Il s’agit de M. Nguyễn Trọng Trí, plus connu sous le surnom de Hàn Mặc Tử (« l’Homme du Pinceau et de l’Encre »1), poète vietnamien. Né à Lệ Mỹ, quartier catholique de la ville de Đồng Hới, il reçut à sa confirmation le nom de François Trí. D’après son frère, il fut un garçon vigoureux, espiègle et turbulent, passionné d’exercices physiques, jusqu’au jour où, se baignant comme il avait coutume de le faire, il fut emporté au large et faillit se noyer. Dès lors, il devint craintif et taciturne, et s’enferma dans la bibliothèque de la ville, au point que ses amis le surnommèrent « l’opiomane des livres ». Bientôt le journalisme littéraire le tenta, et quittant la maison familiale, il partit à Saïgon. Mais à la fin de l’année 1936, il constata avec stupeur l’apparition des premiers symptômes de la lèpre. Au malheur de l’implacable réalité d’une maladie réputée incurable s’ajouta pour M. Hàn Mặc Tử la cruelle nécessité de renoncer au mariage qu’il projetait. Faisant appel à la médecine traditionnelle, fuyant les contrôles sanitaires, ne donnant plus signe de vie à ses parents et amis, le malade s’isola successivement dans différents gîtes de misère. C’était un grand effort pour lui d’écrire de ses mains rétractées ; il frissonnait de froid ; il délirait. Avant sa mort, il rédigea de nombreux poèmes, qui peuvent être divisés en deux périodes distinctes : durant la première, le poète chanta l’amour — un amour trop souvent charnel, qui sentait le désir frustré et l’appétit inassouvi ; durant la seconde, tout opposée à l’autre, il chanta avec ferveur la beauté de la religion chrétienne. « Tous les poètes en ce monde doivent se concentrer en Dieu et y puiser leur inspiration », dit-il quelque part2. « Le poète n’est pas un homme ordinaire. Investi d’une mission divine, il doit utiliser ses talents pour glorifier l’Être Suprême et révéler aux hommes la beauté de la poésie afin qu’ils puissent s’en rendre compte et en jouir. Les poètes qui ne savent pas mettre leur talent au service du Bien et du Beau en seront privés en vertu d’une sanction divine, au su et au vu de tout le monde. » Le mourant fut finalement emmené à la léproserie de Qui Hòa, et malgré les soins les plus attentifs qui lui furent prodigués par les sœurs de Saint-François d’Assise, il rendit l’âme le 11 novembre 1940. Un poème en français, tracé à grand-peine, trouvé dans ses vêtements, remerciait le dévouement inlassable de ces religieuses : « Anges du ciel, anges de Dieu, anges de Paix et de Gaieté… versez avec effusion les vertus, le courage et le bonheur parmi les servantes de Dieu. — François Trí ».
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises des poèmes, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. Đông Phong3.
« Xuân trẻ, xuân non, xuân lịch sự,
Tôi đều nhận thấy trên môi em,
Làn môi mong mỏng tươi như máu,
Đã khiến môi tôi mấp máy thèm.
Từ lúc tóc em bỏ trái đào
Tới chừng cặp má đỏ au au,
Tôi đều nhận thấy trong con mắt
Một vẻ thơ ngây và ước ao. »
— Poème dans la langue originale
« Printemps jeune, printemps fragile, printemps élégant,
Tous ces printemps, je les ai vus sur tes lèvres rougies,
Ces lèvres minces et fraîches comme le sang,
Qui ont fait trembler mes propres lèvres d’envie.
Depuis que la coupe en pêches4 a quitté tes cheveux
Jusqu’au temps présent où tes joues ont bien rosi,
J’ai toujours aperçu dans tes yeux
Une lueur d’innocence mais pleine de désirs. »
— Poème dans la traduction de M. Đông Phong
« Le printemps jeune, tendre, sage,
Je le reconnais sur tes lèvres,
Tes lèvres fines, éclatantes de vie
Qui font frémir les miennes de désir
Depuis le temps où tu laissais les mèches de tes cheveux
Frôler tes joues vermeilles
J’ai toujours vu dans tes yeux
L’innocence et l’espoir »
— Poème dans la traduction de Mmes Hélène Péras et Vu Thi Bich (Hàn Mặc Tử, « Le Hameau des roseaux : soixante poèmes », éd. Arfuyen, coll. Neige, Paris)
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Maurice Durand, « Introduction à la littérature vietnamienne » (éd. G.-P. Maisonneuve et Larose, coll. UNESCO-Introduction aux littératures orientales, Paris).