Il s’agit de « La Pagode à cinq étages »1 (« Gojûnotô »2), « Face au crâne »3 (« Taidokuro »4) et autres œuvres de Kôda Shigeyuki5, plus connu sous le surnom de Kôda Rohan6, feuilletoniste japonais (XIXe-XXe siècle). Fortement marqué par le bouddhisme, il fut surtout un indépendant et un solitaire. Durant son séjour en Hokkaidô, ayant abandonné son poste avantageux d’ingénieur-télégraphe, il s’était lié d’amitié avec un moine, et peu après son retour à Tôkyô, s’étant rasé les cheveux, il s’était si souvent plongé dans la lecture de soûtras que ses parents avaient cru un moment qu’il se ferait moine. Voici en quels termes il se décrit7 : « Je ne claironne pas mes goûts artistiques. Je ne suis qu’un simple escargot de cinq pieds qui ne peut tenir en place, et rampe du Nord au Sud et d’Est en Ouest, poussé par le désir de voir autant du monde que permettent les yeux incertains de ses antennes… “Loin des villages, dormons avec la rosée, sur un oreiller d’herbes”. C’est un poème que je composai une nuit où je m’étais arrêté épuisé dans un coin de campagne lors d’un voyage en solitaire dans le Michinoku. Dès lors, je pris le nom de Rohan [“compagnon de la rosée”]8 ». Au temple de Tennô à Tôkyô, connu pour sa pagode à cinq étages, il vit, un jour, une beauté qui visitait une tombe, un chrysanthème à la main. Il pensa à elle une bonne semaine, se la représentant en déesse Kishimojin, une grenade à la main. Sorte de sculpture bouddhique vivante, elle devint le sujet du « Bouddha d’Amour »9 (« Fûryû-butsu »10), son premier feuilleton. Le 19 octobre 1889, Uchida Roan, critique célèbre, salua la venue de cette œuvre qui ne laissait voir que peu de signes extérieurs d’influence occidentale dans une période d’occidentalisation forcenée : « Ah ! pour la première fois après la mort de Saikaku il y a deux cents ans, ce style splendide… le ciel ne l’a pas encore détruit ! »11
« Ah ! pour la première fois après la mort de Saikaku il y a deux cents ans, ce style splendide… le ciel ne l’a pas encore détruit ! »
Pendant seize ans, et jusqu’à son renoncement en 1905, Rohan occupa une place de premier ordre dans les lettres japonaises, grâce à des feuilletons dont lui seul avait le secret, et où, en se moquant de lui-même, il se mettait en scène comme un écrivain médiocre, forcé de se plier aux goûts de son époque pour publier dans la presse hebdomadaire et mensuelle. Dans « Face au crâne », son œuvre la plus réussie, Rohan, en se dédouanant de sa création littéraire, représentait cette création comme les vaines chimères d’un crâne abandonné à la décomposition : « [Au matin], la maison, la femme, avaient disparu dans la brume. Au milieu des herbes, je me retrouvai seul avec mes bottes de neige à moitié lacées. À mes pieds, un crâne blanchi. J’étais amusé d’avoir dormi la veille à la belle étoile avec mon imagination romanesque pour partenaire. Ce crâne, bien que dénué de parole, avait été mon interlocuteur. Et grâce à lui, j’avais trompé ma solitude »12. Après avoir renoncé à sa carrière d’écrivain, Rohan consacra ses jours à des recherches érudites et surtout à un travail monumental sur Bashô.
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- Traduction de Nicolas Mollard (2007) [Source : Archive ouverte UNIGE].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- François Lachaud, « La Mort aux neuf visages : un essai sur les Neuf Aspects et leur tradition littéraire au Japon » dans « Ebisu », no 9, p. 37-80 [Source : Persée]
- François Lachaud, « “Tai dokuro” (“Face au crâne”) de Kôda Rohan : un miroir moderne de l’impermanence » dans « Japon pluriel 2 : actes du deuxième Colloque de la Société française des études japonaises » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 165-174
- Nicolas Mollard, « Construction d’une identité littéraire moderne à travers la relecture d’une esthétique traditionnelle : “fūryū” dans les écrits de Kōda Rohan autour de 1890 » (éd. électronique) [Source : Archive ouverte UNIGE].
- Parfois traduit « La Pagode aux cinq toits » ou « La Pagode à cinq niveaux ».
- En japonais « 五重塔 ».
- Parfois traduit « Tête à tête avec le squelette ».
- En japonais « 対髑髏 ». Également connu sous le titre d’« Engaien » (« 縁外縁 »), c’est-à-dire « Liaison contre destin ».
- En japonais 幸田成行. Parfois transcrit Nariyuki Koda ou Kôda Nariyouki.
- En japonais 幸田露伴.
- « Face au crâne », ch. I.
- Il y a aussi, dans le choix de ce nom de « compagnon de la rosée », une allusion aux « Vies des sages éminents » (« 高士傳 »), inédites en français : « Guang dut dormir avec la rosée et affronter l’hiver… Il s’allongea et ne bougea plus. Les gens le tinrent pour mort. Lorsqu’ils le regardèrent, il était comme avant ».
- Parfois traduit « Le Bouddha sculpté par Amour », « Un Bouddha en ce monde », « Un Bouddha dans ce monde », « Bouddha d’élégance » ou « Bouddha élégant ».
- En japonais « 風流仏 ».
- En japonais « 嗚呼,西鶴歿後二百年初めて此絶好文字あり……天未だ斯文を滅せず ».
- ch. III.