Il s’agit du « Commentaire sur “L’Enseignement de Vimalakîrti” » (« Zhu “Weimojie Jing” » 1) par Kumârajîva 2 et par ses disciples, Sengzhao 3 et Daosheng 4. L’arrivée de Kumârajîva à Ch’ang-an 5 en 402 apr. J.-C. inaugure la période indianiste du bouddhisme chinois. À partir de cette date, les Chinois ne se contentent plus d’avoir une idée approximative de la pensée venue d’ailleurs, mais ils se lancent dans de grands travaux d’exégèse et de traduction directement du sanscrit, pour lesquels ils font appel à des moines venus de l’Inde ou de la Sérinde 6. Né à Kucha, l’une des principales étapes de la Route de la soie, Kumârajîva reçoit une formation qui lui permettra de jouer un rôle déterminant dans cette indianisation. Dès son arrivée au grand temple de Chang’an, où il est invité par le souverain Yao Xing, Kumârajîva s’attelle à une série impressionnante de traductions, qui rejetteront dans l’ombre tous les travaux précédents et qui seront pour beaucoup dans l’acclimatation durable du bouddhisme en Asie. « En prenant en considération les révisions d’ouvrages déjà traduits et ses traductions inédites, Kumârajîva aurait “transmis” plus de cinquante œuvres, comptant plus de trois cents volumes… Si nous… considérons que Kumârajîva est décédé en 409, on arrive à la conclusion que, durant ses [huit] années de résidence à Ch’ang-an, il devait traduire environ un chapitre tous les dix jours », dit M. Daisaku Ikeda 7. Selon les préfaces faites par ses disciples, Kumârajîva traduisait à voix haute, tout en commentant, en présence d’une assemblée de mille deux cents moines et laïcs, comprenant tout ce que le bouddhisme comptait alors de plus cultivé en Chine, les raisons pour lesquelles il avait traduit d’une manière plutôt que d’une autre ; il exposait, en outre, les sens profonds cachés dans le texte sanscrit. On prétend que le souverain Yao Xing assistait à certaines des séances : « Le souverain en personne tenait en main le texte des anciennes traductions des soûtras, y relevant les erreurs, s’enquérant de la signification générale du passage, et contribuant ainsi à éclairer les doctrines de la secte » 8. On prétend aussi que les membres présents, qui recevaient la traduction et le commentaire, étaient transportés de bonheur, éprouvant le sentiment de se trouver sur les sommets des montagnes Kunlun par une belle journée claire, regardant le monde s’étendant sous leurs pieds.
Patrick Carré
traducteur ou traductrice
Wang Wei, « Les Saisons bleues »
Il s’agit de Wang Wei 1, artiste chinois (VIIIe siècle apr. J.-C.), aussi illustre en poésie qu’en peinture et en musique. La mort de son père le livra de bonne heure et tout entier à l’influence maternelle, qui imprima sur son génie une véritable empreinte bouddhique : c’est en elle qu’il faut voir la source de cet amour de la nature, de ce goût de la méditation, de ce détachement du monde, de cette « pureté détachée » (« qing yi » 2) qui pénètrent le caractère de Wang Wei et forment l’essence même de ses œuvres. On peut supposer que c’est aussi sa mère qui le guida dans le choix de son surnom : Mo Jie 3. En effet, ces deux idéogrammes, joints à celui de son prénom Wei, forment le nom chinois du saint Vimalakîrti. Toute sa vie durant, Wang Wei observa un jeûne rigoureux et s’abstint de viandes. Dans sa chambre dépouillée, hormis un service à thé, un luth et un lit de cordes, on ne voyait qu’une table basse sur laquelle étaient rangées les écritures bouddhiques. On n’a pas raison de douter qu’il avait une bonne connaissance de ces écritures ; mais une froide impression d’immobilisme émane de ses poèmes qui, étant parfaits et sans défaut, cherchant et atteignant leurs effets, sont par là moins humains, moins vivants. Une autre explication de cet immobilisme, c’est l’influence de la peinture et de la musique. Su Dongpo disait de Wang Wei que « ses poèmes étaient des tableaux, et ses tableaux — des poèmes ». Un autre critique qualifiait sa poésie de « peinture sonore » (« you sheng hua » 4). On rapporte, comme preuve de son savoir dans ces deux différents arts, l’anecdote suivante : « [Se trouvant] un jour chez une personne qui possédait un tableau représentant des musiciens en train de jouer d’un instrument, Wang Wei regarda le tableau et dit : “C’est la première mesure du troisième refrain de la danse des robes arc-en-ciel”. Les curieux firent venir des musiciens pour jouer cette pièce. Leur pose instrumentale confirma l’affirmation de Wang Wei »