Il s’agit du « Mabinogi » 1, la perle de la prose médiévale galloise. Ce récit se divise en quatre sections connues sous le nom de « Quatre “Mabinogion” » ou « Quatre Branches du “Mabinogi” » : Pwyll, Branwen, Manawyddan et Math. « Ce sont [quatre] nobles et francs [héros] agissant dans toute leur spontanéité. Chaque homme apparaît comme une sorte de demi-dieu caractérisé par un don surnaturel ; ce don est presque toujours attaché à un objet merveilleux, qui est en quelque sorte le sceau personnel de celui qui le possède », dit Ernest Renan 2. Le dialecte est celui du moyen gallois, avec peut-être quelques traits caractéristiques du comté de Glamorgan ou de ses environs. Le « Mabinogi » nous a été conservé dans deux principaux manuscrits — le Livre rouge de Hergest et le Livre blanc de Rhydderch — rédigés à une époque où les rois de la maison Plantagenêt, tous francophones, régnaient sur de vastes parts du pays de Galles. Face à eux, les nobles gallois (« uchelwyr ») et les bardes attachés à ces nobles (« beirdd yr uchelwyr ») opposaient les traditions ancestrales de leur peuple. Le manuscrit le plus ancien n’est pas antérieur au XIIIe siècle apr. J.-C. ; mais les contes qui le composent ont certainement une antiquité bien plus respectable. Plusieurs nous conduisent jusqu’au passé le plus lointain, à la période même de l’unité des peuples celtiques. Le caractère général de ces contes, qui fait à la fois le charme et le défaut du « Mabinogi », c’est l’emploi et l’abus du merveilleux. C’est par le « Mabinogi » que le surnaturel celtique a exercé son influence sur les modes du continent européen et a réalisé ce prodige qu’un peuple impuissant et obstiné, resserré aux confins du monde, au milieu des rochers où ses ennemis n’ont pu le prendre de force, ait transformé l’imagination médiévale et imposé ses motifs littéraires à toute la chrétienté. « Ce profond sentiment de l’avenir et des destinées éternelles qui a toujours soutenu le [pays de Galles], et le fait apparaître jeune encore à côté de ses conquérants vieillis… c’est l’espérance des races celtiques. Les petits peuples doués d’imagination prennent d’ordinaire ainsi leur revanche de ceux qui les ont vaincus. Se sentant forts au-dedans et faibles au-dehors, une telle lutte les exalte, et décuplant leurs forces, les rend capables de miracles. Presque tous les grands appels au surnaturel sont dus à des peuples vaincus, mais espérant contre toute espérance », conclut Renan 3.
Il n’existe pas moins de trois traductions françaises du « Mabinogi », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Joseph Loth.
« “Ie”, heb y Math, “keisswn ninheu, ui a thi, oc an hut a’n lledrith, hudaw gwreic idaw ynteu o’r blodeu.” (Ynteu yna a meint gwr yndaw ac yn delediwhaf guas a welas dyn eiroet.) Ac yna y kymeryssant wy blodeu y deri, a blodeu y banadyl, a blodeu yr erwein, ac o’r rei hynny, asswynaw yr un uorwyn deccaf a thelediwaf a welas dyn eiroet. Ac y bedydyaw o’r bedyd a wneynt yna, a dodi Blodeued arnei. »
— Passage dans la langue originale
« “Eh bien”, dit Math, “cherchons, au moyen de notre magie et de nos charmes à tous les deux, à lui faire sortir une femme des fleurs.” (Il avait alors la stature d’un homme, et c’était bien le jeune homme le plus accompli qu’on eût jamais vu.) Ils réunirent alors les fleurs du chêne, celles du genêt et de la reine-des-prés, et par leurs charmes, ils en formèrent la pucelle la plus belle et la plus parfaite du monde. On la baptisa suivant les rites d’alors et on la nomma Blodeuwedd (Aspect ou visage de fleurs). »
— Passage dans la traduction de Loth
« “Eh bien”, dit Math à Gwydion, “essayons à nous deux, par notre magie et nos sortilèges, de lui former une femme avec des fleurs.” (À cette époque, Lleu avait atteint sa taille adulte ; c’était le plus beau jeune homme qu’on eût jamais vu.) Ils prirent donc les fleurs du chêne, celles du genêt et de la reine-des-prés, et de toutes ces fleurs ils formèrent par enchantement la jeune fille la plus belle, la plus accomplie qu’on eût jamais vue. Puis ils la baptisèrent du baptême en usage en ce temps-là et l’appelèrent Blodeued (Fleurs). »
— Passage dans la traduction de M. Jean-Claude Lozac’hmeur (dans « Récits et Poèmes celtiques : domaine brittonique (VIe-XVe siècle) », éd. Stock, coll. Moyen Âge, Paris)
« “Eh bien”, dit Math, “employons, tous les deux, notre magie et notre sorcellerie, pour lui créer une femme à partir de fleurs.” (Il avait alors la taille d’un homme, et c’était le jeune homme le plus accompli qu’on eût jamais vu.) Ils prirent alors des fleurs de chêne, de genêt et de reines-des-prés, et avec cela suscitèrent, par magie, la fille la plus belle et la plus parfaite du monde. On la baptisa selon le baptême qu’on pratiquait à l’époque, et on l’appela Blodeuwedd (Aspect de fleurs). »
— Passage dans la traduction de M. Pierre-Yves Lambert (« Les Quatre Branches du “Mabinogi” et Autres Contes gallois du Moyen Âge », éd. Gallimard, coll. L’Aube des peuples, Paris)
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- Traduction de Joseph Loth (1913). Tome II [Source : Canadiana]
- Traduction de Joseph Loth (1913). Tome II ; autre copie [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Traduction de Joseph Loth (1889). Tome II [Source : Canadiana]
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- Traduction de Joseph Loth (1889). Tome II ; autre copie [Source : Canadiana]
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Aimé Puech, « Les “Mabinogion” et la Légende galloise » dans « Annales de Bretagne », vol. 4, nº 3, p. 452-465 [Source : Google Livres]
- Thomas Parry, « Littérature galloise » dans « Histoire des littératures. Tome II » (éd. Gallimard, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris), p. 339-350
- Ernest Renan, « La Poésie des races celtiques » dans « Essais de morale et de critique » (XIXe siècle), p. 375-456 [Source : Google Livres].