« Les Poèmes de Cao Cao (155-220) »

éd. Collège de France-Institut des hautes études chinoises, coll. Bibliothèque de l’Institut des hautes études chinoises, Paris

éd. Col­lège de France-Ins­ti­tut des hautes études chi­noises, coll. Bi­blio­thèque de l’Institut des hautes études chi­noises, Pa­ris

Il s’agit des poèmes de Ts’ao Ts’ao1, gé­né­ral et po­li­ti­cien chi­nois, dé­fait dans la ba­taille de la fa­laise Rouge en 208 apr. J.-C. Cet homme ivre d’action qui, simple chef de bande à ses dé­buts, sut se tailler, dans la Chine dis­lo­quée et trou­blée de la fin des Han, la part du lion, et mo­men­ta­né­ment du moins, à uni­fier le pays sous son au­to­rité — cet homme ivre d’action, dis-je, trouva parmi ses sou­cis d’État et de guerre as­sez de loi­sirs pour se li­vrer à la poé­sie. Aussi, les bio­graphes le dé­crivent-ils as­sis à dos de che­val, « la longue lance en tra­vers de sa selle », bu­vant du vin et « com­po­sant des vers in­ébran­lables »2 pleins d’énergie mâle et de force hé­roïque :

« Du vieux cour­sier, cou­ché dans l’écurie,
L’idéal se si­tue à mille “li”
[c’est-à-dire sur un champ de ba­taille loin­tain].
Quand le hé­ros touche au soir de la vie,
Son cœur vaillant n’a pas fini de battre
 »3.

Sa ré­pu­ta­tion ac­quise, Ts’ao Ts’ao em­ploya tous les res­sorts de son gé­nie pour ob­te­nir d’être nommé pre­mier mi­nistre. Il réus­sit ; et élevé dans ce poste, il ne tra­vailla dé­sor­mais qu’à se faire des pro­té­gés, en em­bau­chant ceux qui lui pa­rais­saient dé­voués à ses in­té­rêts, et en des­ti­tuant qui­conque n’adhérait pas aveu­glé­ment à toutes ses vo­lon­tés. Son am­bi­tion fi­nit par éteindre en lui ses belles qua­li­tés. « Il avait dé­li­vré son [Em­pe­reur] d’un ty­ran qui le per­sé­cu­tait ; mais ce fut pour le faire gé­mir sous une autre ty­ran­nie, moins cruelle sans doute, mais qui n’en était pas moins réelle », dit très bien le père Jo­seph Amiot4. « Il de­vint fourbe, vin­di­ca­tif, cruel, per­fide, et ne garda pas même l’extérieur de ce qu’on ap­pe­lait ses an­ciennes ver­tus. » Ts’ao Ts’ao mou­rut en 220 apr. J.-C., en em­por­tant avec lui la haine d’une na­tion, dont il au­rait pu être l’idole s’il s’était contenté d’être le pre­mier des su­jets de son sou­ve­rain lé­gi­time. Peu de temps au­pa­ra­vant, il avait as­so­cié son fils au pre­mier mi­nis­tère et l’avait nommé son suc­ces­seur dans la prin­ci­pauté de Ouei ; ce­lui-ci donna à Ts’ao Ts’ao, son père, le titre post­hume de « Ouei-Ou-Ti »5 (« Em­pe­reur Ou des Ouei »).

Il n’existe pas moins de cinq tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Jean-Pierre Diény.

「對酒當歌,
人生幾何?
譬如朝露,
去日苦多.
慨當以慷,
憂思難忘.
何以解憂?
唯有杜康.」

— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Le vin servi, on s’apprête à chan­ter,
(Car) de quelle du­rée la vie d’un homme ?
Je la com­pare à la ro­sée de l’aube,
Des jours en­fuis, hé­las ! le nombre est grand.
À la ran­cœur ré­pond la gran­deur d’âme,
(Mais) les sou­cis s’oublient mal­ai­sé­ment.
Par quel moyen dis­si­per la tris­tesse ?
Il n’en est qu’un : (l’invention de) Du Kang6. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Diény

« De­vant le vin, on doit chan­ter.
Com­bien de temps dure la vie hu­maine ?
Elle res­semble à la ro­sée ma­ti­nale ;
Les jours pas­sés sont trop nom­breux !
Bien que mon éner­gie dé­fie la mé­lan­co­lie,
Je ne puis chas­ser cette der­nière.
Com­ment pour­rais-je ban­nir la tris­tesse vague ?
Seul, Tou K’ang en est ca­pable. »
— Poème dans la tra­duc­tion de Sung-nien Hsu (dans « An­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture chi­noise : des ori­gines à nos jours », éd. élec­tro­nique)

« Quand on boit, il faut chan­ter…
Qu’est-ce que la vie de l’homme ?…
Elle dure au­tant que la ro­sée du ma­tin,
Et est rem­plie de mi­sères.
Il faut donc se conso­ler,
Il faut chas­ser la tris­tesse.
Par quel moyen ?
Par la force d’âme. »
— Poème dans la tra­duc­tion du père Léon Wie­ger (dans « La Chine à tra­vers les âges : pré­cis », p. 128)

« Bu­vons et chan­tons !
La vie est si brève :
Comme ro­sée le ma­tin.
Que de jours, hé­las ! ont fui !
Res­tons fiers dans notre tris­tesse ;
Les sou­cis se­crets mal s’oublient.
Pour dis­si­per notre cha­grin,
Le seul moyen est le Tou-k’ang. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Ro­bert Ruhl­mann (dans « An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise clas­sique », éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

« Face au vin, il convient de chan­ter.
Une vie hu­maine, com­bien dure-t-elle ?
Le temps d’une ro­sée du ma­tin !
Du passé, les souf­frances furent nom­breuses.
Il faut ex­pri­mer ce qui nous exalte,
Les pen­sées ca­chées sont dures à ou­blier.
Com­ment dis­si­per les sou­cis ?
Seul y par­vient le vin de Du Kang. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Jacques Pim­pa­neau (dans « An­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture chi­noise clas­sique », éd. Ph. Pic­quier, Arles)

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En chi­nois 曹操. Par­fois trans­crit Cao Cao. Haut
  2. En chi­nois 橫槊賦詩. Haut
  3. p. 152. Haut
  1. « Ouei-ou-ti, mi­nistre », p. 105. Haut
  2. En chi­nois 魏武帝. Par­fois trans­crit « Wei-Wu-Di ». Haut
  3. Une tra­di­tion chi­noise at­tri­bue à Du Kang (杜康) la gloire d’avoir, le pre­mier, su fa­bri­quer du vin. Il mou­rut, dit-on, le jour « you » (), et par res­pect pour sa mé­moire, on s’abstenait ce jour-là de faire du vin. Haut