Il s’agit des poèmes de Sandor Petœfi 1, le plus important des poètes hongrois, le chantre au tempérament militaire et à l’âme héroïque et passionnée, qui a exhalé, dans son œuvre comme dans sa vie, un amour effréné de la liberté (XIXe siècle). « Ce n’est pas seulement à une prédication », dit un critique 2, « que Petœfi a consacré son talent ; sa vie entière est la mise en œuvre de ce programme… Chacune de ses paroles est une action. Il ne dit pas : “Souffrez ! Espérez !”, mais il souffre et il espère. » Le jour, Petœfi appelle la lutte et engage la bataille ; la nuit, il écrit au bivouac, en face de l’ennemi, au bruit des avant-postes, aux hennissements des chevaux. Il est fougueux, brûlant, excessif même. Avec lui, on assiste à la saisissante vision de mêlées furieuses où le sang jaillit à flots au milieu « du bruit des épées, des clameurs des clairons et des foudres du bronze ». Tyrtée des temps modernes, il trouve, parmi les bouleversements, le secret des harangues qui entraînent à la victoire, font courir joyeusement vers la mort et décident les dévouements héroïques. Il prie Dieu ardemment de ne pas mourir dans un lit, calé entre des oreillers, mais sur le champ d’honneur, comme soldat anonyme de « la liberté du monde ». Il a tout pour lui : le génie, le moment historique, le destin hors série ; et quand à vingt-six ans seulement, il tombe dans cette sainte guerre, le peuple qui chante ses chansons, le peuple dont il est né et pour lequel il est mort, ne veut pas croire que la terre ait osé reprendre sa dépouille mortelle ; et si d’aventure, au milieu du silence, quelque berger entonne dans la lande : « Debout, Hongrois, contre la horde qui convoite nos biens, notre vie !… Mille ans nous observent, nous jugent, d’Attila jusqu’à Rákóczi ! », aussitôt le brave peuple de Hongrie s’écrie sous le chaume : « Vous voyez bien que Petœfi n’est pas mort ! Ne reconnaissez-vous pas sa voix ? »
Il n’existe pas moins de huit traductions françaises des poèmes, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Charles-Louis Chassin.
« Ha majd minden rabszolga-nép
Jármát megunva síkra lép
Pirosló arccal és piros zászlókkal
És a zászlókon eme szent jelszóval :
“Világszabadság !”
S ezt elharsogják,
Elharsogják kelettől nyúgatig,
S a zsarnokság velök megütközik :
Ott essem el én,
A harc mezején,
Ott folyjon az ifjui vér ki szivembül,
S ha ajkam örömteli végszava zendül,
Hadd nyelje el azt az acéli zörej,
A trombita hangja, az ágyudörej,
S holttestemen át
Fújó paripák
Száguldjanak a kivivott diadalra,
S ott hagyjanak engemet összetiporva.
Ott szedjék össze elszórt csontomat,
Ha jön majd a nagy temetési nap,
Hol ünnepélyes, lassu gyász-zenével
És fátyolos zászlók kiséretével
A hősöket egy közös sírnak adják,
Kik érted haltak, szent világszabadság ! »
— Poème dans la langue originale
« Lorsque les nations de leurs chaînes lassées
Sur le champ du combat se seront rassemblées,
Les visages en feu, drapeaux rouges au vent ;
Lorsque sur leurs drapeaux on verra resplendir
Ces mots, ces mots sacrés : “La liberté du monde !”
Lorsque de l’Est à l’Ouest la Révolution
À l’attaque des rois répondra frémissante…
Ah ! puissé-je tomber sur le champ de bataille !
Puissé-je voir mon sang couler dans la mêlée !
Oui, que le dernier chant échappé de mes lèvres
Disparaisse perdu dans le bruit des épées,
Les clameurs des clairons et les foudres du bronze !
Oui, que les fiers chevaux par-dessus mon cadavre
Courent en hennissant jusques à la victoire !
Et que moi, le soldat, je reste sous leurs pieds !…
Plus tard vous reviendrez chercher mes os épars ;
Et le jour arrivé des grandes funérailles,
Lorsque résonnera la musique funèbre,
Quand les drapeaux en deuil seront couverts du crêpe,
Vous porterez mes os dans le tombeau commun,
Parmi ceux des héros du monde émancipé !… »
— Poème dans la traduction de Chassin
« Si jamais tous les peuples asservis, désormais fatigués du joug, s’avancent dans la lice, le visage enflammé de colère et portant de rouges étendards avec cette sainte devise : “Liberté pour tous” ; s’ils crient ces mots, s’ils les font retentir du levant au couchant, et que les tyrans s’entrechoquent avec eux : c’est là que je veux tomber, sur le champ de bataille, là que le sang s’écoule de mon jeune cœur ! Et quand mes dernières paroles, des paroles d’allégresse, s’échapperont de mes lèvres, qu’elles soient couvertes par le cliquetis de l’acier, par le son de la trompette, le grondement du canon, et que sautant par-dessus mon cadavre, les chevaux se précipitent où les appelleront des fanfares de victoire, et me laissent fracassé sur la plaine ! Que mes ossements dispersés ne soient recueillis qu’au jour — s’il vient — au grand jour des funérailles où, aux accords lents et solennels d’une musique de deuil, sous les plis des étendards entourés de crêpes de deuil, on réunira dans une sépulture commune les braves qui seront morts, pour toi, ô sainte liberté du monde ! »
— Poème dans la traduction d’Auguste Dozon (« Le Chevalier Jean : conte magyar ; suivi de quelques pièces lyriques », XIXe siècle)
« Les peuples las de se voir asservir,
Se lèveront un jour, sans prévenir,
La face en feu, sous de rouges bannières
Où brillera cette devise fière :
“Liberté pour tous ! Sur toute la terre !”
Lorsqu’ils répandront ces mots claironnants
Partout, de l’Orient à l’Occident,
Pour le grand assaut contre les tyrans,
Alors je veux mourir au premier rang,
Et que mon cœur, au champ d’honneur, déverse
À rouges flots le sang de ma jeunesse…
L’adieu joyeux qui emplira ma bouche,
Qu’il soit couvert par un fracas d’acier,
Par la trompette et le canon farouche !
Que les coursiers hennissant de triomphe
Foulent aux pieds mon cadavre et le rompent
Et qu’ils le laissent là, déchiqueté !
Enfin, mes os épars, qu’on les recueille
Lorsque viendra le jour des funérailles,
Quand aux accents des fanfares de deuil,
Sous les drapeaux de crêpe cravatés
On conduira vers leur commune tombe
Les héros morts pour toi, ô liberté du monde ! »
— Poème dans la traduction de M. Jean Rousselot (« L’Irréconciliable : Petőfi, poète et révolutionnaire ; études et choix de poèmes », éd. Corvina, Budapest)
« Quand toutes les races esclaves,
Lassées du joug trop lourd, s’en iront par les champs,
Le visage empourpré, serrant des drapeaux rouges
Sur lesquels on lira cette devise sainte :
“Liberté pour tout l’univers !”
Et cela, ils le sonneront…
De l’Est à l’Ouest ils sonneront
Ils heurteront la tyrannie.
C’est alors que je veux mourir,
Mourir sur le champ de bataille,
C’est là que de mon cœur coulera un sang jeune.
Si mes lèvres mourantes chantent l’hymne joyeux,
Que mon chant soit couvert par le bruit des aciers,
Par le son des clairons, le fracas des canons,
Et que, franchissant mon cadavre,
Des étalons tout essoufflés
Volent au galop vers la victoire,
Et qu’on me laisse là, écrasé sous leurs pieds !
Là, on ramassera mes os dispersés,
Quand viendra le beau jour des grandes funérailles,
Quand au son des fanfares funèbres et solennelles
Et sous les étendards voilés de crêpe noir,
On mettra les héros dans un même tombeau —
Héros tombés pour toi, ô sainte Liberté ! »
— Poème dans la traduction de Melchior de Polignac (dans « Poésies magyares », XIXe siècle, p. 3-20)
« Un jour si, lassés de leurs chaînes, les peuples se rassemblent sur le champ de bataille, les joues ardentes, les drapeaux empourprés ; quand sur les étendards ce nom resplendira, ce nom sacré : “Liberté du monde !” Quand vers l’Est et vers l’Ouest le fracas retentira, et que la tyrannie aura commencé le branle, oh ! puissé-je tomber dans le tumulte farouche, sur le champ de bataille ! Là, que mon sang puisse couler ! Que la dernière parole exhalée d’un courage assouvi se mêle alors au son belliqueux des clairons, au cliquetis des épées, au grondement du canon ! Que les chevaux haletants, foulant mon cadavre, s’élancent à la victoire, tandis que moi, votre frère de bataille, je resterai gisant dans la poussière. Réunissez un jour mes os brisés aux ossements des héros, lorsqu’avec des roulements funèbres, les drapeaux voilés de noir et dans une marche silencieuse, vous les porterez tous à la tombe sacrée qu’ils ont bien gagnée en mourant pour toi, ô liberté des peuples ! »
— Poème dans la traduction d’Hippolyte Desbordes-Valmore et Charles-Eugène Ujfalvy de Mezőkövesd (« Poésies magyares : Pétœfi Sandor », XIXe siècle)
« Si ce peuple, fatigué du joug, s’élance un jour au combat, c’est avec lui que je veux mourir. Fais que le sang de mon cœur coule sur le champ de bataille, que mon corps soit foulé aux pieds des chevaux, et que je reste là jusqu’à l’heure où triomphera la justice ! Alors seulement puisse-t-on rassembler mes os, afin que j’aie ma place en ce jour solennel où le cortège de la patrie en deuil, au milieu des mélodies funéraires, au milieu des étendards repliés et couverts d’un crêpe noir, ira déposer dans une même tombe tous les héros morts pour la liberté ! »
— Poème dans la traduction indirecte de Saint-René Taillandier (dans « La Poésie hongroise au XIXe siècle »)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
« Lorsque tous les peuples esclaves
Se battront contre leur joug, braves,
Avec le rouge au front et de rouges drapeaux
Et cette parole sacrée sur les drapeaux :
“Liberté du monde !”
Partout à la ronde
Ils hurlent ces mots — où que le vent aille —
Et la tyrannie leur livre bataille :
Puissé-je tomber là
Sur le lieu du combat,
Qu’en ce lieu mon jeune sang coule de mon cœur !
Quand retentira mon dernier mot de bonheur
Qu’il soit noyé dans le vacarme de l’acier,
Le son des trompettes, l’enfer des canonniers !
Crevant mon cadavre,
Des chevaux se cabrent
Et s’élancent vers le triomphe assuré :
Puissent-ils m’abandonner là, piétiné !
Qu’on ramasse alors mes os laissés en pâture,
Et lorsque viendra le grand jour de sépulture,
Avec une musique funèbre et pâle
Et accompagnés de drapeaux et de voiles,
On rendra les héros à l’unique tombe,
Ceux morts pour toi, liberté sacrée du monde ! »
— Poème dans la traduction de Mme Judit Rácz (dans Marc Delouze, « Poésie hongroise : anthologie », éd. Corvina, Budapest, p. 29-30)
« Quand, se dressant enfin, tous les peuples esclaves,
Brisant un jour leur joug, s’en iront, fiers et braves,
Sous les rouges drapeaux portant l’inscription :
“La liberté du monde !”, et quand l’explosion,
Dans l’univers entier, de leur fière colère
Aura précipité tous les tyrans par terre,
C’est alors, ô Seigneur ! que je voudrais mourir,
C’est sur le champ d’honneur que je voudrais périr,
C’est là que doit couler tout le sang de mon cœur !
Que le cri triomphant de mon âme qui meurt
Soit couvert par le bruit du fer qui met en loques
La chair des héros, par le fer qui s’entrechoque,
Par les rugissements des canons, des mortiers !
Que les chevaux qui vont conquérir les lauriers,
Conquérir la gloire, ah ! que ces chevaux m’écrasent
Et me laissent couché dans la sanglante vase !
Oui, c’est là qu’on devra chercher mes ossements
Au jour solennel du commun enterrement
Quand, aux sons palpitants d’une marche funèbre,
Les étendards voilés du crêpe des ténèbres,
On enterrera dans une fosse profonde
Tous tes héros, ô sainte liberté du monde ! »
— Poème dans la traduction de Georges-Philippe Dhas (dans « Trois Poètes hongrois. Petöfi • Arany • Ady », éd. Imprimerie Coquemard, Angoulême, p. 7-14)
« Lorsque les peuples, las d’être asservis,
Se lèveront un jour, sans préavis,
La face en feu sous de rouges bannières
Où brillera cette devise fière :
“Liberté pour tous sur toute la terre”,
Lorsqu’ils clameront ces mots claironnants
Partout, de l’Orient à l’Occident,
Pour le grand assaut contre les tyrans,
Alors je veux mourir au premier rang
Et que mon cœur, au champ d’honneur, déverse
À rouges flots le sang de sa jeunesse !
(lacune) »
— Poème dans la traduction indirecte de M. Jean Rousselot (dans Attila József, « Aimez-moi : l’œuvre poétique », p. 57)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
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