Tyrtée, « Les Chants »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de Tyr­tée1, poète grec (VIIe siècle av. J.-C.) qui chanta le bon­heur de com­battre et de mou­rir pour la pa­trie, la mi­sère et l’éternel op­probre qui s’attachent au lâche, l’immortalité qui ré­com­pense le hé­ros en le fai­sant vivre dans une éter­nelle jeu­nesse ; bref, la vertu guer­rière éle­vée au-des­sus de tout. Nous n’avons plus de Tyr­tée que trois chants. Ils suf­fisent à jus­ti­fier les éloges don­nés par Pla­ton qui, dans son pre­mier livre des « Lois », dit : « Ô Tyr­tée, chantre di­vin, tu es à mes yeux un homme sage et ver­tueux »2 ; et par Ho­race qui, dans son « Art poé­tique », dit : « Aux ac­cents d’Ho­mère et de Tyr­tée, l’âme des hé­ros, aux com­bats ex­ci­tée, tres­saillait »3. Mais le plus bel éloge de tous est ce­lui que lui donna le fa­meux chef des trois cents Spar­tiates, Léo­ni­das, lorsqu’il ré­pon­dit à quelqu’un qui vou­lait sa­voir en quel de­gré d’estime il te­nait Tyr­tée : « Je le crois propre », dit-il4, « à ins­pi­rer de l’ardeur aux jeunes gens. Ses poé­sies les pé­nètrent d’un sen­ti­ment si vif d’enthousiasme, que dans les com­bats ils af­frontent sans mé­na­ge­ment les plus grands dan­gers ». Bien que peu va­riés, ses vers sont tou­jours hé­roïques et su­blimes. On y en­tend le cli­que­tis des armes, les cris de mort et de vic­toire ; on y sent, avec un autre poète5, que « l’acier, le fer, le marbre ne sont rien ; il n’est qu’un seul rem­part : le bras du ci­toyen ». Ce n’est pas éton­nant qu’avec tant de cha­leur pa­trio­tique, Tyr­tée ait en­flammé les cœurs des jeunes Spar­tiates, si in­flam­mables par ailleurs. Il est bien dom­mage que le peu qui nous reste de lui ne soit pas plus étendu ou mieux connu. « Les vers de Tyr­tée sont un des plus éner­giques en­cou­ra­ge­ments au pa­trio­tisme que pré­sente la lit­té­ra­ture, et aussi l’un des plus simples, l’un de ceux qui, par la clarté de la forme et la vi­va­cité de l’image, sont le plus as­su­rés de trou­ver tou­jours et par­tout le che­min du cœur », dit Al­fred Croi­set6.

Il n’existe pas moins de qua­torze tra­duc­tions fran­çaises des « Chants », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Fir­min Di­dot.

« Ἀλλ’, Ἡρακλῆος γὰρ ἀνικήτου γένος ἐστέ,
Θαρσεῖτ’, οὔπω Ζεὺς αὐχένα λοξὸν ἔχει.
Μηδ’ ἀνδρῶν πληθὺν δειμαίνετε, μηδὲ φοϐεῖσθε.
Ἰθὺς δ’ εἰς προμάχους ἀσπίδ’ ἀνὴρ ἐχέτω,
Ἐχθρὰν μὲν ψυχὴν θέμενος, θανάτου δὲ μελαίνας
Κῆρας, ὁμῶς αὐγαῖς ἠελίοιο, φίλας.
 »
— Chant dans la langue ori­gi­nale

« Non, peuple de guer­riers, race du grand Al­cide7,
Les dieux n’ont point de nous dé­tourné leurs re­gards :
Quels que soient l’ennemi, le nombre, les ha­sards,
De ton sort aujourd’hui que le glaive dé­cide.
Arme-toi ; de la vie ab­jure un lâche amour ;
Et que les noirs sen­tiers de la Parque ho­mi­cide
Soient aussi beaux pour toi que les rayons du jour. »
— Chant dans la tra­duc­tion de Di­dot

« Car d’Héraklès l’invincible vous êtes des­cen­dants !
Or çà, du cran ! Le cou de Zeus n’est point en­core allé se dé­tour­nant !
De­vant les hommes en mul­ti­tude, n’ayez pas peur, et sans tom­ber dans la dé­route,
Que, sus aux pre­miers rangs, on porte en homme son bou­clier,
La vie te­nant pour en­ne­mie, et de la mort les sombres
Des­ti­nées — pour les amies des rayons du so­leil ! »
— Chant dans la tra­duc­tion de Mme Ma­gali An­née (éd. Clas­siques Gar­nier, coll. Kaï­non-An­thro­po­lo­gie de la pen­sée an­cienne, Pa­ris)

« Non ! vous êtes les fils de l’invincible Al­cide !
Non ! Ju­pi­ter n’a point dé­tourné son re­gard :
Qu’aux traits des en­ne­mis le sol­dat in­tré­pide
Des bou­cliers le­vés op­pose le rem­part.
De leurs mille guer­riers ne crai­gnez pas le nombre ;
Pre­nez la vie en haine et la mort en amour,
À l’égal des splen­deurs du jour
Ché­ris­sez sa nuit froide et sombre. »
— Chant dans la tra­duc­tion d’Auguste Alexis Flo­réal Ba­ron (XIXe siècle)

« Du fils de Ju­pi­ter, de l’invincible Her­cule,
Oui, vous êtes les hé­ri­tiers.
Que de­vant l’ennemi nul ne fuie ou re­cule,
D’Arès évi­tant les sen­tiers.
Le bras de Zeus ton­nant pro­tège cette ville.
Son ombre couvre vos rem­parts.
Sus, en­fants ! Que vos cœurs à la crainte ser­vile
Se ferment ; et de toutes parts,
As­sié­gés d’ennemis, sans souci de leur nombre,
Mar­chez ; car aux bras de la Mort,
Sur la couche où son aile étend sur lui son ombre,
Le brave en sou­riant s’endort.
Heu­reux, trois fois heu­reux, oui, qui sent sur sa tête
Son aile dou­ce­ment fré­mir !
Entre ses bras bercé, comme au soir d’une fête,
Heu­reux qui se peut en­dor­mir ! »
— Chant dans la tra­duc­tion d’Auguste Pro­fillet (XIXe siècle)

« Cou­rage, guer­riers, vous êtes de la race de l’invincible Her­cule, et Ju­pi­ter n’a pas en­core dé­tourné de vous ses re­gards. Ne crai­gnez point le grand nombre des en­ne­mis ; ne soyez point ef­frayés ; que cha­cun op­pose son bou­clier à ses ad­ver­saires, qu’il dé­daigne la vie et ne re­doute pas plus les té­nèbres de la mort que les rayons du jour. »
— Chant dans la tra­duc­tion de Louis Hum­bert (dans « Poètes mo­ra­listes de la Grèce », XIXe siècle)

« Puisque vous êtes la race in­vin­cible de Hè­rak­lès, soyez pleins de cou­rage. La face de Zeus ne s’est point en­core dé­tour­née de vous. Ne crai­gnez ni ne re­dou­tez la mul­ti­tude des hommes. Que cha­cun dresse son bou­clier en face de l’ennemi, prêt à perdre l’âme et à su­bir la Kère8, et qu’il aime la noire mort au­tant que la splen­deur de Hè­lios ! »
— Chant dans la tra­duc­tion de Le­conte de Lisle (dans « Hé­siode • Hymnes or­phiques • Tyr­tée • Odes ana­créon­tiques : tra­duc­tion nou­velle », XIXe siècle)

« Al­lons, vous êtes la race de l’invincible Hé­ra­clès, cou­rage ! Zeus ne s’est pas en­core dé­tourné de vous. Ne re­gar­dez pas le nombre, n’ayez pas peur ! que cha­cun marche droit, le bou­clier en avant, mé­pri­sant sa vie et ché­ris­sant les noires Kères de la mort comme les rayons du so­leil. »
— Chant dans la tra­duc­tion de Louis Mé­nard (dans « His­toire des Grecs. Tome I », p. 242-244)

« Vous êtes la race de l’invincible Her­cule ; cou­rage ! Ju­pi­ter n’a pas en­core dé­tourné de vous ses re­gards. Ban­nis­sez donc toute crainte, et ne re­dou­tez pas le nombre de vos en­ne­mis. Que cha­cun de vous tienne son bou­clier dressé contre les as­saillants ; qu’il ab­jure l’amour de la vie, qu’il ché­risse les sen­tiers obs­curs de la mort au­tant que les rayons du so­leil. »
— Chant dans la tra­duc­tion d’Alexandre Per­rault-May­nand (dans « Odes de Pin­dare. Tome III », p. 372-375)

« Vous êtes la race de l’invincible Her­cule. Osez donc ! Ju­pi­ter n’a pas en­core dé­tourné de vous ses re­gards. Que crai­gnez-vous ? Ne re­dou­tez pas le nombre des en­ne­mis. Que chaque guer­rier tienne son bou­clier dressé contre les as­saillants ; qu’il re­nonce à l’amour de la vie, qu’il ché­risse les sen­tiers obs­curs de la mort au­tant que les rayons du so­leil. »
— Chant dans la tra­duc­tion d’Ernest Fal­con­net (dans « Ly­riques grecs », XIXe siècle)

« Vous êtes la pos­té­rité de l’invincible Hé­ra­clès. Donc, de l’audace ! Zeus n’a pas en­core dé­tourné de vous ses re­gards. Que crain­driez-vous ? Est-ce le nombre des en­ne­mis ? Non ! Que chaque guer­rier tienne contre les as­saillants son bou­clier bien droit ; qu’il re­nonce à ché­rir la vie, et qu’il aime les noirs sen­tiers de la mort comme si c’étaient les rayons mêmes du so­leil ! »
— Chant dans la tra­duc­tion de Jean Ri­che­pin (« Le Sen­ti­ment de la pa­trie : les son­neurs d’héroïsme, de Tyr­tée à Dé­rou­lède » dans « Jour­nal de l’Université des An­nales », vol. 1, p. 3-15)

« Oui, vous êtes la race de l’invincible Her­cule, et Ju­pi­ter n’a point en­core dé­tourné de vous ses re­gards. Ne crai­gnez pas le nombre des en­ne­mis, n’ayez peur, et que chaque guer­rier ait son bou­clier tourné contre les pre­mières lignes ; qu’il tienne la vie en haine et ché­risse les noires Parques de la mort à l’égal des rayons du so­leil. »
— Chant dans la tra­duc­tion d’Émile Pes­son­neaux (dans « Les Grands Poètes de la Grèce : ex­traits et no­tices », XIXe siècle)

« Al­lons, vous êtes de la race de l’invincible Hé­ra­clès, cou­rage ! Zeus n’a pas dé­tourné de vous ses yeux. Que la foule des guer­riers ne vous ef­fraye pas et ne vous mette pas en fuite. Que le brave dresse son bou­clier face à l’adversaire ; qu’il tienne la vie pour mé­pri­sable, et que les noirs gé­nies de la mort lui pa­raissent aussi ai­mables que les rayons de so­leil. »
— Chant dans la tra­duc­tion d’Élie Ber­gou­gnan (dans « Poètes élé­giaques et mo­ra­listes de la Grèce. Ar­chi­loque • Cal­li­nos • Sé­mo­nide • Tyr­tée », éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

« Braves Spar­tiates, vous êtes de la race in­vin­cible de l’immortel Her­cule ; re­le­vez toutes vos es­pé­rances : le vi­sage de Ju­pi­ter n’est pas en­core éloi­gné de vous. Ne crai­gnez donc ni le nombre de vos en­ne­mis, ni leur va­leur. Mar­chez har­di­ment contre eux, en leur pré­sen­tant vos bou­cliers d’un bras ferme. Vous pour­rez lais­ser sur le champ de ba­taille votre vie dont vous au­rez fait le sa­cri­fice ; mais en bra­vant le noir Des­tin, vous en trou­ve­rez un autre aussi brillant que les rayons du jour. »
— Chant dans la tra­duc­tion de Jean-Ma­rie-Louis Coupé (dans « Les Soi­rées lit­té­raires, ou Mé­langes de tra­duc­tions nou­velles des plus beaux mor­ceaux de l’Antiquité. Tome IV », XVIIIe siècle)

« Amis, n’êtes-vous pas les suc­ces­seurs d’Alcide ?
Il est temps de mon­trer cette au­dace in­tré­pide ;
Tous les dieux contre nous ne sont point cour­rou­cés :
Ce­lui de la va­leur nous reste, c’est as­sez.
Por­tez à l’ennemi ce cou­rage in­domp­table ;
Ne vous éton­nez point de leur foule in­nom­brable ;
Mais que cha­cun de vous, ex­ci­tant son grand cœur,
Au mi­lieu des dan­gers, n’écoute que l’honneur.
Le pé­ril at­teint moins un guer­rier té­mé­raire,
Et qui com­bat le mieux, peut le mieux s’y sous­traire.
Oui, croyez qu’en dé­pit des ou­trages du sort,
L’art de vaincre est ce­lui de mé­pri­ser la mort. »
— Chant dans la tra­duc­tion de Louis Poin­si­net de Si­vry (dans « Ana­créon, Sa­pho, Mo­schus, Bion et Autres Poètes grecs », XVIIIe siècle)

« Au­dite, in­victi quando ge­nus Her­cu­lis es­tis :
Obs­tipo non­dum Ju­pi­ter est ca­pite.
Ne stan­tum contra nu­me­rum tre­pi­date vi­ro­rum,
Sed par­mam pri­mis ob­ji­cite ag­mi­ni­bus.
Pro­ji­cite ex animo hanc ani­mam, nec lu­mina So­lis
Quæ­rite præ Mor­tis nocte so­po­ri­fera »
— Chant dans la tra­duc­tion la­tine d’Hugo de Groot, dit Gro­tius (XVIe siècle)

« Ast, Her­cu­lis enim in­victi ge­nus es­tis,
Au­dete : non­dum Ju­pi­ter cer­vi­cem aver­sam ha­bet !
Neque ho­mi­num mul­ti­tu­di­nem ti­mete, neque tre­pi­date !
Recta vero contra pu­gna­tores scu­tum vir te­neat,
Odio­sam ani­mam ju­di­cans, mor­tis ni­gras
Sortes, æque ac splen­dores so­lis, ca­ras. »
— Chant dans la tra­duc­tion la­tine de Fir­min Di­dot (XIXe siècle)

« Ast, Her­cu­lis enim in­victi ge­nus es­tis,
Au­dete : non­dum Ju­pi­ter cer­vi­cem oblique aver­sam ha­bet !
Neque vi­ro­rum mul­ti­tu­di­nem hor­rete, neque ti­mete !
Recta au­tem in pu­gna­tores scu­tum vir te­neat,
In­vi­sam qui­dem ani­mam ha­bens, mor­tis vero ni­gras
Sortes, æque ac splen­dores so­lis, ca­ras. »
— Chant dans la tra­duc­tion la­tine d’Auguste Alexis Flo­réal Ba­ron (XIXe siècle)

« Ve­run­ta­men Her­cu­lis ge­nus in­vic­tum еs­tis :
Confi­dite, non­dum Jo­vis fa­cies aversa est a no­bis.
Nec ho­mi­num tur­bam for­mi­de­tis aut me­tua­tis,
Quin recta quisque hos­ti­bus scu­tum ob­ver­tat.
In­vi­sam amis­su­rus ani­mam, mor­tisque ni­grum,
Sed so­lis splen­dori gra­tum, su­bi­tu­rus fa­tum. »
— Chant dans la tra­duc­tion la­tine d’Élie Vi­net (XVIe siècle)

« Al­cidæ sed enim ge­nus in­su­per­a­bile, forti
Este animo : non­dum flexa Jo­vis fa­cies.
Vos ne turba vi­rum, den­sus ne ter­reat hos­tis :
Om­nis in ad­ver­sos ob­via tela ge­rat.
In­vi­samque adeo sta­tuens abrum­pere vi­tam,
Præ­ci­piti cursu ma­lit obire se­mel. »
— Chant dans la tra­duc­tion la­tine de Claude de Mon­sel (XVIe siècle)

« Quæ vos esse probent ge­nus Her­cu­leum, edite vires,
Vo­bis ira Jo­vis nulla re­cu­sat opem.
Ag­mine sti­pa­tas ne for­mi­date ca­te­ruas,
Di­ri­gite in pri­mos ærea scuta vi­ros.
Tem­nite nunc ani­mas, vi­tamque ef­flare sub au­ras,
Quas ra­dii illus­trant Sole mi­cante, ju­vet. »
— Chant dans la tra­duc­tion la­tine de Hie­ro­ny­mus Osius (XVIe siècle)

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  1. En grec Τυρταῖος. Haut
  2. En grec « Ὦ Τύρταιε, ποιητὰ θειότατε, δοκεῖς… σοφὸς ἡμῖν εἶναι καὶ ἀγαθός ». Haut
  3. En la­tin « Ho­me­rus Tyrtæusque mares ani­mos in Mar­tia bella ver­si­bus exa­cuit ». Haut
  4. Dans Plu­tarque, « Les Vies des hommes illustres », vies d’Agis et de Cléo­mène. Haut
  1. Al­cée. Haut
  2. « Tyr­tée », p. 112. Haut
  3. C’est-à-dire Her­cule. Haut
  4. La Kère (Κήρ) ou les Kères (Κῆρες) sont des di­vi­ni­tés fu­nestes qui, comme les Wal­ky­ries de la my­tho­lo­gie nor­dique, s’abattent sur les champs de ba­taille où elles font leur proie des mou­rants et des bles­sés. Haut