Macrobe, « Commentaire au “Songe de Scipion”. Tome I »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de , Pa­ris

Il s’agit du «Com­men­taire au “Songe de Sci­pion”» («In “Som­nium Sci­pio­nis”») de  1, éru­dit de la fin du IVe siècle et du dé­but du Ve siècle apr. J.-C., com­pi­la­teur au sa­voir en­cy­clo­pé­dique, le der­nier en date des grands re­pré­sen­tants du . Ce fut un des hommes les plus dis­tin­gués de l’Empire , comme l’atteste le double titre de «cla­ris­si­mus» et d’«illus­tris» que lui at­tri­buent un cer­tain nombre de . En ef­fet, si «cla­ris­si­mus» in­di­quait l’appartenance à l’ordre des sé­na­teurs, «illus­tris», lui, était en­core au-des­sus, et il n’y avait guère qu’une poi­gnée de hauts aux­quels il était at­ta­ché. Ces dif­fé­rentes charges n’empêchèrent pas Ma­crobe de s’appliquer aux belles-lettres avec un soin ex­tra­or­di­naire. Et d’ailleurs, bien qu’à cette époque les et les fussent déjà dans leur , ils avaient néan­moins l’avantage d’être plus que ja­mais culti­vés par les per­sonnes les plus consi­dé­rables de l’Empire — pré­fets, maîtres de la mi­lice, di­gni­taires du im­pé­rial, pa­trices, consuls —, qui se fai­saient gloire d’être les seuls re­fuges, les seuls rem­parts de la face au en­va­his­sant. Tels furent les Fla­via­nus, les Al­bi­nus, les Sym­maque, les Pré­tex­ta­tus et autres païens convain­cus, dont Ma­crobe fait par­tie, et qu’il met en scène dans ses «Sa­tur­nales» en qua­lité de convives. L’un d’eux dé­clare : «Pour le passé, nous de­vons tou­jours avoir de la , si nous avons quelque ; car ce sont ces gé­né­ra­tions qui ont fait naître notre Em­pire au prix de leur et de leur sueur — Em­pire que seule une pro­fu­sion de a pu bâ­tir» 2. Voilà une pro­fes­sion de qui peut ser­vir d’exergue à toute l’œuvre de Ma­crobe. Celle-ci est un com­pen­dium de la science et de la sa­gesse du passé, «un miel éla­boré de sucs di­vers» 3. On y trouve ce qu’on veut : des spé­cu­la­tions phi­lo­so­phiques, des no­tions gram­ma­ti­cales, une mine de bons mots et de traits d’esprit, une et une abré­gées. Il est vrai qu’on a re­pro­ché à Ma­crobe de n’y avoir mis que fort peu du sien; de s’être contenté de rap­por­ter les mots mêmes em­ployés par les an­ciens au­teurs. «Seul le vê­te­ment lui ap­par­tient», dit un  4, «tan­dis que le contenu est la pro­priété d’». C’est pour cela qu’Érasme l’appelle «la cor­neille d’Ésope, qui pas­tiche en se pa­rant des plumes des autres » («Æso­pi­cam cor­ni­cu­lam, ex alio­rum pan­nis suos contexuit cen­tones»); et que Marc An­toine Mu­ret lui ap­plique spi­ri­tuel­le­ment ce vers de Té­rence, dans un sens tout dif­fé­rent de ce­lui qu’on a l’habitude de lui don­ner : «Je suis  : en cette qua­lité, je crois avoir sur les biens de tous les autres hommes».

«un ba­gage scien­ti­fique et comme une ré­serve de sa­voir»

Mais il faut faire deux ré­flexions pour la jus­ti­fi­ca­tion de notre au­teur. La pre­mière, c’est que, ne son­geant dans son œuvre qu’à ins­truire et for­mer son fils Eu­stathe 5Eu­stathe, mon fils, dou­ceur et fierté à la fois de ma » 6 pour re­prendre la tendre ap­pel­la­tion sous la­quelle il le dé­signe), il crut qu’il y réus­si­rait bien mieux en lui met­tant de­vant les yeux le vrai texte des au­teurs an­ciens, qu’en ex­pri­mant leurs pen­sées à sa ma­nière : «Je m’emploie», dit Ma­crobe 7, «à ce que mes lec­tures te pro­fitent et à ce que tout le sa­voir que j’ai puisé dans di­vers ou­vrages en ou en la­tin, soit lorsque tu étais déjà au soit avant ta nais­sance, consti­tue pour toi un ba­gage scien­ti­fique et comme une ré­serve de sa­voir où, si ja­mais tu as be­soin de te rap­pe­ler soit un dé­tail [soit] une mé­mo­rable, il te sera aisé de les re­trou­ver et de les pui­ser». La deuxième , et qui fait le plus à Ma­crobe, c’est qu’en mul­ti­pliant les , les pièces jus­ti­fi­ca­tives et les frag­ments, il sauva toute une part de la clas­sique du nau­frage de l’Empire ro­main. En cela, son œuvre a pré­fi­guré en quelque sorte le tra­vail en­tre­pris par les , qui re­con­naî­tront sou­vent en lui un ini­tia­teur ou un pré­cur­seur. Té­moin cette belle «Dé­fense de Ma­crobe» («De­fen­sio Ma­cro­bii») de Fran­çois Du Bois, dit Syl­vius 8 : «Au­raient-ils jugé que Ma­crobe était un [vo­leur], ceux dont il a uti­lisé le té­moi­gnage, si quelque vo­lonté di­vine les avait ti­rés de l’[oubli] au mo­ment où il conce­vait son œuvre? Je ne le crois pas. Tous au­raient plu­tôt dit d’une seule  : “À toi, Ma­crobe, nous adres­sons des re­mer­cie­ments im­mor­tels : tu nous as re­con­nus à notre juste va­leur, quand tu as uti­lisé notre té­moi­gnage, tu as pu­blié lar­ge­ment nos , que nous sa­vions en proie à l’injure des , et tu les as ren­dus im­mor­tels. Nous avions écrit dans l’intérêt com­mun, et c’est grâce à toi que nous sommes utiles au plus grand nombre, et nous au­rions cessé d’être utiles, si nos avaient dis­paru. Nous es­pé­rons que, grâce à toi, les de notre et de notre vo­lonté du­re­ront éter­nel­le­ment”».

Il n’existe pas moins de trois tra­duc­tions fran­çaises du «Com­men­taire au “Songe de Sci­pion”», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme .

«Illa enim tan­tum li­nea in partes æquales or­bem me­dium di­vi­dit quæ a summo in sum­mum ita du­ci­tur, ut ne­cesse sit eam tran­sire per cen­trum; et hæc li­nea, quæ or­bem sic æqua­li­ter di­vi­dit, διάμετρος nun­cu­pa­tur. Item om­nis διάμετρος cu­jus­cumque or­bis, tri­pli­cata cum ad­jec­tione sep­timæ par­tis suæ, men­su­ram fa­cit cir­culi quo or­bis in­clu­di­tur; id est, si un­cias sep­tem te­neat dia­me­tri lon­gi­tudo, et ve­lis ex ea nosse quot un­cias or­bis ip­sius cir­cu­lus te­neat, tri­pli­ca­bis sep­tem, et fa­ciunt vi­ginti unum; his ad­ji­cies sep­ti­mam par­tem, hoc est unum, et pro­nun­tia­bis in vi­ginti et dua­bus un­ciis hu­jus cir­culi esse men­su­ram, cu­jus dia­me­tros sep­tem un­ciis ex­ten­di­tur.»
— Pas­sage dans la ori­gi­nale

«Seule di­vise le disque par son mi­lieu en deux par­ties égales la ligne me­née d’un point de la cir­con­fé­rence à un autre en pas­sant né­ces­sai­re­ment par le centre, et cette ligne, qui ainsi le disque en moi­tiés égales, est ap­pe­lée “dia­mètre”. En outre, tout “dia­mètre” d’un disque quel­conque que l’on mul­ti­plie par trois et au­quel on ajoute un sep­tième de sa lon­gueur donne la me­sure de la cir­con­fé­rence du disque 9; c’est-à-dire que, si la lon­gueur d’un dia­mètre est de sept pouces, et si l’on veut dé­duire de cette don­née com­bien de pouces fait la cir­con­fé­rence du disque lui-même, on mul­ti­pliera sept par trois, et cela fait vingt et un; on ajou­tera à vingt et un un sep­tième (de sept), soit un, et l’on af­fir­mera que la me­sure du cercle dont le dia­mètre fait sept pouces est de vingt-deux pouces.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Ar­mi­sen-Mar­chetti

«Le cercle n’est di­visé en deux par­ties égales que quand la ligne est tra­cée d’un point de la cir­con­fé­rence au point op­posé en tra­ver­sant le centre; cette ligne se nomme alors “dia­mètre”. Ajou­tons qu’on ob­tient la me­sure de toute cir­con­fé­rence en mul­ti­pliant par trois le “dia­mètre” du cercle, et en ajou­tant à ce pro­duit le sep­tième du même “dia­mètre” : si nous le sup­po­sons de sept pieds, le pro­duit par trois don­nera vingt et un; joi­gnons à ce pro­duit le sep­tième de sept pieds, c’est-à-dire un pied, nous au­rons vingt-deux pieds pour la lon­gueur de la cir­con­fé­rence.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ni­co­las-Au­guste Du­bois et … Laass d’Aguen (XIXe siècle)

«Le cercle n’est di­visé en deux par­ties égales que lorsque la ligne est me­née d’un point de la cir­con­fé­rence au point op­posé en pas­sant par le centre. Dans ce cas, cette ligne se nomme “dia­mètre”. De plus, on ob­tient la me­sure d’une cir­con­fé­rence quel­conque, en mul­ti­pliant par trois le “dia­mètre” du cercle, et en ajou­tant à ce pro­duit le sep­tième de ce même “dia­mètre”. Sup­po­sons-le de sept pieds; le pro­duit par trois sera vingt-un; ajou­tons à ce pro­duit le sep­tième de sept pieds, c’est-à-dire un pied, nous au­rons vingt-deux pieds pour la lon­gueur de la cir­con­fé­rence.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Charles de Ro­soy (XIXe siècle)

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

Voyez la liste com­plète des té­lé­char­ge­ments Icône Voyez la liste complète

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En la­tin Fla­vius Ma­cro­bius Am­bro­sius Theo­do­sius. Icône Haut
  2. «Sa­tur­nales», liv. III, ch. XIV, sect. 2. Icône Haut
  3. «Sa­tur­nales», liv. I, préf., sect. 5. Icône Haut
  4. Mar­tin Schanz. Icône Haut
  5. En la­tin Fla­vius Ma­cro­bius Plo­ti­nus Eu­sta­thius. Icône Haut
  1. «Com­men­taire au “Songe de Sci­pion”», liv. I, ch. I, sect. 1. Icône Haut
  2. «Sa­tur­nales», liv. I, préf., sect. 2. Icône Haut
  3. Dans Sté­pha­nie Le­compte, «La Chaîne d’or des poètes : pré­sence de Ma­crobe». Icône Haut
  4. Ar­chi­mède avait choisi, pour va­leur ap­pro­chée de π, la frac­tion 22/7 = 3 1/7 = 3,14285… à cause de sa sim­pli­cité. Icône Haut