Il s’agit du « De rerum Natura » (« De la Nature des choses ») de Lucrèce 1, poète latin qui avait l’ambition de pénétrer dans les secrets de l’univers et de nous y faire pénétrer avec lui ; de fouiller dans cet infini pour montrer que tout phénomène physique, tout ce qui s’accomplit autour de nous est la conséquence de lois simples, parfaitement immuables ; d’établir, enfin, d’une puissante façon les atomes comme premiers principes de la nature, en faisant table rase des fictions religieuses et des superstitions (Ier siècle av. J.-C.). Ni le titre ni le sujet du « De rerum Natura » ne sont de Lucrèce ; ils appartiennent proprement à Épicure. Lucrèce, tout charmé par les découvertes que ce savant grec avait faites dans son « Peri physeôs » 2 (« De la Nature »), a joint aux systèmes de ce penseur l’agrément et la force des expressions ; il a enduit, comme il dit, la vérité amère des connaissances avec « la jaune liqueur du doux miel » de la poésie : « Et certes, je ne me cache pas », ajoute-t-il 3, « qu’il est difficile de rendre claires, dans des vers latins, les obscures découvertes des Grecs — surtout maintenant qu’il va falloir créer tant de termes nouveaux, à cause de l’indigence de notre langue et de la nouveauté du sujet. Mais ton mérite et le plaisir que me promet une amitié si tendre, me persuadent d’entreprendre le plus pénible travail et m’engagent à veiller dans le calme des nuits, cherchant par quelles paroles, par quels vers enfin je pourrai faire luire à tes yeux une vive lumière qui t’aide à voir sous toutes leurs faces nos mystérieux problèmes ».
« Les vers du sublime Lucrèce ne périront que le jour où le monde périra lui-même »
C’est dans ce « calme des nuits », consacré à l’étude, qu’a été conçu le « De rerum Natura », ce poème extraordinaire, à la fois hymne et blasphème, inspirant tour à tour la sérénité et le désespoir, que Lucrèce a pu compléter, mais non corriger et conduire à la perfection, interrompu qu’il a été par une mort qu’on dit avoir été volontaire 4. Dans ce poème, l’enthousiasme de Lucrèce pour un système qui lui semblait rendre compte des destins de l’univers ; sa sympathie profonde pour le malheur humain auquel les doctrines d’Épicure pouvaient apporter, pensait-il, une efficace consolation ; l’éloquence, enfin, « d’un homme divin et d’un poète incomparable », comme l’appelle Jules César Scaliger 5 ; tous ces mérites réunis ont développé un mouvement, une grandeur, une passion, un éclat, que la littérature latine n’avait jamais connus, et qui, on peut le dire, l’ont renouvelée. De là, cet éloge qu’Ovide donnera à son prédécesseur : « Les vers du sublime Lucrèce ne périront que le jour où le monde périra lui-même » 6.
« Je me souviens », dit Victor Hugo 7, « qu’étant adolescent, un jour, à Romorantin, dans une masure que nous avions, sous une treille verte pénétrée d’air et de lumière, j’avisai sur une planche un livre — le seul livre qu’il y eût dans la maison — Lucrèce, “De rerum Natura”. Mes professeurs de rhétorique m’en avaient dit beaucoup de mal, ce qui me le recommandait. J’ouvris le livre. Il pouvait être environ midi dans ce moment-là. Je tombai sur ces vers puissants et sereins : “Non, ce n’est pas être pieux que de se montrer, la tête voilée, tourné vers une pierre ; que d’approcher de tous les autels, et de se prosterner à terre dans la poussière, et d’élever ses mains devant les sanctuaires des dieux, et d’arroser les autels du sang des animaux, et de faire vœux sur vœux. La piété consiste plutôt à tout voir d’un esprit tranquille” 8. Je m’arrêtai pensif, puis je me remis à lire. Quelques instants après, je ne voyais plus rien, je n’entendais plus rien, j’étais submergé dans le poète ; à l’heure du dîner, je fis signe de la tête que je n’avais pas faim, et le soir, quand le soleil se coucha et quand les troupeaux rentrèrent à l’étable, j’étais encore à la même place, lisant le livre immense ; et à côté de moi, mon père en cheveux blancs, assis sur le seuil… indulgent pour ma lecture prolongée, appelait doucement les moutons qui venaient l’un après l’autre manger une poignée de sel dans le creux de sa main. »
Il n’existe pas moins de vingt-quatre traductions françaises du « De rerum Natura », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle d’Ernest Lavigne.
« Suave, mari magno turbantibus æquora ventis
E terra magnum alterius spectare laborem ;
Non quia vexari quemquamst jucunda voluptas,
Sed quibus ipse malis careas quia cernere suavest.
Suave etiam belli certamina magna tueri
Per campos instructa tua sine parte pericli ;
Sed nihil dulcius est, bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Despicere unde queas alios passimque videre
Errare atque viam palantis quærere vitæ,
Certare ingenio, contendere nobilitate,
Noctes atque dies niti præstante labore
Ad summas emergere opes rerumque potiri.
O miseras hominum mentes, o pectora cæca ! »
— Passage dans la langue originale
« Il est doux, quand la mer est haute et que les vents soulèvent les vagues, de contempler du rivage le danger et les efforts d’autrui : non pas qu’on prenne un plaisir si grand à voir souffrir le prochain, mais parce qu’il y a une douceur à voir des maux que soi-même on n’éprouve pas. Il est doux aussi, dans une guerre, de voir les grands combats qui se livrent en plaine, sans que soi-même on ait part au péril. Mais rien n’est plus doux que d’habiter ces hauteurs sereines que la science défend, refuge des sages ; et de pouvoir de cet asile jeter ses yeux sur les autres hommes, et de les voir çà et là s’égarer et, vagabonds, chercher la route de la vie, faire assaut de génie, se disputer sur la noblesse du sang, nuit et jour s’efforcer à un dévorant labeur pour s’élever jusqu’à la fortune et posséder le pouvoir. Ô misérables cœurs des hommes ! ô esprits aveuglés ! »
— Passage dans la traduction de Lavigne
« Il est doux, quand la vaste mer est troublée par les vents, de contempler du rivage la détresse d’un autre ; non qu’on se plaise à voir souffrir, mais par la douceur de sentir de quels maux on est exempt. Il est doux encore d’assister aux grandes luttes de la guerre se développant dans les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais il n’est rien de plus doux que d’habiter ces sommets élevés et sereins, ces forts construits par la doctrine des sages, d’où l’on peut apercevoir au loin le reste des hommes égarés dans les routes de la vie, y luttant de génie, y contestant de noblesse, s’épuisant en efforts et le jour et la nuit, surnageant enfin pour saisir la fortune et la puissance. Ô malheureuses pensées des humains ! esprits aveugles ! »
— Passage dans la traduction d’Henri Joseph Guillaume Patin (XIXe siècle)
« Il est doux, quand les vents troublent au loin les ondes,
De contempler du bord sur les vagues profondes
Un naufrage imminent. Non que le cœur jaloux
Jouisse du malheur d’autrui ; mais il est doux
De voir ce que le sort nous épargne de peines.
Il est doux, en lieu sûr, de suivre dans les plaines
Les bataillons livrés aux chances des combats
Et les périls lointains qu’on ne partage pas.
Mais rien n’est aussi doux que d’établir sa vie
Sur les calmes hauteurs de la philosophie,
Dans l’impassible fort de la sérénité ;
De voir par cent chemins l’errante humanité
Chercher, courir, lutter de force et de génie,
Consumer en labeurs la veille et l’insomnie,
Monter de brigue en brigue aux échelons derniers,
Et s’asseoir au sommet des choses, sous nos pieds !
Ah ! misérables cœurs, aveugles que nous sommes ! »
— Passage dans la traduction d’André Lefèvre (XIXe siècle)
« La peine d’autrui sur la mer agitée par la tempête, est bien douce à voir du rivage où l’on est en sûreté, non pas que ce soit une joie bien sensible de regarder quelqu’un dans le péril du naufrage, mais pour ce qu’il y a grand plaisir de se voir hors de danger. Il est bien agréable aussi de contempler d’un lieu sûr dans la plaine les combats furieux de deux armées. Mais il n’est rien de si doux que d’entrer dans les palais élevés, où la paix habite avec la doctrine des sages, d’où l’on peut regarder en bas les autres hommes qui errent çà et là, et qui cherchent de tous côtés la voie qu’ils doivent suivre dans la vie, qui disputent pour le prix de l’éloquence, qui contestent de la noblesse de leur extraction, qui les jours et les nuits s’efforcent par un labeur opiniâtre de parvenir à de grandes richesses, et à l’autorité des charges. Ô misérables pensées des hommes ! ô cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction de l’abbé Michel de Marolles (XVIIe siècle)
« Douceur, quand les vents agitent la grande nappe marine,
De suivre du rivage les rudes efforts des autres…
Non que les peines d’autrui nous soient une volupté,
Mais c’est plaisir de voir à quels maux on échappe ;
Plaisir aussi d’observer, hors de péril, la guerre,
Les grandes batailles rangées à travers les plaines.
Mais la douceur suprême est de gagner les lieux
Dressés par la science des sages, sereins espaces
D’où sur les autres abaisser son regard, les voir
Éperdus çà et là (ils ne savent comment vivre)
Rivaliser d’esprit, faire assaut de naissance,
S’épuiser nuits et jours en prouesses laborieuses
Pour atteindre aux richesses ou prendre le pouvoir.
Ô pensées misérables des hommes ! Cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction de M. Charles Mouchet (éd. Rencontre, Lausanne)
« Il est doux, quand sur la grande mer les vents soulèvent les flots, d’assister de la terre aux rudes épreuves d’autrui : non que la souffrance de personne nous soit un plaisir si grand ; mais voir à quels maux on échappe soi-même est chose douce. Il est doux encore de regarder les grandes batailles de la guerre, rangées parmi les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais rien n’est plus doux que d’occuper solidement les hauts lieux fortifiés par la science des sages, régions sereines d’où l’on peut abaisser ses regards sur les autres hommes, les voir errer de toutes parts, et chercher au hasard le chemin de la vie, rivaliser de génie, se disputer la gloire de la naissance, nuit et jour s’efforcer, par un labeur sans égal, de s’élever au comble des richesses ou de s’emparer du pouvoir. Ô misérables esprits des hommes, ô cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction d’Alfred Ernout (éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris)
« Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense,
D’observer du rivage le dur effort d’autrui,
Non que le tourment soit jamais un doux plaisir
Mais il nous plaît de voir à quoi nous échappons.
Lors des grands combats de la guerre, il plaît aussi
De regarder sans risque les armées dans les plaines.
Mais rien n’est plus doux que d’habiter les hauts lieux
Fortifiés solidement par le savoir des sages,
Temples de sérénité d’où l’on peut voir les autres
Errer sans trêve en bas, cherchant le chemin de la vie,
Rivalisant de talent, de gloire nobiliaire,
S’efforçant nuit et jour par un labeur intense
D’atteindre à l’opulence, au faîte du pouvoir.
Pitoyables esprits, cœurs aveugles des hommes ! »
— Passage dans la traduction de Mme José Kany-Turpin (éd. Aubier, coll. Bibliothèque philosophique bilingue, Paris)
« Il est doux, lorsque l’on est sur la terre, de voir la mer agitée par les vents, exercer sa fureur sur des malheureux : ce n’est pas que l’infortune d’autrui donne du plaisir ; mais parce qu’il est agréable de se voir à l’abri du malheur, de la même manière que la scène d’un combat furieux, plaît à ceux qui n’en sont que les spectateurs, sans avoir part au péril. Mais il n’y a rien de plus charmant, que d’être admis dans ces temples élevés des sages, dont la doctrine rend l’esprit tranquille et serein. C’est du haut de ces temples que vous regardez les mortels dans une erreur continuelle, et dans les dérèglements d’une vie incertaine, se ravir mutuellement les avantages de l’esprit, disputer de l’ancienneté de leur noblesse, enfin passer les jours et les nuits dans l’esclavage du travail et de l’inquiétude, pour satisfaire à leur avarice, ou flatter leur ambition. Esprits misérables et aveugles »
— Passage dans la traduction de Jacques Parrain, baron Des Coutures (XVIIIe siècle)
« Suave, quand les vents troublent la surface, sur la mer immense,
De contempler depuis la terre l’effort immense d’autrui ;
Non que la souffrance de quiconque soit doux plaisir ;
Mais apprécier la distance des maux, dont on est soi-même à l’écart, est suave.
Suave aussi de regarder les combats immenses de la guerre,
À travers les champs de la bataille, sans qu’on ait part au danger.
Mais rien n’est plus doux que d’occuper, bien fortifiés,
Les temples de la sérénité construits par la doctrine des sages,
D’où l’on peut regarder de haut les autres, et les voir deçà delà
Errer et chercher éperdument la route de la vie,
Rivaliser de génie, combattre à coups de noblesse,
Mettre leur énergie nuit et jour dans un incroyable effort
Pour émerger aux plus hautes fortunes et posséder le monde.
Pauvres esprits des hommes, ô cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction de M. Jackie Pigeaud (dans « Les Épicuriens », éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, p. 269-531)
« Il est doux de contempler du rivage les flots soulevés par la tempête, et le péril d’un malheureux qu’ils vont engloutir ; non pas qu’on prenne plaisir à l’infortune d’autrui, mais parce que la vue des maux qu’on n’éprouve point est consolante. Il est doux encore, à l’abri du péril, de promener ses regards sur deux grandes armées rangées dans la plaine. Mais de tous les spectacles, le plus agréable est de considérer, du faîte de la philosophie, asile des sciences et de la paix, les mortels épars s’égarer à la poursuite du bonheur, se disputer la palme du génie ou la chimère de la naissance, et se soumettre nuit et jour aux plus pénibles travaux pour s’élever à la fortune et aux grandeurs. Malheureux humains ! cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction de … Lagrange (XVIIIe siècle)
« Il est doux de contempler du rivage les flots de la vaste mer soulevée par la tempête, et le péril du malheureux qu’ils vont engloutir ; non pas que l’on prenne plaisir à l’infortune d’autrui, mais parce qu’on aime à voir de quels maux on est exempt soi-même. Il est doux encore, à l’abri du péril, de promener ses regards sur deux grandes armées rangées dans la plaine. Mais de tous les spectacles, le plus agréable est de considérer, du temple serein, asile sûr élevé par la philosophie, les mortels épars s’égarer à la poursuite du bonheur, se disputer la palme du génie ou la chimère de la naissance, et se soumettre nuit et jour aux plus pénibles travaux pour s’élever à la fortune et aux grandeurs. Malheureux humains ! cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction de … Lagrange, revue par Félix de Parnajon (XIXe siècle)
« Il est doux de contempler du rivage les flots soulevés par la tempête, et le péril d’un malheureux qui lutte contre la mort ; non pas qu’on prenne plaisir à l’infortune d’autrui, mais parce que la vue est consolante des maux qu’on n’éprouve point. Il est doux encore, à l’abri du danger, de promener ses regards sur deux grandes armées rangées dans la plaine. Mais rien n’est plus délicieux que d’abaisser ses regards du temple serein élevé par la philosophie, de voir les mortels épars s’égarer à la poursuite du bonheur, se disputer la palme du génie ou les honneurs que donne la naissance, et se soumettre nuit et jour aux plus pénibles travaux pour s’élever à la fortune ou à la grandeur. Malheureux humains ! cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction de … Lagrange, revue par Félix Blanchet (XIXe siècle)
« Il est doux, dans le port, quand les mers courroucées,
Roulent, au choc des vents, leurs ondes entassées,
De voir les matelots pressés par ces combats ;
Non que leur trouble affreux puisse avoir des appas ;
Mais qu’on sent la douceur d’être libre d’alarmes !
Il est doux d’admirer deux grands peuples en armes,
Déployant, à l’envi, les jeux cruels de Mars,
Dont on ne peut, de loin, partager les hasards :
Mais, ô seul vrai bonheur, seul repos sans orages,
De jouir d’un jour pur dans le temple des sages,
Ce temple inébranlable où luit la vérité ;
De contempler, en paix, du sein de sa clarté,
Les mortels, égarés dans les champs de la vie,
Y cherchant leur carrière au flambeau de l’Envie,
Du génie et du sang se disputant les droits,
S’épuisant nuit et jour en pénibles exploits,
Pour combler leurs trésors, ou s’arracher l’Empire !
Ô triste aveuglement ! ô misère ! ô délire ! »
— Passage dans la traduction d’Antoine Le Blanc de Guillet (XVIIIe siècle)
« Il est doux, lorsqu’on est en sûreté sur le rivage, de voir la mer agitée par la tempête, exercer sa fureur sur des malheureux ; ce n’est pas que l’infortune d’autrui donne du plaisir, mais c’est qu’il est toujours doux de n’être que le témoin des malheurs qu’on ne partage pas. Il n’est pas moins doux de n’être que le spectateur d’un combat cruel et sanglant que se livrent deux armées rangées en bataille. Mais il n’est rien de plus doux et de plus satisfaisant que d’être admis et d’habiter dans le temple de la sagesse, d’où comme d’une montagne élevée qui commande à une vaste plaine, on peut voir les mortels errants de toutes parts sur la surface de la terre. C’est du haut de son temple qu’on les voit mener une vie inquiète et incertaine, se disputer sans cesse les avantages de l’esprit ou les prérogatives de la noblesse, passer les jours et les nuits dans l’esclavage du travail pour assouvir leur avarice ou satisfaire leur ambition. Malheureux mortels, esprits aveugles et insensés »
— Passage dans la traduction de Charles-Joseph Panckoucke (XVIIIe siècle)
« Quand l’océan s’irrite agité par l’orage,
Il est doux, sans péril, d’observer du rivage
Les efforts douloureux des tremblants matelots
Luttant contre la mort sur le gouffre des flots,
Et quoiqu’à la pitié leur destin nous invite,
On jouit en secret des malheurs qu’on évite.
Il est doux, Memmius 9, à l’abri des combats,
De contempler le choc des farouches soldats.
Mais viens, il est encor de plus douces images ;
Viens, porte un vol hardi jusqu’au temple des sages.
Là, jetant sur le monde un regard dédaigneux,
Vois ramper fièrement les mortels orgueilleux.
Ils briguent de vains droits, s’arrachent la victoire,
Les titres fastueux, les palmes de la gloire ;
Usurpent d’un haut rang l’infructueux honneur,
Et trouvent le remords en cherchant le bonheur.
Hommes infortunés »
— Passage dans la traduction en vers de Jean-Baptiste-Antoine-Aimé Sanson de Pongerville (XIXe siècle)
« Il est doux de contempler du rivage les efforts des nochers tourmentés par les vents furieux, sur le vaste gouffre des mers. Non que leur infortune ait pour nous des charmes ; mais il est doux d’être affranchi de leur effroi douloureux. Il est doux aussi d’observer, à l’abri du danger, des légions homicides se heurtant dans la plaine. Mais quel spectacle délicieux est réservé au sage qui, du temple serein de la philosophie, voit les mortels égarés dans les chemins de la vie, s’arracher de vains droits ou les palmes du génie, prétendre au chimérique honneur de la naissance, et consumer les jours et les nuits dans des combats honteux pour s’élever à l’opulence et aux grandeurs ! Aveugles et malheureux humains ! »
— Passage dans la traduction en prose de Jean-Baptiste-Antoine-Aimé Sanson de Pongerville (XIXe siècle)
« Il est doux, quand les vents tourmentent de leurs trombes
La mer aux vastes flots, de se trouver à terre
Et d’observer de là le grand malheur d’autrui :
Non que l’on ait plaisir à voir quiconque à mal,
Mais voir de quels malheurs on est soi-même exempt,
C’est cela qui est doux. Est doux, également,
De regarder la guerre, avec ses vastes champs
De batailles rangées, sans courir de danger.
Mais le plus doux encor est de tenir les temples
Qu’a fait venir au jour l’enseignement des sages,
Bien défendus, sereins, d’où l’on puisse porter
Son regard vers en bas et voir au loin les autres
Errer à l’aventure et chercher au hasard
Le chemin de la vie, rivaliser d’esprit,
Viser à la noblesse et faire jour et nuit
Un colossal effort pour monter au sommet
De la richesse, et pour être maîtres des choses.
Pauvres esprits humains, ô poitrines aveugles ! »
— Passage dans la traduction de M. Bernard Pautrat (éd. Librairie générale française, coll. Le Livre de poche-Classiques de poche, Paris)
« Il est doux, quand sur la mer immense les vents en rafale bouleversent la calme surface des flots, de contempler de la terre l’immense effort d’autrui dans l’épreuve ; non que l’on prenne joie ou plaisir à la souffrance humaine ; mais il y a de la douceur à voir les maux auxquels soi-même on échappe. Il est doux aussi d’observer les immenses affrontements de la guerre, les armées rangées dans les plaines, quand on est soi-même à l’abri du danger. Mais rien n’est plus délicieux que d’occuper les hautes citadelles de la sérénité édifiées par la doctrine des sages, d’où l’on peut jeter les yeux sur les autres, et les voir errer, çà et là, aveuglément, en quête du chemin de la vie, confrontant leurs talents, luttant sans merci pour de vains privilèges, cherchant nuit et jour, au prix d’un effort sans pareil, à s’élever au comble des richesses et à prendre le pouvoir. Pauvres esprits humains, cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction de Mme Chantal Labre (éd. Arléa, coll. Retour aux grands textes, Paris)
« Il est doux, quand le vent gonfle au large les flots,
D’assister du rivage aux efforts des marins,
Non qu’on se charme et jouisse à voir peiner quiconque,
Mais il est doux de voir à quels maux on échappe,
Comme il est doux de voir des armées dans la plaine
En bataille rangées, sans rien risquer soi-même.
Rien pourtant n’est plus doux que d’occuper, serein,
Les donjons fortifiés par la science des sages
Et, le toisant d’en haut, voir autrui égaré,
Pour orienter sa vie errant à l’aventure,
Courant la renommée, rivalisant d’adresse,
Nuit et jour s’efforçant par un labeur insigne
D’être on ne peut plus riche, on ne peut plus puissant,
Ô misérable esprit, cœur aveugle de l’homme ! »
— Passage dans la traduction de M. Olivier Sers (éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris)
« Il est doux, lorsque la mer est grosse, lorsque le vent agite les ondes, de contempler du rivage la détresse des autres ; non que leurs tourments soient une jouissance pour nous, mais parce que nous aimons à voir de quels maux nous sommes exempts. Les grandes batailles engagées dans la plaine réjouissent aussi la vue, quand on les voit sans péril ; mais rien n’est plus doux que de se placer aux cimes de la science, dans les sanctuaires inviolables que bâtit la paisible sagesse, et du haut desquels on découvre le reste des hommes qui errent çà et là dans la vie, cherchant un chemin à suivre ; qui luttent de génie, qui disputent de noblesse, et qui nuit et jour se consument en efforts admirables pour atteindre le faîte des richesses ou de la puissance. Misérables humains ! cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction de … Chaniot (XIXe siècle)
« Il est doux, quand la tempête soulève les flots de la mer immense, il est doux d’être au rivage, et là, de regarder les efforts désespérés de ses semblables ; non que les angoisses d’autrui soient un plaisir bien doux, mais parce qu’il est doux de voir à quels maux on échappe soi-même. Il est doux encore, quand on se sent à l’abri de tout péril, il est doux le spectacle de la guerre, le spectacle d’une grande bataille livrée dans la plaine. Mais le bonheur suprême est d’occuper cette citadelle qu’a élevée la science, cet asile serein d’où le sage peut voir à ses pieds les autres mortels épars, errants, chercher ici et là le chemin de la vie, lutter de talent, se prévaloir de leur noblesse, travailler jour et nuit, se signaler à l’envi par leurs efforts, pour percer, pour arriver à l’opulence, et pour s’emparer du pouvoir ! Ô misère de l’âme humaine ! ô aveuglement des cœurs ! »
— Passage dans la traduction d’Eugène Fallex (dans « Anthologie des poètes latins. Tome II », XIXe siècle)
« On voit avec plaisir dans le sein du repos,
Des mortels malheureux lutter contre les flots ;
On aime à voir de loin deux terribles armées
Dans les champs de la mort au combat animées ;
Non que le mal d’autrui soit un plaisir si doux ;
Mais son danger nous plaît quand il est loin de nous.
Heureux qui retiré dans le temple des sages
Voit en paix sous ses pieds se former les orages,
Qui rit en contemplant les mortels insensés
De leur joug volontaire esclaves empressés,
Inquiets, incertains du chemin qu’il faut suivre,
Sans penser, sans jouir, ignorant l’art de vivre,
Dans l’agitation consumant leurs beaux jours,
Poursuivant la fortune, et rampant dans les Cours.
Ô vanité de l’homme ! ô faiblesse ! ô misère ! »
— Passage dans la traduction de Voltaire (dans « Dictionnaire philosophique », art. « curiosité »)
« Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d’assister du rivage à la détresse d’autrui ; non qu’on trouve si grand plaisir à regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent. Il est doux aussi d’assister aux grandes luttes de la guerre, de suivre les batailles rangées dans les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais la plus grande douceur est d’occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent çà et là en cherchant au hasard le chemin de la vie, qui luttent de génie ou se disputent la gloire de la naissance, qui s’épuisent en efforts de jour et de nuit pour s’élever au faîte des richesses ou s’emparer du pouvoir. Ô misérables esprits des hommes, ô cœurs aveugles ! »
— Passage dans la traduction d’Henri Clouard (éd. Garnier frères, coll. Classiques Garnier, Paris)
« Douceur sur l’abîme immense où les vents troublent les flots
Pour qui, depuis la terre, voit l’ahan des matelots !
Non que d’un autre, sans doute, on aime à guigner la peine,
Mais voir ce que l’on s’épargne est d’une douceur certaine.
Douceur ainsi pour qui voit d’innombrables légions,
S’il n’est point du péril, s’éployer au loin sur la plaine.
Mais rien plus doux que de régner aux hautes régions
Où les savants ont dressé les remparts de la science :
De ces camps sereins, l’on voit l’homme en son impatience
Chercher en bas à tâtons où se peut trouver sa vie,
Et de sa gloire jaloux, rivalisant de génie,
Nuit et jour à la peine, en un suprême effort,
Gravir à l’opulence et du trône se faire fort.
Ô misérables esprits, poitrines sans visions ! »
— Passage dans la traduction de M. Bernard Combeaud (éd. Mollat, Bordeaux)
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- Deux extraits dans la traduction d’André Lefèvre, lus par René Depasse [Source : Littérature audio]
- Extrait dans la traduction de … Chaniot, lu par René Depasse [Source : Littérature audio]
- Extrait dans la traduction en prose de Jean-Baptiste-Antoine-Aimé Sanson de Pongerville, lu par René Depasse [Source : Littérature audio]
- Bernard Combeaud évoquant Lucrèce [Source : Librairie Mollat]
- Michel Onfray évoquant Lucrèce [Source : Librairie Mollat]
- Pierre-Marie Morel évoquant Lucrèce [Source : France Culture]
- Élisabeth de Fontenay évoquant Lucrèce [Source : France Culture]
- Jean Salem évoquant Lucrèce [Source : France Culture]
- Patrick Dandrey évoquant Lucrèce [Source : France Culture].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « La Renaissance de Lucrèce » (éd. Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. Cahiers V. L. Saulnier, Paris)
- Constant Martha, « Le Poète Lucrèce » dans « Revue des deux mondes », 1863, mars [Source : Google Livres]
- Henri Joseph Guillaume Patin, « Du renouvellement de la poésie latine par Lucrèce et par Catulle » dans « Études sur la poésie latine, 3e édition. Tome I » (XIXe siècle), p. 76-99 [Source : Google Livres].
- En latin Titus Lucretius Carus.
- En grec « Περὶ φύσεως ».
- p. 65.
- C’est ce que dit saint Jérôme, dans ses additions à la « Chronique » d’Eusèbe : « Frappé de folie après l’absorption d’un philtre, après avoir écrit dans ses intervalles de lucidité quelques livres, que Cicéron corrigea plus tard, le poète Lucrèce… finit par se donner la mort de sa propre main, à l’âge de quarante-quatre ans » (« Titus Lucretius poeta… poculo in furorem versus, cum aliquot libros per intervalla insaniæ conscripsisset, quos postea Cicero emendavit, propria se manu interfecit, anno ætatis quadragesimo quarto »).
- En latin « divini viri atque incomparabilis poetæ ».