Han Shan, « Merveilleux le chemin de Han shan : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de Han Shan 1, er­mite et poète (VIIe siècle apr. J.-C.). Il avait quitté sa pour se re­ti­rer sur une fa­laise, dans un en­droit nommé Mon­tagne froide (Han shan), au­quel il doit son sur­nom. Le lieu où il vi­vait était libre de la pous­sière et du bruit. Il s’asseyait parmi les nuages blancs. Un vent sub­til souf­flait à tra­vers les pins so­li­taires, dont le son lui était agréable. De­puis dix ans, il n’était pas re­tourné en ville; il en avait ou­blié la route qu’il avait ja­dis em­prun­tée pour ve­nir. Non loin de là, au mo­nas­tère du Pays clair (Guo qing 2), vi­vait son ami et condis­ciple, Shi De 3, qui tra­vaillait dans la cui­sine et met­tait les restes de côté pour lui dans un tube de bam­bou. Han Shan dé­am­bu­lait sous la vé­randa du mo­nas­tère, criant de , par­lant seul, riant seul. On le pre­nait pour un fou. Par­fois, les moines lui cou­raient après pour l’injurier, pour le chas­ser. Dans les , près des huttes, il ba­di­nait avec les qui gar­daient les vaches. Pour­tant, ses pa­roles sem­blaient co­hé­rentes, et si on y ré­flé­chis­sait bien, on y de­vi­nait des idées pro­fondes. En fait, tout ce qu’il di­sait était pro­fond. Dans ses poé­sies aussi, il abor­dait les su­jets les plus graves en en don­nant une in­gé­nue et simple, et en conser­vant une par­faite bon­ho­mie, ce qui fait qu’on suit ses vers et qu’on se les as­si­mile ra­pi­de­ment, sans même se rendre compte de leur por­tée :

«Les gens de­mandent le che­min de Han shan
Nulle route ne mène à Han shan
L’été, la glace ne fond pas
À peine levé, le se noie dans le brouillard
Com­ment y par­ve­nir, comme ,
Si votre cœur n’est pas pa­reil au mien?
Si votre cœur, par contre, est pa­reil au mien
Vous êtes alors en plein mi­lieu
» 4.

C’est sur les bam­bous, les , les ro­chers et les murs de sa re­traite que Han Shan ins­cri­vait ses poé­sies. Elles furent re­grou­pées, au nombre de trois cents, dans le «Re­cueil des poèmes du maître de la Mon­tagne froide» («Han shan zi shi ji» 5). «La oc­cupe une place im­por­tante, mais beau­coup de poé­sies sont aussi consa­crées à la de la ; en gé­né­ral, les concep­tions abs­traites [y] prennent plu­tôt la forme d’apologues, et l’auteur tire une grande force de per­sua­sion des ta­bleaux de la na­ture calme et pai­sible dans les qui lui servent de re­fuge… En­fin, en de­hors de ses idées re­li­gieuses, Han Shan se ré­vèle non seule­ment contem­pla­teur, mais en­core ob­ser­va­teur; et bien que le plus sou­vent chaque ren­ferme une le­çon, il n’est ja­mais un rai­son­neur… [Tout cela] sou­tient cette fraî­cheur et spon­ta­néité dans l’œuvre de Han Shan et des autres moines- de l’époque», dit M. Georges Mar­gou­liès 6.

Il n’existe pas moins de six tra­duc­tions fran­çaises des poé­sies, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme  et M. .

「驅馬度荒城
荒城動客情
高低舊雉堞
大小古墳塋
自振孤蓬影
長凝拱木聲
所嗟皆俗骨
仙史更無名」

  dans la ori­gi­nale

«À , je tra­verse une ville en ruine
La ville en ruine bou­le­verse le voya­geur
Hautes et basses, les an­ciennes mu­railles
Grands et pe­tits, les tom­beaux an­tiques
Seule tremble l’ombre des herbes so­li­taires
Pour tou­jours est figé le bruit des grands arbres
De­vant tous ces os­se­ments d’inconnus, je sou­pire
Dans les his­toires d’immortels ne fi­gurent pas leurs »
— Poé­sie dans la tra­duc­tion de Mme Cheng et M. Col­let

«À che­val, je tra­ver­sais la ville dé­serte
La ville dé­serte émeut la sen­si­bi­lité du voya­geur
Hautes, basses, les vieilles mu­railles
Grandes, pe­tites, les an­ciennes
D’elles-mêmes tremblent les ombres des ver­ge­rettes so­li­taires
De­puis long­temps s’est gelé le mur­mure des arbres du ci­me­tière
Sou­pi­rant sur tous les os­se­ments or­di­naires
His­toires d’immortels en­core in­con­nues»
— Poé­sie dans la tra­duc­tion de M. Da­niel Gi­raud («Le Fils de la Mon­tagne froide», éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris)

«À che­val le long de la cité en ruines,
La cité en ruines qui me touche le cœur,
Hautes, basses, de vieilles mu­railles
Grandes, pe­tites, d’anciennes tombes
L’ombre iso­lée d’une herbe sau­vage tremble,
Les grands arbres du ci­me­tière gé­missent.
Quel dom­mage que parmi tous ces os du com­mun
Pas un nom ne sur la liste des im­mor­tels!»
— Poé­sie dans la tra­duc­tion de Mme Geor­gette Jae­ger («Han Shan, er­mite ïste, boud­dhiste,  : poèmes», éd. Thanh-Long, Bruxelles)

«Il pousse son che­val par la ville rui­née,
Par la ville rui­née qui tant le bou­le­verse :
Quel ébou­lis de vieux mer­lons
Et de tom­beaux de toutes tailles!
Dans l’ombre folle des brous­sailles
Grincent les arbres sé­pul­craux…
Il gé­mit pour les os vul­gaires
Ja­mais en­re­gis­trés parmi les im­mor­tels.»
— Poé­sie dans la tra­duc­tion de M. Le Man­geur de brumes : l’œuvre de Han Shan, poète et va­ga­bond», éd. Phé­bus, coll. Do­maine chi­nois, Pa­ris)

«Par la cité dé­serte, au ga­lop, passe
Le voya­geur; s’ébranlent ses .
C’est une an­tique en­ceinte, haute et basse;
De vieux tom­beaux, des grands et des pe­tits.
L’ombre fré­mit des touffes so­li­taires;
Gèle à ja­mais la des larges troncs.
Que j’ai pi­tié de ces os or­di­naires!
Les dits des n’ont pas gardé leurs noms!»
— Poé­sie dans la tra­duc­tion de M. Paul Ja­cob (dans «Poètes des Tang», éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris)

«On tra­verse au ga­lop la ci­ta­delle aban­don­née
La cité aban­don­née émeut l’étranger
Hauts et bas, den­te­lés, les an­ciens cré­neaux
Grands et pe­tits, les an­tiques sé­pulcres
Toute seule re­mue l’ombre du “co­nyza”
Long­temps s’est figé le mur­mure des arbres du ci­me­tière
Je sou­pire sur tous ces os­se­ments de gens du com­mun
Les im­mor­tels, leur aussi reste »
— Poé­sie dans la tra­duc­tion de M. Mau­rice Coyaud (dans « bi­lingue de la clas­sique», éd. Les Belles Lettres, coll. du verbe, Pa­ris)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Georges Mar­gou­liès, «His­toire de la . Poé­sie» (éd. Payot, coll. Bi­blio­thèque his­to­rique, Pa­ris)
  • Érik Sa­blé, «Dic­tion­naire du zen» (éd. Dervy, coll. Che­mins de , Pa­ris).
  1. En chi­nois 寒山. Au­tre­fois trans­crit Han-chan ou Han Schan. Icône Haut
  2. En chi­nois 國清. Au­tre­fois trans­crit Kuo ch’ing. Icône Haut
  3. En chi­nois 拾得. Au­tre­fois trans­crit Shih Té. On ra­conte que Shi De était un en­fant aban­donné, car son sur­nom si­gni­fie «le ra­massé». Icône Haut
  1. p. 73. Icône Haut
  2. En chi­nois «寒山子詩集». Icône Haut
  3. «His­toire de la lit­té­ra­ture chi­noise. Poé­sie», p. 252. Icône Haut