Il s’agit d’un exposé de Diogène Laërce 1 (IIIe siècle apr. J.-C.) sur les « Vies, doctrines et apophtegmes » 2 de quatre-vingt-quatre philosophes grecs. À vrai dire, Diogène Laërce n’a qu’une connaissance indirecte de la philosophie, qu’il trouve dans des anthologies tardives et qu’il ramasse sans examen et avec cette indifférence pour la vérité qui est un des caractères de la médiocrité d’esprit. Il ne se pose comme but qu’une histoire populaire des philosophes, où leurs saillies, leurs actions ingénieuses, leurs pointes d’esprit, leur mort accidentelle en mangeant un poulpe cru (Diogène de Sinope) ou en trébuchant de nuit sur une cuvette (Xénocrate) l’emportent presque sur leurs doctrines. Non seulement les grandes étapes de la pensée grecque lui échappent, mais il ignore les influences subies d’une école à l’autre. « On le sent », dit un traducteur 3, « très souvent perdu, ne comprenant les idées qu’à demi, émerveillé par ce qu’il comprend, l’expliquant alors pas à pas, avec des redites, sans faire grâce au lecteur du moindre détail ». Et cependant, l’utilité d’un ouvrage ne se mesure pas toujours à sa régularité et sa grandeur. Cette compilation informe renferme des matériaux d’un prix inestimable qu’on chercherait vainement ailleurs ; elle retrace la présence concrète et vivante des philosophes « à la Cour des princes, au marché, à une table d’auberge, aux bains, à la palestre, à l’école… là où les idées et la vie se rejoignent dans une forme de sagesse au quotidien », comme explique Mme Marie-Odile Goulet-Cazé 4. Avec quelle netteté Diogène Laërce dessine par exemple la figure d’Aristote ! Quel portrait pittoresque et familier il en donne par une heureuse accumulation de maximes ! Je ne sais laquelle est la plus riche de sens et la plus mémorable, du « Rien ne vieillit plus vite que la gratitude » 5 ou de cette réponse du philosophe à quelqu’un qui lui reprochait d’avoir fait l’aumône à un fainéant : « Ce n’est pas à l’homme que j’ai donné, mais à son humanité »
- En grec Διογένης Λαέρτιος. Parfois transcrit Diogène Laërte, Diogène Laertien, Diogenes Laërtius ou Diogènes de Laërtes.
- Le titre authentique de cet exposé est inconnu : Sopatros d’Apamée le cite comme « Vies des philosophes » (« Φιλοσόφων Βίοι »), tandis que, dans le manuscrit de Paris, il porte l’intitulé « Vies et Sentences de ceux qui se sont illustrés en philosophie, et (Recueil) des doctrines prévalant dans chaque école » (« Βίοι καὶ Γνῶμαι τῶν ἐν φιλοσοφία εὐδοκιμησάντων, καὶ τῶν ἑκάστῃ αἱρέσει ἀρεσκόντων (Συναγωγή) »).
- M. Robert Genaille.