Mazilescu, «Il se fera silence, il se fera soir»

éd. Comp’act, coll. La Polygraphe, Chambéry

éd. Comp’act, coll. La Po­ly­graphe, Cham­béry

Il s’agit des re­cueils «Il se fera si­lence, il se fera soir» («Va fi li­niște, va fi seară»), «Frag­ments de la ré­gion de ja­dis» («Frag­mente din re­giu­nea de odi­nioară») et «Vers» («Ver­suri») de M. Vir­gil Ma­zi­lescu, l’un des der­niers sur­réa­listes rou­mains. Exa­gé­rant un peu, je di­rais que la poé­sie de M. Ma­zi­lescu a com­mencé et fini dans la ta­verne de l’Union des écri­vains à Bu­ca­rest. La table où il s’asseyait chaque soir n’était pas seule­ment le coin de l’établissement où les plus co­pieuses quan­ti­tés de vodka étaient en­glou­ties; c’était éga­le­ment une sorte d’atelier, un cé­nacle lit­té­raire. Entre deux dis­cours tra­giques, em­pes­tant l’alcool, agré­men­tés de l’invocation de la belle Ro­dica, sa déesse et «la plus grande réa­li­sa­tion de [sa] vie» 1, ponc­tués, en­fin, de ju­rons, qu’il était le seul à pou­voir se per­mettre en l’éminente pré­sence de MM. Ma­rin Preda et Ni­chita Stă­nescu as­sis de­vant lui, M. Ma­zi­lescu dé­cla­mait sa toute der­nière poé­sie, tout en y opé­rant de pe­tites mais im­por­tantes re­touches. On l’appelait «le tailleur de dia­mants» 2, car il don­nait à sa poé­sie une pre­mière forme, puis il re­tran­chait, ajou­tait, sub­sti­tuait des mots pen­dant des mois, si bien que ses convives fi­nis­saient par l’apprendre par cœur en l’entendant ré­ci­ter si sou­vent. Comme tous les vers d’ivrogne, ceux de M. Ma­zi­lescu ap­pa­raissent tou­jours d’une fa­çon ou d’une autre in­ter­rom­pus, el­lip­tiques, in­ex­pli­ca­ble­ment ac­cro­chés à leur propre lo­gique dif­fé­rente de la nôtre, échap­pant à la gram­maire. In­fé­rieurs aux vers lu­cides si l’on veut, ils ont, ce­pen­dant, ce mé­rite qu’ils donnent la ferme convic­tion que la poé­sie, c’est la chose la plus es­sen­tielle qui soit, la chose qui se ré­veille le plus tôt et qui s’éteint en der­nier lieu en nous, quand bien même nous se­rions as­sis dans une ta­verne aux confins du monde ci­vi­lisé là où les map­pe­mondes in­diquent seule­ment «Ibi sunt leones» («Là se trouvent des lions») : «Qui donc se tient là au bord de l’abîme et dit et parle en re­gar­dant sans cesse à sa montre, comme un vieillard saisi de pa­nique à la tom­bée de la nuit? Ses pen­sées [sont] plus éteintes qu’une bou­gie éteinte. “Ibi sunt leones.” C’est là que se croisent en ef­fet les deux zones : [celle] de la vie et [celle] de la confiance in­com­men­su­rable en l’éternité. Par là, il pousse des fleurs. “Ibi sunt leones”», dit M. Ma­zi­lescu 3.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Pierre Drogi.

«nici o mân­gâiere și flori al­bastre și nici o vorbă. mâna va crede că vi­sează — las-o. limba doarme de nouă ani între ma­luri — las-o. flori al­bastre da înspăi­mântă­toare flori al­bastre și mai ales nici o vorbă : cuțit lângă cuțit»
— Poème dans la langue ori­gi­nale

«pas une ca­resse et fleurs bleues et pas une pa­role. la main va croire qu’elle rêve — laisse-la. la langue dort de­puis neuf ans entre ses rives — laisse-la. des fleurs bleues oui d’épouvantables fleurs bleues et sur­tout plus une pa­role : cou­teau contre cou­teau»
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Drogi

«pas une ca­resse fleurs bleues et pas un mot. la main croira rê­ver. la langue dort de­puis neuf ans entre les eaux. fleurs bleues oui ef­frayantes fleurs bleues et sur­tout pas un mot : cou­teau contre cou­teau»
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Alain Pa­ruit («Poèmes de Vir­gil Ma­zi­lescu» dans «Li­berté», vol. 16, nº 4, p. 16-17)

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  1. «Il se fera si­lence, il se fera soir», p. 13. Haut
  2. En rou­main «șle­fui­to­rul de dia­mante». Haut
  1. «Il se fera si­lence, il se fera soir», p. 47. Haut