« Supplément aux “Contes d’Uji” »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Contes et Romans du Moyen Âge-Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. et Ro­mans du -Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit du «Sup­plé­ment aux “His­toires d’Uji”» 1Uji shûi mo­no­ga­tari» 2). Ce Grand Conseiller d’Uji, ap­pelé  3 (XIe siècle apr. J.-C.), était un dont la forte cor­pu­lence sup­por­tait les cha­leurs de l’été, et qui se re­ti­rait chaque an­née, du cin­quième au hui­tième mois, à Uji, non loin de Kyôto, sur la route de Nara. Là, dans une te­nue né­gli­gée, se fai­sant éven­ter d’un grand éven­tail, il fai­sait ap­pe­ler à lui les pas­sants, sans se sou­cier de leur rang, et les priait de ra­con­ter des his­toires du passé, ce­pen­dant que lui-même, étendu à l’intérieur, no­tait leurs pa­roles tou­jours avec dans un ca­hier : «Il y avait des ré­cits de l’Inde, des ré­cits de la , et aussi des ré­cits du . Il en était d’édifiants, il en était de plai­sants, il en était de ter­ri­fiants, il en était d’émouvants, il en était de ré­pu­gnants. Quelques-uns étaient sans rime ni , d’autres étaient des plus adroits, bref, il en était de toute sorte et de toute es­pèce», dit le «Sup­plé­ment aux “His­toires d’Uji”» 4. La par­tie des «His­toires qui sont main­te­nant du passé» re­la­tive au Ja­pon oc­cupe à elle seule, avec ses vingt et un tomes sur trente et un, plus des deux tiers du texte, tan­dis que les par­ties consa­crées à l’Inde et à la Chine ne com­prennent cha­cune que cinq tomes. Trois tomes sont aujourd’hui man­quants 5 et deux autres 6 ne nous sont qu’en un état in­com­plet. Tel quel pour­tant, le re­cueil est en­core d’une éton­nante , et les mille cin­quante-neuf his­to­riettes qu’il contient font pen­ser à un en­voû­tant ka­léi­do­scope qui nous pré­sente à chaque se­cousse, comme par un coup de , des fi­gures in­at­ten­dues et mer­veilleuses : «Un dé­filé de ap­par­te­nant à toutes les ca­té­go­ries de la anime un d’une grande ri­chesse hu­maine, où les et les sou­cis des humbles n’ont pas une di­gnité moindre que ceux des grands… La va­riété des ré­cits, ba­dins ou bur­lesques, ins­truc­tifs ou édi­fiants, fan­tas­tiques ou tou­chants, donne la pos­si­bi­lité de s’exprimer à toutes les , des plus nobles aux moins raf­fi­nées» 7. Tous dé­butent par la for­mule «main­te­nant c’est du passé» (pro­non­cée «ima wa mu­ka­shi» à la ja­po­naise, «kon­jaku» à la chi­noise), qui em­brasse l’idée boud­dhique se­lon la­quelle le passé existe au même titre et avec la même que le «main­te­nant».

Fait sur­pre­nant, les «His­toires qui sont main­te­nant du passé» n’entreront au rang des -d’œuvre de l’esprit hu­main qu’au dé­but du XXe siècle, lorsqu’un des grands de la lit­té­ra­ture, qui sera en même un homme d’une et d’une in­sa­tiables, , s’y in­té­res­sera de près et y pui­sera la d’un cer­tain nombre de ses meilleures nou­velles, dont «Ra­shô­mon» et «Dans le fourré». L’année même où il se don­nera la , en 1927, il dira toutes les rai­sons de son en­thou­siasme à l’égard d’un re­cueil qui n’aura été rien moins, à ses yeux, qu’une « hu­maine» de l’époque de Heian : «Chaque fois que je l’ai ou­vert», dira-t-il 8, «j’ai senti mon­ter les qui pleurent, les voix qui rient des gens de ce temps-là; et aussi, j’ai senti que leurs mé­pris et leurs haines — par exemple le mé­pris des nobles de Cour à l’égard des — se mê­laient à ces voix». De par le rôle de ferment in­tel­lec­tuel et très puis­sant que jouera Aku­ta­gawa en de nom­breux do­maines de la ja­po­naise, sa vi­sion de ce re­cueil sus­ci­tera en­vers ce­lui-ci un mou­ve­ment d’intérêt tou­jours plus ample et une ad­mi­ra­tion qui ne se dé­men­tira plus.

«ba­dins ou bur­lesques, ins­truc­tifs ou édi­fiants, fan­tas­tiques ou tou­chants»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du du «Sup­plé­ment aux “His­toires d’Uji”» : «[C’est main­te­nant du passé.] Le Rec­teur Mo­na­cal Jô­kan de­meu­rait au Senju-in… L’endroit était é face au Sud, et avait vue sur la Haute Cime 9. Sur la face Nord-Ouest de la Haute Cime, il y avait un énorme ro­cher. Ce ro­cher res­sem­blait à la gueule ou­verte d’un dra­gon. Des moines qui ha­bi­taient en face de ce ro­cher, la vie était pré­caire et beau­coup mou­raient. Pen­dant un cer­tain temps, on n’avait pas com­pris pour­quoi ils mou­raient, quand en­fin on en vint à soup­çon­ner que c’était à cause de ce ro­cher. On lui donna donc le nom de Ro­cher du Dra­gon Ve­ni­meux… Ce qu’en di­saient les gens, c’était bien la , se dit le Rec­teur Mo­na­cal; et face au ro­cher, sept jours et sept nuits du­rant, il pro­céda aux conju­ra­tions, si bien qu’au sep­tième jour, en­vi­ron la mi­nuit, le se cou­vrit de nuages, et la fut ébran­lée d’une se­cousse vio­lente… Au point du jour, en re­gar­dant la Haute Cime, l’on vit que le Ro­cher du Dra­gon Ve­ni­meux, brisé et éclaté, avait dis­paru» 10.

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Jean Guilla­maud, « de la lit­té­ra­ture ja­po­naise» (éd. El­lipses, coll. Lit­té­ra­tures, coll. Pa­ris)
  • , «Kon­jaku mo­no­ga­tari shū» dans «En­cy­clopæ­dia uni­ver­sa­lis» (éd. élec­tro­nique).
  1. Par­fois tra­duit «Contes fai­sant suite au “Re­cueil d’Ouji”» ou «Sup­plé­ment aux “Contes d’Uji”». Icône Haut
  2. En «宇治拾遺物語». Par­fois trans­crit «Ouji shouï mo­no­ga­tari» Icône Haut
  3. En ja­po­nais 源隆国. Au­tre­fois trans­crit Mi­na­moto no Ta­ka­kouni. Icône Haut
  4. p. 7. Icône Haut
  5. VIII, XVIII et XXXI. Icône Haut
  1. XXII et XXIII. Icône Haut
  2. Jean Guilla­maud, «His­toire de la lit­té­ra­ture ja­po­naise». Icône Haut
  3. Dans , «Pré­face aux “His­toires qui sont main­te­nant du passé”», p. 44. Icône Haut
  4. La Haute Cime est le point culmi­nant (848 m) du mont Hiei, site du mo­nas­tère En­ryaku-ji (延暦寺). Icône Haut
  5. p. 37-38. Icône Haut