­tro fe­more unam cla­ram ; in genu unam cla­ram ; in la­ter­culo unam ; in uno­quoque an­gulo sellæ in qua se­det sin­gu­las. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Jo­hann Kon­rad Schau­bach (« Ca­tas­te­rismi », XVIIIe siècle)

« CASSIEPIA. — Cas­sie­pia in terra (var. in­terea), ut re­fert So­phocles, car­mi­num vates, di­ci­tur præ­po­suisse for­mam suam Ne­rei­di­bus. Ob quod ira Nep­tuni ceto trans­misso vas­ta­ba­tur eo­rum terra. Ex­pos­tu­la­tamque An­dro­me­dam et ceto pro­po­si­tam. Ob quam rem longe ha­bi­tus eo­rum di­ver­sus est. Ita est au­tem Cas­sie­pia in sella ἀνακλίτῳ se­dens. Ha­bet in ca­pite stel­lam cla­ram I, in sin­gu­lis hu­me­ris sin­gu­las cla­ras, in dex­tra ma­milla cla­ram I, in dex­tra manu cla­ram et ma­gnam I, in si­nis­tra manu cla­ram I, in um­bi­lico cla­ram et ma­gnam unam, in si­nis­tro fe­more II, in eo­dem genu cla­ram I, in uno­quoque an­gulo sellæ, in qua se­det, cla­ras sin­gu­las. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine du scho­liaste du co­dex Stroz­zia­nus (« Scho­lia in Ger­ma­nici “Ara­tea” », XIVe siècle)

« CASSIEPIA. — Cas­sie­pia in­terea, ut ait So­phocles car­mi­num vates, prop­ter in­vi­diam An­dro­medæ seu Ne­rei­dis et ea­rum pul­cri­tu­di­nem di­ci­tur per­ve­nisse ad rui­nam et pro ea fer­tur Nep­tu­nus om­nem re­gio­nem ceto trans­misso vas­tasse. Quam ob cau­sam in­ter as­tra conlo­cata est. Pin­gi­tur enim su­per sel­lam se­dens. Ha­bet au­tem stel­las in ca­pite splen­di­dam unam, in uno­quoque hu­mero splen­di­dam unam, in dex­tra parte pec­to­ris unam, in dex­tro cu­bito unam, in una­quaque manu lu­ci­dam unam, in um­bi­lico lu­ci­dam unam, in uno­quoque an­gulo sellæ, in qua se­det, lu­ci­dam unam. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine du scho­liaste du co­dex San­ger­ma­nen­sis (« Scho­lia in Ger­ma­nici “Ara­tea” », IXe siècle)

« CASSIEPIA. — Hanc re­fert So­focles præ­po­suisse for­mam suam Ne­rei­di­bus, ob quod ira Nep­tuni ceto in­misso vas­ta­ba­tur eo­rum terra. Ex­pos­tu­la­tamque An­dro­me­dam et ceto pro­po­si­tam. Ob quam rem longe ha­bi­tus eo­rum di­ver­sus est. Id au­tem est Cas­sie­pia in sella ana­clito se­dens. Ha­bet in ca­pite stel­lam cla­ram I, in sin­gu­lis ume­ris sin­gu­las cla­ras, in dex­tra ma­milla cla­ram I, in dex­tro umero ad ma­num cla­ram I ma­gnam, et claræ in si­nis­tro fe­more II, in genu cla­ram I, in ba­sem sellæ, in qua se­det, in utrisque an­gu­lis cla­ras sin­gu­las. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine du scho­liaste du co­dex Ba­si­leen­sis (« Scho­lia in Ger­ma­nici “Ara­tea” », VIIIe siècle)

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

Voyez la liste com­plète des té­lé­char­ge­ments Voyez la liste complète

Téléchargez ces enregistrements sonores au format M4A

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En grec « Καταστερισμοί, ἢ Ἀστροθεσίαι ζῳδίων ». Haut
  2. En grec Ἐρατοσθένης ὁ Κυρηναῖος. Haut
  3. Aujourd’hui As­souan (أسوان), en Égypte. Haut
  4. En grec κόσκινον Ἐρατοσθένους. Haut
  5. « L’Odyssée », ch. IV. Haut
  1. Cette épi­gramme a pour au­teur un cer­tain De­nys de Cy­zique (Διονύσιος Κυζικηνός), qui pa­raît être un poète de l’école alexan­drine, mais sur la per­sonne du­quel on ne sait rien. Haut
  2. En grec « Ἠριγόνη ». Haut
  3. En grec « Ἑρμῆς ». Haut
  4. « Pré­face aux “Ca­tas­té­rismes” », p. 11-12. Haut