Mot-clefMaurice Durand

tra­duc­teur ou tra­duc­trice

Nguyễn Trãi, « Instructions aux enfants pour qu’ils se conduisent vertueusement, “Dạy con ở cho có đức” »

dans Maurice Durand, « Introduction à la littérature vietnamienne » (éd. G.-P. Maisonneuve et Larose, coll. UNESCO-Introduction aux littératures orientales, Paris), p. 66-69

dans Mau­rice Du­rand, « In­tro­duc­tion à la lit­té­ra­ture viet­na­mienne » (éd. G.-P. Mai­son­neuve et La­rose, coll. UNESCO-In­tro­duc­tion aux lit­té­ra­tures orien­tales, Pa­ris), p. 66-69

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des « Ins­truc­tions fa­mi­liales mises en vers »1 (« Gia huấn ca ») de Nguyễn Trãi, let­tré viet­na­mien (XIVe-XVe siècle) qui mar­qua de son gé­nie po­li­tique et mi­li­taire la guerre d’indépendance me­née contre les Chi­nois. Son père, Nguyễn Phi Khanh, était grand man­da­rin à la Cour. Quand les ar­mées chi­noises des Ming en­va­hirent le pays, il fut ar­rêté avec plu­sieurs autres di­gni­taires et en­voyé en exil à Nan­kin. Nguyễn Trãi sui­vit le cor­tège des pri­son­niers jusqu’à la fron­tière. Bra­vant le joug, les en­traves et les coups de ses geô­liers, le grand man­da­rin or­donna à son fils : « Tu ne dois pas pleu­rer la sé­pa­ra­tion d’un père et de son fils. Pleure sur­tout l’humiliation de ton peuple. Quand tu se­ras en âge, venge-moi ! »2 Nguyễn Trãi gran­dit. Il tint la pro­messe so­len­nelle faite à son père, en ras­sem­blant le peuple en­tier au­tour de Lê Lợi, qui chassa les Ming avant de de­ve­nir Em­pe­reur du Viêt-nam. Hé­las ! la dy­nas­tie des Lê ainsi fon­dée prit vite om­brage des conseils et de la no­to­riété de Nguyễn Trãi. Écarté d’une Cour qu’il ve­nait de conduire à la vic­toire, notre pa­triote se fit er­mite et poète : « Je ne cours point après les hon­neurs ni ne re­cherche les pré­bendes ; [je] ne suis ni joyeux de ga­gner ni triste de perdre. Les eaux ho­ri­zonnent ma fe­nêtre, les mon­tagnes — ma porte. Les poèmes em­plissent mon sac, l’alcool — ma gourde… Que reste-t-il de ceux que l’ambition ta­lon­nait sans ré­pit ? Des tombes à l’abandon sous l’herbe épaisse »3. Toute sa vie, Nguyễn Trãi eut cette seule pré­oc­cu­pa­tion : l’amour de la pa­trie qui, dans son cœur, était in­sé­pa­rable de l’amour du peuple. Res­tant as­sis, ser­rant une froide cou­ver­ture sur lui, il pas­sait des nuits sans som­meil, son­geant com­ment re­le­ver le pays et pro­cu­rer au peuple une paix du­rable après ces longues guerres : « Dans mon cœur, une seule pré­oc­cu­pa­tion sub­siste : les af­faires du pays. Toutes les nuits, je veille jusqu’aux pre­miers tin­te­ments de cloche »4. On tient gé­né­ra­le­ment la « Grande Pro­cla­ma­tion de la pa­ci­fi­ca­tion des Chi­nois » pour le chef-d’œuvre de Nguyễn Trãi, dans le­quel, aujourd’hui en­core, chaque Viet­na­mien re­con­naît avec émo­tion l’une des sources les plus ra­fraî­chis­santes de son iden­tité na­tio­nale : « Notre pa­trie, le Grand Viêt, de­puis tou­jours, était terre de vieille culture. Terre du Sud, elle a ses fleuves, ses mon­tagnes, ses mœurs et ses cou­tumes dis­tincts de ceux du Nord… » Mais son « Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale » qui dé­crit, avec par­fois une teinte d’amertume, les charmes de la vie ver­tueuse et so­li­taire, et qui change en ta­bleaux en­chan­teurs les scènes de la na­ture sau­vage et né­gli­gée, m’apparaît comme étant le plus réussi et le plus propre à être goûté d’un pu­blic étran­ger.

  1. Par­fois tra­duit « Chant d’instructions fa­mi­liales », « Ins­truc­tions fa­mi­liales mises en poé­sie », « Poème sur l’éducation fa­mi­liale » ou « Édu­ca­tion fa­mi­liale ver­si­fiée ». Haut
  2. Dans Dương Thu Hương, « Les Col­lines d’eucalyptus : ro­man ». Haut
  1. « Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale », p. 200. Haut
  2. id. p. 132. Haut

Bai Juyi et Phan Huy Vịnh, « Tỳ bà hành »

dans « L’Univers des “truyện nôm” : manuscrit » (éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Bibliothèque vietnamienne, Hanoï), p. 211-223

dans « L’Univers des “truyện nôm” : ma­nus­crit » (éd. École fran­çaise d’Extrême-Orient, coll. Bi­blio­thèque viet­na­mienne, Ha­noï), p. 211-223

Il s’agit du « Tỳ bà hành », adap­ta­tion par Phan Huy Vịnh de l’un des poèmes chi­nois qui a le plus mar­qué la lit­té­ra­ture du Viêt-nam : la « Bal­lade du luth »1 (« Pi pa xing »2) de Bai Juyi. Longue de quatre-vingt-huit vers, cette « Bal­lade » re­late l’émotion res­sen­tie par le poète et ses amis, qui rac­com­pagnent un vi­si­teur au dé­bar­ca­dère de la ri­vière, quand ils en­tendent quelqu’un, sur l’une des barques, jouer du luth — ren­contre noc­turne, pleine d’ombres et de mys­tères, évo­quée puis­sam­ment dès les pre­miers vers : « L’immensité des eaux était im­pré­gnée de la clarté de la lune lim­pide. Nous en­ten­dîmes alors, au loin sur le fleuve, les notes d’[un luth]. J’oubliais de m’en re­tour­ner ; mon ami dif­fé­rait sa des­cente du fleuve. À la voix, nous de­man­dâmes qui jouait ainsi. [Le luth] sou­dain s’arrêta de jouer et il y eut un mo­ment de si­lence ». Le poète et ses amis en ou­blient qu’ils doivent ren­trer ; le vi­si­teur en ou­blie qu’il doit re­par­tir. Ils font ap­pro­cher leur barque de celle de l’interprète et l’invitent à se mon­trer. Après mille et mille sup­pliques, ils voient sor­tir avec hé­si­ta­tion une femme : celle-ci tient en­core en main le luth qui lui cache la moi­tié du vi­sage. Elle ef­fleure les cordes et fait tin­ter une note, et deux, et trois. Chaque corde semble por­ter une âme ; chaque son semble dire une pen­sée. Elle joue, elle joue tou­jours : « Les grosses cordes sem­blaient ver­ser des ra­fales de pluie ; les pe­tites cordes sem­blaient su­sur­rer plain­ti­ve­ment des confi­dences… Son at­ti­tude si­len­cieuse aug­men­tait la beauté du mo­ment. Puis ce fut comme un vase d’argent qui éclate [et ré­pand] son li­quide sur la sur­face d’une eau ; comme des che­vaux ar­dents qui ga­lopent… »

  1. Par­fois tra­duit « Bal­lade du pipa », « Bal­lade de la gui­tare », « La Gui­tare » ou « La Chan­son du luth ». Haut
  1. En chi­nois « 琵琶行 ». Par­fois trans­crit « P’i-pa-hing », « Pi pa sing » ou « Pï-pá hsing ». Haut

Nguyễn Hưng Long, « Chant des pêcheurs de Trường-Đông : culte de la baleine »

dans « Bulletin de la Société des études indochinoises », vol. 28, nº 2, p. 183-219

dans « Bul­le­tin de la So­ciété des études in­do­chi­noises », vol. 28, no 2, p. 183-219

Il s’agit du « Chant des pê­cheurs du vil­lage de Trường-Đông », com­posé par Nguyễn Hưng Long, un des ha­bi­tants de ce vil­lage viet­na­mien (XXe siècle). Le terme de « Chant » ne donne peut-être pas une idée exacte de ce mor­ceau. Ce n’est pas, comme l’on pour­rait s’y at­tendre, un des chants po­pu­laires si simples et si sua­ve­ment conçus du Viêt-nam. C’est plu­tôt une tra­gé­die ri­tuelle qu’on chante lors de l’enterrement d’un « cá voi » (« pois­son élé­phant ») ou « cá ông » (« pois­son sei­gneur »). On tra­duit ces deux ex­pres­sions par « ba­leine ». En fait, il ne semble pas que la vé­ri­table ba­leine des mers arc­tiques fré­quente les côtes viet­na­miennes. Ce que les vil­la­geois ap­pellent ainsi, ce sont en gé­né­ral des cé­ta­cés de grande taille, et en par­ti­cu­lier des mar­souins et des ca­cha­lots. « Su­bi­te­ment on aper­çut quelque chose flot­ter au mi­lieu des eaux », dit le « Chant »1. « Quel est cet être qui flot­tait sur l’abîme ? On se héla et on rama en­semble dans sa di­rec­tion pour voir le pro­dige. On com­prit que c’était la ma­ni­fes­ta­tion de la puis­sance sur­na­tu­relle de notre Es­prit saint qui, vi­vant, a aidé les hommes et qui, mort, consent en­core à se­cou­rir le peuple. » Jusqu’à ré­cem­ment en­core, la dé­cou­verte d’un cé­tacé échoué, mort ou mou­rant, fai­sait au Viêt-nam l’objet d’une cé­ré­mo­nie gran­diose, au pro­to­cole com­pli­qué, car cet ani­mal était consi­déré comme le plus gé­né­reux pro­tec­teur des pê­cheurs. La le­vée du corps se fai­sait en grande pompe : vingt ra­meurs en uni­formes bleus pré­cé­daient les por­teurs, et ryth­maient leurs pas comme pour une sorte de danse, en chan­tant et en ma­nœu­vrant en ca­dence des avi­rons ré­ser­vés à ce seul usage. Le ca­davre était en­se­veli so­len­nel­le­ment sous un tu­mu­lus pour une pé­riode de trois ans. Au bout de cette pé­riode avait lieu la fête de l’exhumation que pré­si­dait le pre­mier no­table du vil­lage. En­fin, une tra­gé­die ri­tuelle qui du­rait toute la nuit et toute la jour­née du len­de­main, clô­tu­rait cette suite de ri­tuels des­ti­nés à as­su­rer la pros­pé­rité. « La langue de cette tra­gé­die ri­tuelle est très sa­vante ; l’auteur est un let­tré qui veut faire éta­lage de sa science. Ré­mi­nis­cences, al­lu­sions lit­té­raires, images clas­siques, lan­gage pré­cieux, sont au­tant de dé­fauts qui, à nos yeux, alour­dissent ce texte et lui font perdre la ma­jeure par­tie de son in­té­rêt eth­no­lo­gique », dit M. Mau­rice Du­rand

  1. p. 189. Haut

« L’Œuvre de la poétesse vietnamienne Hồ-Xuân-Hương »

éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Textes et Documents sur l’Indochine-Textes nôm, Paris

éd. École fran­çaise d’Extrême-Orient, coll. Textes et Do­cu­ments sur l’Indochine-Textes nôm, Pa­ris

Il s’agit de Hồ Xuân Hương, poé­tesse éro­tique viet­na­mienne (XIXe siècle). Sa jeu­nesse bouillon­nante de sève, son rire es­piègle et in­sou­ciant, l’habileté de ses com­po­si­tions dont le sens est gé­né­ra­le­ment double — un sens ma­ni­feste, peu cri­ti­quable au point de vue de la mo­rale, et un sens pa­ral­lèle, en fi­li­grane, d’un éro­tisme ex­trême —, son goût et son ta­lent en­fin dans l’emploi de la langue po­pu­laire, suf­fisent pour que les Viet­na­miens la ché­rissent comme la ga­mine la plus spi­ri­tuelle de leur lit­té­ra­ture na­tio­nale. « On au­rait dit une fille qui, re­trous­sant sa jupe, bar­bo­te­rait dans une mare », dit un cri­tique1. La lé­gende ra­conte2 que ses pa­rents mou­rurent de bonne heure, et qu’elle et sa sœur se par­ta­gèrent l’héritage, qui était consi­dé­rable. Hồ Xuân Hương, avec sa part, construi­sit un riche jar­din en­touré de vi­viers, où se voyaient trois beaux pa­villons, toutes sortes d’arbustes taillés et des pierres re­cou­vertes d’inscriptions. Là, elle te­nait des concours poé­tiques et pro­po­sait de choi­sir pour mari ce­lui qui réus­si­rait à la vaincre. Mais au­cun ne le put. Quoique ses vers li­cen­cieux soient una­ni­me­ment condam­nés par les mo­ra­listes, Hồ Xuân Hương y est pous­sée non par un pen­chant vers de mau­vaises mœurs, mais par la tour­nure même de son es­prit lit­té­raire, comme ja­dis la poé­tesse Sap­pho dans ses su­blimes com­po­si­tions. Si l’on pé­nètre au fond des choses, ne dé­couvre-t-on pas, chez cette femme de lettres, une âme à la fois sou­ve­raine, saine et ro­buste :

« Mon corps est comme le fruit du ja­quier sur l’arbre.
Son écorce est ru­gueuse, sa pulpe épaisse ;
Sei­gneur, si vous l’aimez, plan­tez-y votre coin,
Mais, je vous prie, ne le pal­pez pas pour qu’il vous en­glue les mains
 »

  1. Nguyễn Đức Bính. Haut
  1. « His­toire de Hồ Xuân Hương » dans « Contes et Lé­gendes an­na­mites ». Haut